"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

METTRE FIN AU DIVORCE BENINOIS

ENTRE LA PAROLE ET L’ACTE

 

Chronique du 08/10/07

(Si cet article est un peu long, c'est parce qu'il vient d'une émission radiopnonique)

Je ne sais plus qui avait dit, pendant la révolution dite démocratique et populaire, à l’époque où faute de pain, les Béninois devaient surtout se nourrir de slogans et de discours lyriques, je ne sais plus qui avait dit que dans le désert économique qu’était le pays, il y avait quand même une industrie qui marchait, c’était l’industrie de la parole.
La vérité commande néanmoins de reconnaître que ce n’était pas uniquement sous la révolution que les dirigeants béninois voulaient faire passer la parole pour de l’or en barres. Longtemps avant la naissance de la révolution et depuis la mort de celle-ci, l’industrie parolière du Bénin a toujours fonctionné à plein régime. Le problème, c’est qu’à la place de l’or, elle ne sait produire que du vent.
Il y a un Béninois qui symbolise à lui tout seul ce navrant paradoxe, c’est le Professeur Albert Tévoédjrè. Certains sexagénaires se souviennent, peut être, des fameuses diatribes radiophoniques d’un jeune activiste intitulées : « Albert Tévoédjrè vous parle !… » Les plus jeunes, eux, n’ont sûrement pas oublié les lumineux concepts restés hélas !, au niveau des vaines phraséologies à savoir : « Bâtisseurs d’avenir », « Pauvreté, richesse des nations », « Minimum social commun », « Gérer autrement », « 20 000 emplois par an » etc ; etc.

[Suite:]

Il ne faut cependant pas charger le Professeur de tous les péchés d’Israël. Il est vrai que dans l’industrie parolière nationale, il est l’un des ingénieurs les plus doués et, sans doute, l’un des plus nuisibles mais beaucoup d’autres, dans ce registre, ne sont pas mal, non plus.
Je me suis toujours dit que si nous, Béninois, depuis l’indépendance de notre pays, mettions en pratique ne serait-ce que le dixième des résolutions de nos séminaires, ateliers, colloques, symposiums, forums et autre Conférence nationale – toutes ces rencontres où la belle parole est reine – le Bénin aurait déjà atteint un niveau de développement proche de celui du Japon.
Heureusement qu’en ce qui concerne la Conférence nationale, il y avait pour ainsi dire, obligation de résultats immédiats. C’est pourquoi ses belles résolutions furent immédiatement mises en œuvre, et fonctionnèrent plutôt bien, en tout cas tant que les béninoiseries restèrent au placard.
Pour le reste, vous êtes comme moi témoins, ce sont les mêmes acteurs de la Conférence nationale qui avaient fait de fort belles professions de foi dans le genre « Plus jamais ça ! », ce sont ces mêmes acteurs qui, par la suite, sont devenus d’actifs prédateurs des ressources nationales.
Donc, disais-je, si nous mettions en pratique ne serait-ce que le dixième des merveilleuses résolutions de nos séminaires, ateliers et autres grands messes, le Bénin ne serait pas loin du niveau de développement du Japon.
Un exemple type de ces grands messes, ce sont les Etats généraux. Il m’est arrivé d’en lire deux de bout en bout, il y a quelque temps, et j’avoue avoir été sidéré par la lucidité et la franchise des diagnostics posés, la pertinence et la qualité des solutions proposées. Pour le profane que j’étais, si de telles solutions avaient été effectivement mises en application, ce serait aujourd’hui le paradis dans les domaines concernés. Et je parle sérieusement… Malheureusement, dans ces domaines, comme dans beaucoup d’autres dans le pays, c’est toujours l’enfer.
Justement, il y a un domaine de la vie nationale qui vient, si je puis dire, de sortir du purgatoire, c’est l’Ecole béninoise. Dieu sait pourtant que si, il y a quelques années, les résultats des Etats généraux dans ce secteur avaient été mis en œuvre de façon sérieuse et méthodique, nous n’en serions pas là aujourd’hui, à déplorer l’état alarmant de l’Ecole nationale. Hélas !, notre vieux principe des belles phrases sans lendemain avait encore frappé.
Mais le pire, c’est que la mise en application des résolutions du récent Forum sur l’Education, forum organisé pour parer au plus pressé, pour sauver l’essentiel en attendant, la mise en application des résolutions de ce Forum est entrée, elle-aussi, dans le domaine de l’aléatoire. La faute à qui ? Sans doute à notre cher vieux principe des belles phrases sans lendemain !
Il y a pourtant péril en la demeure : l’Ecole béninoise est malade, et a besoin de soins ou de résolutions autres que théoriques et/ou aléatoires. Le problème, c’est que même dans les sphères en charge de l’Education, certains ne semblent pas avoir une conscience claire de la gravité de la situation. Pire, dans les plus hautes sphères de l’Etat, malgré les propos qui tendent à faire croire le contraire, beaucoup ne sont pas plus éclairés. Il est vrai que quand vous entendez parfois des responsables de l’Education et même des ministres parler du charabia à la télévision ou à la radio, vous vous dites que ce n’est sûrement pas ceux-là qui pourraient avoir une conscience aiguë de ce que le niveau scolaire dégringole dans le pays.
Mais bon, la crise sévère qui vient d’avoir lieu autour de la rentrée a au moins permis de se rendre compte qu’il y a quantités de problèmes non encore résolus. Pour cela, les Béninois devraient remercier les syndicats enseignants. Si ceux-ci n’avaient pas tenu bon dans leur farouche détermination, nous aurions été obligés de dire amen aux ministres et autres responsables qui défilent sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio, pour nous assurer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes scolaires au Bénin. Et la dégringolade aurait continué.
Gageons donc que l’offre de dialogue faite par le chef de l’Etat aux syndicalistes ne soit pas très tôt pervertie par ceux que j’ai qualifiés, il n’y a pas très longtemps, d’assassins de l’Ecole béninoise ; et qu’aussi bien dans la forme que dans le fond, les problèmes soient enfin examinés avec sérieux, rigueur et esprit prospectif. Esprit prospectif parce que l’école sur laquelle repose l’avenir de la nation, ne peut pas continuer d’être administrée de façon aléatoire, avec des expérimentations hasardeuses ou mal appliquées et, sans arrêt, objet de solutions d’attente pour parer au plus pressé.
Cependant, si je laisse le fond du problème aux spécialistes, je ne peux pas ne pas me prononcer sur la forme. La forme, ce sont, entre autres, les infrastructures scolaires. On nous a dit et redit que le gouvernement a fait bâtir dans l’urgence des centaines de salles de classe et va en faire bâtir des milliers d’autres.
Vous avez pourtant vu, comme moi, lors des divers reportages télévisés sur la rentrée, des salles de classe qui n’ont de salles que le nom. A ce stade, me reviennent en mémoire mes propos d’il y a quelques années sur la question, je suis obligé de me citer : « Comme a dit quelqu'un, certaines salles de classe au Bénin sont plutôt des … salles de crasse. Des salles de crasse, installées pour la plupart sous des appatams branlants et incertains, ouverts à toutes les intempéries. Des salles de crasse innommables, fréquentées par des gamins faméliques, mal lavés et mal vêtus. Les enseignants dans lesdites salles sont généralement des quidams paumés, aussi faméliques et mal vêtus que leurs élèves, et totalement désabusés, pour la plupart.
Joli tableau !…
Joli tableau devant lequel on ne peut pas ne pas se poser la question de savoir ce qu'ils ont bien pu fabriquer, les ministres qui se sont succédés à la tête de l'Éducation nationale depuis plus de quarante ans. » Fin de citation.
Effectivement, quand j’ai revu l’état de certaines salles de classe, tel que montré par les reportages télévisés, mon indignation de naguère est toujours intacte : comment des ministres successifs de l’Education ont-ils pu accepter que l’on dispense le savoir à de petits compatriotes à eux, dans de telles conditions ? Mon indignation est d’autant plus intacte qu’il n’est un secret pour personne qu’au fil des ans, l’Etat a régulièrement injecté des centaines de milliards de francs dans la construction des infrastructures scolaires. Comment expliquer que quelques uns au moins de ces milliards n’aient pas été consacrés à une opération du genre : « Plus de salles de classe sous appatam et ouvert à tous les vents au Bénin ! » ? La chose est possible ; il aurait suffi qu’une ou un ministre refuse que l’on continue de dispenser le savoir aux petits béninois, dans de telles honteuses conditions. Il faut croire que les ministres successifs de l’Education n’ont pas de cœur et ne savent pas ce que c’est que la honte.
Et quand on ajoute au flot des centaines de milliards de l’Etat, le flot des centaines de milliards des bailleurs de fonds qui ont irrigué l’Ecole nationale au fil des ans, on ne peut pas comprendre que certaines situations soient encore des réalités aujourd’hui.
Là, resurgit ma grande déception concernant les audits aux résultats hélas ! inaboutis : il n’est pas convenable que tant de milliards aient irrigué les infrastructures scolaires et qu’il y ait encore des appatams branlants qui tiennent lieu de classes dans de nombreuses localités du pays. Les assassins sans cœur et sans pudeur, qui ont détourné tous ces milliards à leur profit, doivent rendre gorge.
Par ailleurs, je m’en voudrais de ne pas aborder la question de la revalorisation de la fonction enseignante, une autre des revendications des syndicats. Il est tout de même étrange que presque partout au monde, l’importance pour la nation que l’on reconnaît aux enseignants est toujours inversement proportionnelle au salaire qu’on leur paye. A ce propos, je ne me lasse pas de relire ce qu’en a dit un romancier français – Hervé Bazin – pour qui j’ai la plus grande admiration, je le cite : « Il ne faut respecter personne autant que les bons instituteurs. Plus les enfants sont jeunes, plus il est compliqué pour eux d’assurer à la fois la garderie, l’éducation première, l’étude des connaissances de base et, surtout, ce goût d’apprendre ; ou plutôt, ce goût d’apprendre à apprendre qui sera décisif. Pourtant cela se voit, l’importance, la dignité, le salaire des enseignants se mesure d’ordinaire à la taille de leurs élèves. » Fin de citation. C’est cela, le paradoxe quasi universel.
Le combat actuel des enseignants béninois, qui a l’air de bénéficier d’un regard de plus en plus bienveillant du chef de l’Etat, parviendra-t-il à mettre un terme à ce paradoxe ? Peut être bien que oui ! Dans ce cas, l’exception pourrait venir alors d’un tout petit pays du Golfe de Guinée appelé Bénin.
C’est ce que je crois.
T.L.F

 



20/10/2007
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