Entretien avec le professeur Raouf Affagnon, membre du Conetra-Bac
02-06-2008 | |
«Le Bac sous-régional ne doit pas être une camisole pour le Bénin » La polémique que suscite la date de l’organisation du Baccalauréat 2008 devient inquiétante et fait réagir beaucoup d’acteurs du système éducatif béninois. Le professeur Affagnon, membre du bureau exécutif de la Coordination nationale des enseignants pour les travaux du Baccalauréat (Conetra-Bac) est viscéralement contre l’idée de mettre en application de si tôt la directive de... l’Uemoa qui fixe le démarrage de cet examen dans
tous ses pays membres dès mi-juin de chaque année. Il évoque également
d’autres sujets dans cet entretien, dont la non mise en œuvre des
recommandations du forum national sur l’éducation et la non tenue des
engagements de Boni Yayi vis-à-vis des enseignants après deux ans de
gestion du pouvoir. Nouvelle Tribune: Comment appréciez-vous l’organisation du Baccalauréat 2008 par les autorités académiques ? Raouf Affagnon : Globalement, je suis déçu. Et ceci, pour deux raisons. La première est liée au fait que l’année dernière, le gouvernement a initié et a convié les acteurs impliqués dans l’organisation de cet examen, à un séminaire d’évaluation du Bac réaménagé. Ainsi, des recommandations ont été faites pour une meilleure organisation aux éditions suivantes. Il a été par exemple décidé d’alléger le contenu, en revoyant un peu, les matières proposées tant à l’écrit qu’à l’oral. A cette même occasion, les participants ont fait des recommandations quant aux dispositions à prendre pour permettre au Bénin de s’intégrer au processus d’harmonisation pour l’organisation d’un Bac sous-régional. Mais jusqu’à ce jour, rien n’a été encore fait pour la mise en œuvre de ces résolutions. A l’exception de la seule recommandation, relative à la validation des listes des correcteurs et éducateurs physiques. Quelle est la deuxième raison de votre déception ? Vous
savez, la chose la plus grave qui est arrivée est que le
gouvernement de Boni Yayi s’est précipité pour fixer la date de
l’organisation du Bac 2008 dès le 18 juin prochain, pour ainsi ,
dit-on, se conformer à la directive de l’Uemoa qui a instruit ses
pays membres à organiser à l’avenir cet examen dans cette période,
afin d’éviter, entre autres, les inscriptions multiples des candidats à
divers baccalauréats de la sous-région. Mais rien ne devrait
amener le gouvernement à se précipiter sur cette décision , car
l’Uemoa a fixé au 31 décembre 2008, la date buttoir pour les
dispositions législatives et règlementaires que chaque pays membre
est tenu de prendre avant sa mise en œuvre. L’intention rapide
du gouvernement béninois d’appliquer cette décision est donc
incompréhensible, car elle aura beaucoup d’effets négatifs sur le Bac
2008, si elle est appliquée, étant donné que les programmes
scolaires ne seront pas achevés à cette date dans la plupart des
collèges et lycées publics. Approuvez-vous tout de même cette nouvelle directive de l’Uemoa ? Personnellement,
je suis contre cette décision, car si les parents ont les moyens
et les possibilités de faire participer leurs enfants à plusieurs
Bac dans la sous-région, je ne vois pas pourquoi, l’on devrait leur
barrer le chemin, surtout lorsqu’on connaît le caractère trop
difficile du Bac Béninois. Au lieu donc de se battre pour assurer le
temps scolaire intégral, susceptible de contribuer à une bonne
préparation des candidats, comme l’a fortement recommandé le forum
sur l’éducation organisé en 2007, le gouvernement s’adonne à d’autres
tâches moins urgentes. Ce faisant, il porte sans le vouloir, un coup
dur à la formation des enfants qui évoluent d’année en année, en deçà
de la normale.Organiser le Bac dès le 18 juin prochain serait donc une grave décision, selon vous ? Bien sûr que oui. Heureusement que les ministres en charge de l’éducation ont finalement compris le danger qui nous guette si cette date est maintenue. En tout cas, à l’issue des dernières négociations que nous avons eues avec eux, en présence d’autres acteurs, ils ont approuvé fortement l’idée d’un nouveau report et se préparent déjà à en faire la proposition au gouvernement à travers une communication en conseil des ministres. Ils ont finalement compris que nous risquons de tomber dans le ridicule, en voulant se hâter sur la directive de l’Uemoa, d’autant plus que d’autres pays de la sous-région, qui ont connu diverses perturbations aux cours de l’année académique , ne veulent pas s’y conformer cette année. Savez-vous que la polémique autour la date du Bac agit déjà négativement chez beaucoup de candidats, qui sont désemparés et ne révisent plus, en attendant que le gouvernement se prononce d’abord, pour être mieux fixés ? Comment évolue par ailleurs, la préparation des enseignants devant s’impliquer dans l’organisation du Bac 2008 ? La Coordination nationale des enseignants pour les travaux du Bac, dont je suis membre, devrait en principe avoir un droit de regard sur toute l’organisation depuis le choix des surveillants de salle d’examen, les correcteurs, les interrogateurs, jusqu’à ceux qui délibèrent. Mais , cela n’a jamais été le cas. L’office du baccalauréat cherche toujours à organiser les choses sans nous. Ce qui est malheureux, c’est que tout se solde par des échecs, comme l’année dernière, où il y a eu des ratés énormes dans le déroulement des épreuves écrites. Imaginez que déjà pour cette édition, un cas tout aussi grave risque de créer de nouveaux désagréments tant aux candidats qu’aux surveillants et autres ; c’est que les candidats de la série C ont été éparpillés dans plusieurs centres d’examens du département du Littoral, alors qu’on aurait mieux fait de les regrouper tous dans un seul ou deux centres. Bref, face à la complexité de la gestion du Bac, on ne voit pas toujours l’office du Bac en train d’associer ceux qui peuvent l’aider à mener à bien mission. Vous vous investissez
depuis peu à alerter l’opinion publique sur des échecs massifs qui
guettent le Bac Béninois. N’êtes-vous pas en train d’agir là comme un
oiseau de mauvaise augure ? Pas du tout. Je veux
être tout simplement réaliste. De plus, le souci qui soutient cette
attitude de ma part est la manifestation du projet pédagogique de
l’enseignant qui veut que celui-ci soit toujours à la recherche du
succès de tous ses candidats. C’est ce souci qui m’anime et qui
s’est un peu aggravé , lorsque je tiens compte de ce qui nous est
arrivé l’année dernière, et qui est une catastrophe. Il y a
fondamentalement deux phénomènes majeurs à attaquer pour mettre fin à
cette situation : la bonne exécution des programmes scolaires et la
question de la formation des enseignants. On en parle beaucoup,
mais le gouvernement s’en préoccupe très peu. Quel
bilan faites-vous alors de la mise en application des
recommandations des états généraux sur l’éducation organisée en
février 2007 par le gouvernement ? Pratiquement,
nous sommes encore à la case du départ. C’est d’ailleurs l’un des
points sur lequel, le Chef de l’Etat Boni Yayi a le plus déçu les
enseignants béninois. Il avait pourtant juré de mettre en
application, progressivement, les recommandations issues de ce forum,
qu’il a lui-même initié. Mais rien de concret depuis lors. A la date
d’aujourd’hui, l’évaluation est presque nulle, mis à part le fait
qu’on a démarré timidement la formation modulaire des enseignants
communautaires, et ceci, grâce à l’appui financier de l’Unesco. Mais
cette formation devrait commencer en même temps que celle des
contractuels, qui, elle devrait bénéficier de l’expression de la
souveraineté nationale. Hélas, cette dernière a pris les chemins des
écoles buissonnières, sous la forme d’un service militaire dont on n’a
pas du tout besoin au Bénin. Pourquoi ? De
mon point de vue, ce projet tant vanté est du pur gaspillage.
Aujourd’hui au 21ème siècle, on n’a plus besoin d’un système du
genre, surtout dans un pays qui se veut émergent. Il est vrai qu’il y
a des problèmes de pénurie d’enseignants au Bénin, mais lorsqu’on
écoute les directeurs d’écoles et de collèges dans nos départements,
on a l’impression qu’on ne demande même pas leur avis avant de leur
envoyer ces enseignants militaires. En réalité, ceux-ci n’aident qu’à
bien diriger les cérémonies du drapeau, réinstaurées par le pouvoir de
Yayi. C’est tout. Le reste est un drame. Ce sont des enseignants qui
n’ont pas appris à enseigner et ne connaissent rien de la psychologie
des enfants. Et lorsque ces derniers ont souvent des comportements
négatifs, ils répondent toujours par des réactions brutes. Comment voyez-vous aujourd’hui la situation de l’enseignant béninois après deux ans de gestion du pouvoir Yayi ? Je
crois qu’il faut d’abord saluer et féliciter le Président Boni Yayi,
pour avoir pris l’initiative d’organiser un forum national sur le
système éducatif béninois. Ce qui montre qu’il a des ambitions nobles
pour ce pays. Mais le bât blesse quand il doit passer de toutes
ses masses de théories à la pratique. En vérité, il n’a fait
qu’éponger, après deux ans de pouvoir, une infime partie de la dette
de l’Etat vis-à-vis des enseignants, contrairement à ses promesses de
campagne, où il s‘était engagé à régler la moitié avant la fin de
l’an 2006, s’il était élu Président de la République. Voilà l’un de ses
défauts majeurs, il dit toujours plus qu’il n’en fait. L’une des
choses que des gens comme moi, ne peut jamais lui pardonner est aussi
le fait que le forum a recommandé la création d’un seul ministère de
l’éducation, mais, il a passé outre et en a créé trois, pour des
raisons liées au clientélisme politique. Les conséquences sont là
aujourd’hui, car ces différents ministères ne fonctionnent pas tous
bien, faute de personnel suffisant et de moyens adéquats. On y trouve
des cabinets ministériels très peu étoffés. Le président Boni Yayi a
une vision, certes, mais moi, je n’en suis plus fier car elle est
devenue brouillonne. Propos recueillis par Christian Tchanou |
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