"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Climat politique nationale

 3avril 2008

De la crise aux solutions d’apaisement d’Albert Tévoèdjrè

 

La crispation des relations entre les acteurs politiques du Bénin a franchi le rubicond depuis le 12 mars 2008. Les opposants au régime en place et les chantres du changement se sont lancés dans une guerre de dénigrement réciproque. Albert Tévoèdjrè, médiateur de la présidence de la République s’est alors engagé dans une mission de bons offices. Mais, peut-t-il étouffer le feu ?

Vingt mois après l’accession du Dr Boni Yayi au pourvoir, les grandes formations politiques de l’échiquier national prennent déjà leur distance vis-à-vis du Gouvernement du changement. De ce fait, la situation politique béninoise actuelle devient délétère. Certes, l’opposition radicale et rétive ne s’est pas encore déclarée. Mais la position des députés du G13 (une alliance de sept partis politiques représentés à l’Assemblée nationale), et la déclaration du quarto constitué de Nicéphore Soglo de la Renaissance du Bénin (Rb), Bruno Amoussou du Parti démocrate et social (Psd), Antoine Idji Kolawolé du Mouvement africain pour la démocratie et le progrès (Madep) et Adrien Houngbédji du Parti du renouveau démocratique (Prd) du 12 mars 2008, laisse penser à une opposition au régime en place. En fait, ce jour-là, les quatre dinosaures politiques, cosignataires d’une déclaration sur la situation nationale n’ont pas fait l’éloge de la politique du gouvernement du changement. Bien au contraire ! Pour eux, la démocratie béninoise se trouve gravement menacée. « Un autre feu s’allume dans mon pays », le président Soglo aurait ainsi, lancé l’alerte à Kofi Annan, médiateur mandaté de l’Union africaine dans la crise kényane, pour justifier son absence à ses côtés à Naïrobi. C’était aux moments forts de la crise politique qui a secoué le Kenya en décembre 2007. Depuis ce jour, la situation politique du pays est devenue inquiétante avec les attaques verbales réciproques entre le maire Soglo, et les partisans du chef de l’Etat, le Dr Boni Yayi.

Tévoèdjrè face aux protagonistes de la crise

Face à une telle situation préjudiciable à la paix et à la concorde nationale, le professeur Albert Tévoèdjrè a mis en branle ses bons offices, conformément à l’article 3 du décret portant sa nomination à la tête de l’organe de médiation de la République. Nous ne rappellerons pas ici les démarches d’avant 12 mars 2008 qu’il avait menées en direction des protagonistes de la tension politique nationale. Les résultats escomptés de ces démarches auxquelles le président Emile Derlin Zinsou a également participé n’ont vraisemblablement pas été atteints. Puisqu’il était question d’empêcher le schisme entre Nicéphore Soglo et Boni Yayi, malheureusement devenu évident depuis le mercredi 12 mars 2008. Le problème ressemble un peu à une guerre de diadème. Le père Nicéphore Soglo (politiquement parlant, et pour ainsi caricaturer les propos du président Soglo lui-même) a lâché le fils Boni Yayi qu’il accuse d’une offensive hégémonique. Les amis du fils qui lorgnent la couronne du père se sont mis au devant de la scène. Le règne du souverain, ainsi menacé par la troupe du prince conquérant, s’est trouvé un rempart élevé par quatre grandes dynasties à savoir, la Rb, le Psd, le Madep et le Prd. Dès lors, les prises de position de chacun des deux camps versés dans des attaques médiatiques réciproques inquiètent les paisibles populations éprises de paix sociale.

C’est alors que, le professeur Tévoèdjrè, médiateur de la Présidence de la République a repris de plus bel sa mission de bons offices le vendredi 21 mars 2008. Soit au lendemain de la sortie tonitruante du maire de Cotonou, Nicéphore Dieudonné Soglo qui, une fois encore, a affirmé sur les antennes de Radio France inter (Rfi) que la démocratie béninoise est en danger. Il s’était rendu ce jour-là, au cabinet du maire de Cotonou, Nicéphore Dieudonné Soglo pour un conciliabule. Rien, n’a filtré des échanges entre ces deux personnalités. Il en est de même de ses rencontres avec le député Antoine Idji Kolawolé du Madep et Emmanuel Golou, secrétaire général du Psd qu’il a respectivement reçu à son cabinet les mardi 18 et 25 mars 2008. Il s’est également entretenu avec les ténors du G13 subitement devenus menaçants pour le pouvoir auquel ils sont pourtant alliés. Le renard de Djrègbé devrait également rencontrer jeudi dernier, le président du Prd, Adrien Houngbédji, mais hélas !

Des points d’achoppement évidents

Ce n’est un secret pour personne et point n’est besoin de le démontrer. Les nouvelles méthodes de gouvernance, que Boni Yayi, dans sa vision de changement, a instauré dans le pays depuis avril 2006 bousculent des intérêts. Même ceux qui affirment leur adhésion à sa vision de changement ne sont pas épargnés de son combat sans merci contre la corruption. La rigueur, l’équité, l’obligation de résultats et de compte rendu et le respect de l’autorité dont il fait son principe de gestion des affaires d’Etat met mal à l’aise bien de ses proches du pouvoir exécutif que législatif. Les bouleversements intervenus à l’Assemblée nationale n’y sont pas étrangers. Par ailleurs, le retournement brusque du président Soglo contre le chef de l’Etat trouve ses origines dans la bataille autour de la mairie de Cotonou et l’obstination du gouvernement à maintenir le marché Dantokpa dans le giron de l’Etat. De même, l’offensive politique du chef de l’Etat et des membres de son gouvernement, omniprésents sur le terrain au contact des populations, inquiète les aspirants au pouvoir aussi bien local que suprême du pays. Voilà l’essentiel des problèmes sur lesquels le médiateur devra amener les différents protagonistes de la tension politique actuelle à trouver un consensus. A moins de se tromper d’analyse, la tâche ne parait pas facile. Car, Nicéphore Soglo aura du mal à renouer les amarres avec Boni Yayi sans que ce dernier ne lui laisse au préalable la Mairie de Cotonou et le marché Dantokpa. L’équation Adrien Houngbédji est beaucoup plus compliquée. L’ambition affichée du leader des Tchoco Tchoco n’est pas de nature à faciliter le dialogue entre les deux parties. Dans cette perspective, il sera difficile pour le médiateur Tévoédjrè de le convaincre à faire le consensus avec Boni Yayi qui certainement ambitionne de se faire réélire en 2011. Quant à Bruno Amoussou, habitué aux arcanes du pouvoir et qui n’entend pas qu’on lui dise qu’il est au soir de sa carrière politique (il dit lui-même être à midi de sa carrière politique), le fait de l’avoir mis à l’écart du gouvernement du changement n’arrange non plus les relations avec le Psd. Et les barons du G13 ? Boni Yayi acceptera-t-il leurs exigences, ou du moins Tévoédjrè parviendra-t-il à leur faire changer d’opinion ? La question reste en suspens.

Et si Houngbédji refusait la main tendue ?

Jeudi dernier, alors que les observateurs des faits politiques du pays cherchaient à avoir les échos de la rencontre du médiateur avec le président Houngbédji annoncée à grand renfort médiatique, c’est plutôt à la rencontre entre le président de l’Assemblée nationale, le professeur Mathurin Nago et le médiateur Tévoédjrè qu’ils ont eu droit. Houngbédji n’avait pas répondu au rendez-vous. Le vendredi, le médiateur devrait adresser un rapport au chef de l’Etat, sur les résultats de sa mission, quitte à faire un rapport complémentaire dès que Houngbédji aurait répondu à son appel. Pendant ce temps, les informations étaient divergentes sur les raisons de la rencontre manquée entre Houngbédji et Tévoèdjrè. Pour certains, le président du Prd, qui a depuis avril 2006, gardé ses distances vis-à-vis du gouvernement du changement, sans pour autant déclarer son opposition au régime, aurait purement et simplement rejeté l’invitation du médiateur Tévoèdjrè. Pour d’autres, la non tenue de la rencontre serait due à un problème de disponibilité. Le président Houngbédji aurait évoqué juste une perturbation dans son calendrier pour demander un report de la rencontre. Mais, seulement, ils n’ont pas précisé la date à laquelle cette rencontre est reportée. Personne à ce jour n’a pu dire avec exactitude ce qui explique le report de la rencontre.

Qu’attend Moïse Mensah pour entrer dans la dynamique de la gouvernance concertée ?

Moïse Mensah est très attendu dans l’apaisement de la tension politique nationale. L’homme en qui le chef de l’Etat Boni Yayi a placé sa confiance en le nommant à la tête du Haut commissariat de la gouvernance concertée tarde à entrer dans les prérogatives que lui confère son poste. Sinon, comment comprendre que sa structure ne prenne pas part aux médiations relatives à la situation politique actuelle prise à bras le corps par Albert Tévoèdjrè ? Depuis le 19 février 2008, date à laquelle elle est installée, le Haut commissariat de la gouvernance concertée contrairement au dynamisme affiché par Albert Tévoèdjrè dès sa nomination ne s’est manifesté sur aucun terrain de la gouvernance concertée. Le renard de Djrègbé n’a pas attendu de disposer de locaux pour abriter sa structure encore moins d’avoir en main tous ses collaborateurs avant de se mettre au travail. Même si chacun à sa méthode de travail, celle de Moïse Mensah commence sérieusement par inquiéter. L’ex ministre des finances du général Mathieu Kérékou a la lourde mission de montrer que sa structure à un rôle prépondérant dans le maintien d’un climat de paix au Bénin. Il semble rater le premier coche. Certainement qu’il aura des opportunités de se rattraper. Car, c’est à cette seule condition que Moïse Mensah donnera raison au chef de l’Etat de l’avoir placé à la tête d’une structure aussi importante pour l’apaisement du climat politique.

Que peut-on espérer de la médiation de Albert Tévoèdjrè ?

Au Bénin, tout part des intérêts partisans et tout se ramène à cela surtout quand il s’agit de l’animation de la vie politique. Les divergences qui s’observent ces derniers temps dans la classe politique nationale ne sont pas étrangères à cette façon de gérer la citée au Bénin en particulier et sous le soleil des tropiques en général. Alors, prétendre mettre un terme à l’ambiance délétère de pré campagne électorale, c’est pouvoir satisfaire non seulement aux revendications contenues dans la déclaration du 12 mars dernier mais également arriver à faire converger les intérêts des uns et des autres dans la même direction. Dans ce contexte, la mission que s’est assignée Albert Tévoèdjrè à savoir : amener les protagonistes de la crise politique béninoise de ces derniers jours à fumer le calumet de la paix est-il faisable ? Rien n’est sûr. Quand on sait que le rôle du médiateur de la république, Albert Tévoèdjrè dans le dénouement de la situation ne consiste qu’à écouter les protagonistes, produire un rapport, donner des conseils et amener les protagonistes à s’entendre, le scepticisme de certains observateurs peut aisément se comprendre. « Le chien qui n’est pas rassasié ne s’amuse pas avec son second qui l’est » dit un adage. D’autres diront que le renard de Djrègbé s’est simplement mis la corde au cou. Mais fort heureusement, avec les politiciens, il faut s’attendre à tout. Ce qui est certain, le plus long voyage commence toujours par le premier pas. Le plus grand mérite de Albert Tévoèdjrè c’est d’abord d’avoir osé. Espérer qu’il réussira à amener les contradicteurs du changement à taire tout de suite leurs différentes ambitions, c’est une autre affaire. En toute objectivité, quelle concession peut faire la Rb de Nicéphore Soglo au locataire de la Marina sans le renouvellement de son mandat à la tête de Cotonou, le marché Dantokpa et l’association de sa formation politique à la gestion du pouvoir ? Les intimes revendications de Bruno Amoussou et Idji Kolawolé ne sont pas moindres. En ce qui concerne Adrien Houngbédji, les négociations, du fait des ambitions présidentielles déclarées de l’homme, sont quasi impossibles. Alors, il serait très audacieux de s’attendre à un miracle de la part de Albert Tévoèdjrè avant la fin des élections municipales. Peut-être qu’après cette échéance où tout un chacun sera fixé sur son sort et le remaniement ministériel qui s’annonce, les données peuvent évoluer. Mais avant, la réussite de la mission de Albert Tévoèdjrè dépend plus des véritables protagonistes que de ses bons offices.


Angelo DOSSOUMOU, Ignace AOUBRE, 3 avril 2008



02/05/2008
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