"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Interview avec AMEGNISSE ANDOCH :

 "Si l’élection présidentielle a eu lieu aujourd’ hui, Yayi ne passerait pas"


On le croyait politiquement mort de par son absence remarquée depuis l’avènement de l’ère du « changement ». Mais il vient de réapparaître avec la verve et le franc parler qu’on lui connaît. Il s’est prononcé sur la vie politique nationale, notamment sur les élections et les espoirs déçus du peuple béninois. Andoche Amègnissè exprime sa désapprobation à l’égard de la politique du Dr. Boni Yayi.



Le Confrère de la Matinée : Depuis l’ère du « changement », vous vous êtes soustrait de la scène politique. On a l’impression que vous avez préféré le silence. Pourquoi un tel mutisme ?

Andoche Amègnissè : Mutisme, non ! Qu’il vous souvienne que j’ai été l’un de ceux qui ont le plus rudement combattu la candidature du Dr. Boni Yayi. Je l’ai combattu jusque devant la Cour constitutionnelle et je me réjouis qu’elle ne m’ait jamais donné tort sur le fond mais elle s’est plutôt contentée de dire que ma requête était venue un peu plus tôt ! Je ne sais s’il est jamais trop tôt de porter plainte contre un flagrant délit, parce que ce dont je me plaignais était un flagrant délit. Plus tard, la Cour m’a signifié que je n’étais pas qualifié pour porter plainte. Et quand j’ai demandé à la « Cour des Miracles » sur quel article extrait de quelle loi s’est-t-elle basée pour me disqualifier, elle ne m’a plus jamais répondu. Mais comme je veux la paix dans mon pays, j’ai respecté la décision de la Cour constitutionnelle et j’ai dit que je ne croyais pas au messianisme du futur Chef de l’Etat, élu dans ces conditions. Je me suis même déclaré son premier opposant. Mais les Béninois étaient obnubilés par ce dernier en qui ils ont placé une forte dose d’espérance. Je ne voulais pas décevoir les Béninois. J’ai donc laissé au peuple béninois le temps de juger l’homme. Je crois que le peuple a eu le temps de le juger et le réveil est douloureux. Je n’ai pas opté pour le mutisme, j’observe plutôt de près ce qui se passe dans mon pays.

Nous reviendrons sur ce que vous appelez tantôt « réveil douloureux ». Mais en attendant, vous réapparaissez après les élections locales. Quelles sont vos appréciations sur l’ensemble du scrutin et pour qui avez –vous voté ?

D’abord, je ne vous dirai pas pour qui j’ai voté ! Mais je pus vous dire contre qui j’ai voté. Il s’agit de la liste Fcbe ! S’agissant de mes appréciations, j’ai noté avec amertume que les élections ont été arrachées par le peuple béninois. Le pouvoir en place a tout mis en œuvre pour que les élections n’aient pas lieu. Dès lors que le Chef de l’Etat ne contrôlait pas la Cena, tout était mis en œuvre pour hypothéquer la tenue des élections. L’argent nécessaire à l’organisation des élections était devenu la pomme de discorde entre la Cena et le gouvernement. Le ministre des Finances a tout fait pour que l’argent nécessaire à l’organisation des élections ne soit jamais mis à la disposition de la Cena, jouant au pifomètre et lâchant goutte par goutte l’argent. Mais il a fallu la détermination des Béninois. C’est le lieu de saluer le courage et la persévérance de certains Béninois dont Pascal Todjinou qu’il faut féliciter bien que nous ne soyons pas toujours du même côté. Mais je suis triste de constater que les hommes proches du pouvoir sont en train de faire de la pagaille et empêchent l’installation des conseils communaux sous prétexte qu’ils n’ont pas été déclarés vainqueurs. Ces actes sont irresponsables et inconcevables, surtout qu’ils émanent de gens qui se disent proches du pouvoir. Pourtant les voies de recours sont connues et la juridiction compétente également.

Avez-vous les preuves de ces allégations ?


Bien évidemment ! Qui sont ceux qui ont cassé la voiture du maire sortant de Sèmè Kpodji ? Qui sont ceux qui ont barricadé la voie à Avrankou pour empêcher l’installation du conseil communal. Ces agissements n’honorent pas le Chef de l’Etat.

Ne pensez-vous pas que des personnes mal intentionnées se font passer pour des militants des Fcbe pour commettre des forfaits, puisque la liste Fcbe a tout de même obtenu de bons résultats au plan national ?


Si des individus mal intentionnés infiltrent les rangs des Fcbe, leurs responsables doivent les extirper. S’ils ne le font pas, ils sont complices et s’exposent à la rigueur de la loi. Et force doit rester à la loi. Nous ne sommes pas dans un moulin, mais dans une République. Les résultats obtenus par la liste Fcbe n’ont pas induit de satisfaction. Au contraire, les apôtres du changement ont dû déchanter. Ils croyaient pouvoir opérer un ras de marrée électoral mais le peuple béninois a mûri, même si le réveil est douloureux.

Quelle appréciation faites-vous des ratés du scrutin ?

Quand vous demandez à votre femme de vous préparer une sauce succulente et que vous faites économie des ingrédients en réduisant la bourse, attendez-vous à manger une sauce insipide et sans saveur résultant de votre propre acte. Au regard des circonstances dans lesquelles ces élections ont été organisées, on devait s’attendre à tous ces ratés. C’est même quelque chose de formidable que la Cena soit parvenue à organiser les élections. Vous souvenez-vous des séries de recours intempestifs faits par les partisans du Chef de l’Etat devant la Cour Constitutionnelle pour hypothéquer l’organisation des élections ? Le seul fait d’avoir organisé les élections est une victoire du peuple béninois.

Qu’entendez-vous tantôt par réveil douloureux ?

En 2006, les conditions sociopolitiques étaient telles que tout le monde, sinon la majorité des Béninois voulaient du neuf. Le Général Mathieu Kérékou n’avait plus une bonne cote et la classe politique dans son ensemble, y compris le président Houngbédji (il a été premier ministre de Kérékou) était prise par l’usure. On a pensé à un homme neuf mais malheureusement en politique, il n’y a pas de génération spontanée. On a fait croire au peuple que l’homme en question qui n’est autre que Boni Yayi est un banquier, président de la Boad. Il n’était que fonctionnaire international et travaillait pour la Boad. La banque n’est pas sa propriété. Mais on a fait croire au peuple que si Yayi vient, « Ya na Yi » qui signifie que la pauvreté s’en irait et il fera bon vivre pour tous parce qu’il connaît les circuits de l’argent ! Mais depuis deux ans, bientôt trois ans que Boni Yayi est là, la pauvreté et la misère ont-elles reculé ? Au contraire la cherté de la vie, même si c’est un phénomène international, elle tenaille les populations. Ce n’est pas agréable lorsque pour soigner son enfant malade, on n’a pas d’argent pour le faire dans un pays où la sécurité sociale n’existe que de nom. Ce n’est pas non plus agréable lorsque l’on peine à se mettre quelque chose sous la dent. Ce n’est pas agréable lorsqu’à fortiori l’on a de l’argent et qu’on peine pour trouver ce dont on a besoin pour se nourrir. La lourde espérance que le peuple a placée en Boni Yayi est littéralement déçue. Prenez par exemple les résultats des récentes élections. Les Fcbe et leurs alliés ont perdu toutes les grandes villes malgré tout l’arsenal qu’ils ont mis en place. Ils savent que même là où ils ont gagné, la victoire est synonyme d’échec. Même à Parakou, ils ont été sérieusement talonnés par le G13.

Mais la liste Fcbe vient en tête au regard des résultats proclamés par la Cena et ceci traduit une certaine popularité du pouvoir en place.


Ce résultat est comme l’arbre qui cache la forêt. Et pourquoi font-ils autant de bruit s’ils sont satisfaits de ce résultat. Avez-vous vu des vainqueurs faire autant de tapage ? Je vous dis que là où ils ont gagné, ils savent qu’ils ont perdu ! Allez-y comprendre quelque chose. Je vous fais une confidence : je parie que le Dr. Boni Yayi sait que si l’élection devrait avoir lieu aujourd’hui, il ne sera même pas 4ème ! Le résultat des élections est plutôt un sérieux avertissement donné par le peuple souverain au président Boni Yayi. Il en est conscient. Mais ses sbires veulent faire un « hold up » électoral. Ils veulent que les autres qu’ils ont battus ailleurs se tiennent carreau, ce qui n’est pas démocratiquement possible. Les conditions dans lesquelles le pouvoir en place protestent contre les résultats ressemblent à ce qui s’est passé au Zimbabwé. C’est une incongruité à la limite risible que de voir des gens proches du pouvoir qui estiment avoir gagné les élections faire la pagaille dans le pays. Même les populations, estimées à 70% d’analphabètes, sont stupéfaites et veulent bien comprendre ce qui se passe.

 

Voulez-vous dire que le peuple est déçu ?

Non seulement le peuple est déçu mais la communauté internationale est déçue. Amnesty international vient d’épingler le Bénin. Nous sommes classés 112ème. Nous avons reculé puisqu’au temps du général Kérékou, nous étions mieux logés. Je reviens d’une tournée et je pus vous dire que le Bénin ne jouit plus de la même image comme dans un passé récent. C’est regrettable. Le respect des droits de l’Homme a ainsi pris un sérieux coup au Bénin.

Mais il n’y a pas de prisonnier d’opinion au Bénin

C’est vous qui le dites Monsieur le journaliste (traits tendus, visiblement contrarié et presque courroucé…). Si Fagbohoun n’avait pas été libéré pour raison de maladie nonobstant la procédure judiciaire qui interdit la détention préventive sur une durée donnée, échéance dépassée dans cette affaire, que lui serait-il arrivé ? Si malgré la violation des textes de loi et l’incapacité pour la haute cour de justice de le juger Alain Adihou continue de faire l’objet d’une détention préventive, où allons-nous ? Je peux multiplier les exemples. La démocratie a reculé au Bénin. Les droits de l’Homme ont régressé dans mon pays. Moi-même, j’ai été victime d’actes liberticides. Le 30 juillet dernier, je devais intervenir sur l’Ortb en tant que citoyen Béninois qui paie ses impôts pour que l’Etat puisse faire face aux dépenses publiques, pour commenter le discours du Chef de l’Etat. Mais des personnes mal intentionnées ont téléphoné à la directrice de la chaîne à l’époque pour que je ne puisse pas intervenir et qu’on me signifie que je suis personna non gratta. Ce qui fut fait ! J’ai honte pour mon pays.

Les exemples isolés que vous évoquez sans preuve palpable ne semblent pas coller à la situation de grand malaise que vous décriviez ?

Vous êtes journaliste, faites un tour au marché Dantokpa et interroger les bonnes dames. Vous savez, pour prendre le pouls du pays, il faut commencer par Dantokpa. Les vendeuses vous diront que ça ne va pas. Evoquez le nom de Boni Yayi et elles vont vous rabrouer ! C’est un malaise général qui n’est pas seulement lié au malaise économique mais à une crise sociale profonde. Vous souvenez-vous des grèves perlées même dans l’administration y compris dans les centres hospitaliers ? Cela ne va pas !

Votre dernier mot ?

Je dis au peuple béninois que la nuit sera longue mais le jour se lèvera. La nuit durera cinq ans mais le jour finira par se lever. Je suis partant aux élections de 2011. A présent, je suis dans l’expectative. Mais bientôt, l’heure sonnera ! Je vous remercie.



Propos recueillis par Orédola FALOLA



09/06/2008
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