De la Médiature
30 mars 2008
L’Organe de Médiation est une initiative du Président Kérékou en
application des propositions de la Conférence nationale. Dans l’exposé des
motifs, le gouvernement du Président Yayi Boni s'est inspiré des dispositions
de l’article 98 de la constitution du 11 décembre 1990 pour inscrire le
médiateur dans son programme d’action. D’où la signature du décret 2006-417
portant création, attributions organisation et fonctionnement de l'Organe
Présidentiel de Médiation (OPM). Cette action a été accompagnée du retrait du
projet de loi initial. On a glosé à ses débuts sur le bien fondé
constitutionnel de la substitution d'un décret à un projet de loi, puis le
volontarisme autoritaire de Monsieur Yayi Boni a renvoyé les scrupules
juridiques au silence. Au lieu de pinailler sur sa légalité on a préféré voir
le bon côté de la chose. On peut en effet penser que cela prend place dans le
dispositif de la gouvernance concertée. A condition que ce soit un organe qui
s’interpose entre les citoyens et le pouvoir ou les organisations politiques ;
avec une compétence surtout sociale, etc. L’article 1 du décret No 2004 - 299 -
définit le médiateur de la République comme « un organe intercesseur gracieux
entre l’administration et les usagers de la fonction publique ». Autorité
indépendante, le médiateur de la République constitue selon les initiateurs une
solution originale pour la résolution des conflits qui opposent les citoyens au
service public, les forces socioprofessionnelles au gouvernement.
Au lieu de quoi on voit une compétence qui s’étend de jour en
jour : de l’affaire des Gsm à la crise politique que nous connais-sons
actuellement. Or cette extension ne fait que court-circuiter les instances
démocratiques établies. On crée ainsi une espèce de point focal de la
démocratie ; et le pouvoir du peuple est trans-formé en un pouvoir géré de
façon personnelle par un homme qui se fait fort de jouer les indispensables, un
homme qui n’aime rien tant que se retrouver au centre de toutes les tractations
poli-tiques. On a beau faire la part de la dimension de la spécificité
culturelle africaine qui privilégie la palabre, on ne voit pas comment ce
phagocytage de compétences institutionnelles par un seul homme-instance au nom
de la bonne idée de la médiation soit compatible avec les règles et l’éthique
de la démocratie.
Derrière l’idée de médiation affichée, se dessine inexorablement
la forme de la méthode de gouvernement chère à Yayi Boni ; une méthode qui
révulse les partis et groupes politiques de tout bord. En l’occurrence dans le
conflit qui agite le landernau politique béninois actuellement il n’y a rien de
plus crispant, de plus paradoxal que de vouloir régler la crise par un homme, à
la neutralité douteuse et qui n’est pas un élu, au motif qu’il a fonction de
médiateur. Les affaires politiques doivent être prioritairement réglées en
toute responsabilité par les hommes politiques. C’est ça le principe de la
responsabilité. Si Yayi Boni n’est pas capable de parler directement au peuple
en dehors de la manipulation des émotions religieuses ; s’il n’est pas capable
de parler aux dirigeants des partis politiques, sauf par l’intermédiaire d’un
médiateur, ce n’était pas la peine de se faire élire Président. Un homme
politique a besoin d’avoir du charisme ; il doit avoir le courage d’aller
au-devant des autres ; pas sous-traiter son devoir de parole ou d’intervention.
Et dans la mesure où cette sous-traitance se généralise à tous les niveaux de
l’Etat et de la gouvernance, on passe sans solution de continuité de la
gouvernance concertée à la gouvernance régentée.
Or la dérive qui conduit
de la médiation à la régence, qui fait du médiateur un régent, fait du même
coup de la République une Monarchie et de la Démocratie une autocratie
déguisée.
L’autre travers de cette dérive est celui de l’autocélébration
d’un homme à l’utilité contestable qui abuse de la crédulité de l’opinion pour
se mettre à chaque fois au centre du débat politique. A. Tévoédjrè voudrait
sans doute que la postérité se souvienne de lui comme d’un homme central de
l’histoire de la vie politique nationale. Mais la centralité dans la vie
politique peut être positive comme elle peut être négative. Quoiqu’on dise
Monsieur A. Hitler restera central dans l’histoire politique de l’Allemagne. En
dehors de sa posture et de ses rodomontades professorales qui sont comme
toujours pour un pays académiquement sous-développé ce que sont la posture et
les poses royales des borgnes au pays des aveugles, Monsieur Tévoédjrè ne
brille pas par ses bienfaits avérés. Voilà un homme qui, un temps candidat à
l’élection présidentielle, promettait à toute une génération épuisée, entre
autres monts et merveilles, du travail et des emplois en nombre considérable
mais qui, une fois en poste, n’a pas été fichu de tenir, comme tous les hommes
politiques de son acabit, le moindre début de commencement de sa parole. Et ce
n’était pas encore le pire. Le pire fut d’avoir intrigué pour contribuer à
faire revenir Kérékou au pouvoir ; puis de s’en glorifier, comme de ces
malfaiteurs sans état d’âme qui, en mal de publicité, préfèrent être tristement
célèbres que pas célèbres du tout. Bien sûr, en tant que natif de l’Ouémé et
donc du Sud du Bénin, il avait l’excuse atavique de ne pas aimer le Président
Soglo et de lui faire la peau par tous les moyens possibles et imaginables ; de
servir sa haine atavique sous les dehors anti-régionalistes du souteneur
rationnellement national d’un homme politique du Nord.
Et comme il a pris goût à son rôle autoproclamé de faiseur de
roi, voilà qu’il débarque à nouveau dans les bagages du changement, et ce sans
vergogne ni scrupule ; se plaçant aux avant-postes du nouveau régime. Après
avoir contribué à faire régresser terrible-ment le Bénin dix années durant sous
la gouvernance catastrophi-que et corrompue de Kérékou, le voilà qui sans crier
gare se fait devin et régent du régime qui, du moins dans l’esprit de mars
2006, ambitionne de changer l’ordre moral et politique des choses. Paradoxe
typiquement béninois d’un homme qui par ses manigances réussit à chloroformer
la vigilance intellectuelle de toute une société pour aujourd’hui jouer les
indispensables, sans même prendre le souffle du moindre mea culpa. Et dans la
mesure où le changement dont Monsieur A. Tévoédjrè se fait ou se pense
l'artisan jusqu'à présent n'a fait aucun miracle retentis-sant ; dans la mesure
où ce changement n'a rien changé aux misères du peuple causées par l'incurie du
régime précédent dont Monsieur A. Tévoédjrè était, faut-il le rappeler, l'un
des promoteurs historiques ; dans la mesure où au lieu de conforter la
démocratie, ce régime dit du changement s'en donne à coeur joie d'y faire de
graves entorses, au point d'accumuler de lourds nuages dans son ciel jusque-là
radieux, force est de constater que l'homme qui se veut au centre de tous ces
mouvements ne peut être accrédité d'aucun bienfait notable pour notre pays.
Que Monsieur Albert T.
prenne goût à son show personnel, à son obsession de centralité dans la vie
politique du Bénin est un fantasme existentiel qu’il a plus ou moins bonheur à
réaliser. Tant mieux pour lui. En dehors de l’amnésie affligeante qui entoure
sa nuisibilité dans l’histoire politique de notre pays, le vrai danger incarné
par A. Tévoédjrè réside dans ce qui se profile derrière la dérive que prend son
rôle actuellement. Cette posture d’un homme qui se substitue aux diverses
instances politiques et sociales, et qui, au nom de la concertation, est mis en
avant par un pouvoir, un régime, et un chef de l’Etat incapables de faire face
à leurs responsabilités, cette posture disons-nous, est nuisible à la
démocratie. Car elle inaugure en trompe l’œil le règne d’une autocratie
bicéphale où le pouvoir effectif est détenu par un seul homme qui régente la
vie politique nationale dans ses sauts et ses soubresauts les plus décisifs.
D’une certaine manière il y a collusion objective entre deux tendances autocratiques
surannées. Pourquoi ne pas laisser les partis politiques et le pouvoir traiter
directement des affaires politiques ? Au train où vont les choses, la médiature
tend vers la sous-traitance de la responsabilité politique. La fonction en
elle-même est moins en cause que la caractère hétéroclite de ses prérogatives.
L’homme qui l’exerce, de par son histoire et ses tendances, de par ses
dispositions à obséder le centre de la vie politique, tend vers une logique de
régence qui surdétermine l’action du gouvernement. Dans un régime présidentiel
comme le nôtre, cette surdétermina-tion est une confiscation rampante de la
démocratie. Une dérive qui commence doucement mais qui risque de finir
durement.
En politique, l'homme fait souvent la fonction. Aussi avant d'en
arriver à un point de non-retour, à défaut de brûler l’homme qui l’incarne, il
est peut-être urgent de rectifier l'orientation inquiétante qu'il intime à la
fonction de Médiateur.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN
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