"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Alain ADIHOU écrit au président pour qui il a fait campagne

LE BENINOIS LIBERE  - - 15 février

‘’LE BÉNIN NOTRE PAYS RESTE-T- IL UN ÉTAT DE DROIT ? SI OUI, MA DÉTENTION SE JUSTIFIE-T-ELLE TOUJOURS’’ ?

Excellence, Monsieur le Président de la République,

En deux ans, je vous écris pour la troisième fois. Dans ma première lettre, de mai 2006, je vous faisais le point sur les conspirations dont je me sentais être l’objet et me savais victime dans le cadre du projet de réforme du système électoral chez nous. La deuxième fois que je me suis adressé à vous, c’était lorsque je vous ai fait ampliation de la lettre envoyée, en juillet 2007, au Président de la Chambre d’Instruction de la Haute Cour de Justice faisant constater le blocage de l’instruction pour vices de procédure. Cette fois-ci, j’ai choisi de passer par une lettre ouverte. Par cette formule, je souhaite que l’opinion publique nationale et internationale soit témoin de mes propos, vu que le contenu de ceux-ci n’a, à mon avis, rien de confidentiel.

Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter, vous et votre gouvernement, pour la décision salutaire que vous avez récemment prise en faveur de la réalisation de la Liste Électorale Permanente Informatisée (LÉPI). Comme votre prédécesseur immédiat, vous donnez ainsi la preuve que vous vous préoccupez désormais de faire faire chez nous des élections crédibles, propres et transparentes sans être obligé de contrôler l’organe en charge de celles-ci. Avec vous, votre gouvernement et les partenaires techniques et financiers, je me félicite d’avoir déféré aux instructions de votre prédécesseur immédiat, le général Mathieu Kérékou, en concevant et en élaborant, avec les cadres de différents ministères de la République, ce qu’on appelle communément aujourd’hui le « projet LÉPI ». En réalisant un tel projet dans la période mi 2008-début 2011, vous permettrez à la démocratie béninoise de gagner en maturité en renforçant la gouvernance électorale dans notre pays. J’avais déjà prévu et noté dans le document de faisabilité de ce projet que, passée la période d’accalmie électorale mi 2003-début 2006, il est indiqué que l’on mette à profit celle de mi 2008-début 2011. Même si nous avons, tous acteurs confondus, fait perdre à notre pays cinq (05) ans et fait souffrir bien des gens dont moi-même, il vaut mieux tard que jamais. Félicitations donc, Excellence, Monsieur le Président de la République.

Cependant, en même temps que je me réjouis de cette décision, je voudrais attirer votre attention sur ma préoccupation actuelle, toute simple, clairement perceptible dans le titre de la présente lettre, à savoir : ‘’le Bénin, notre commune patrie que vous avez la charge de diriger aujourd’hui, reste-il toujours un État de droit ? Si oui, ma détention préventive prolongée depuis seize (16) mois dans le cadre d’une instruction bloquée pour vices et anomalies de procédure, se justifie-t-elle toujours’’ ?

Pour vous aider à m’aider à répondre à ma double question, et ce faisant, donner à l’opinion publique nationale et internationale l’occasion de se faire une idée sur ce que je vis personnellement et de manière générale sur le quotidien des droits de la personne humaine dans le Bénin d’aujourd’hui, je vous présente ci-après en six (06) points mes observations sur les irrégularités et anomalies de procédure qui ont entaché une instruction démarrée le 25 octobre 2006 et bloquée depuis juillet 2007.

En premier lieu, je relève avec grande surprise que je n’ai pas été soumis à l’exigence pourtant péremptoire de prorogation régulière de mon mandat. Or, dans le droit positif béninois, il n’existe nullement une détention préventive à vie. Le législateur béninois a fixé à 6 mois la durée de validité de tout mandat de dépôt décerné contre tout inculpé. Ce mandat ne peut être renouvelé qu’à la double condition d’être soutenu préalablement par des réquisitions motivées du ministère public et après quoi, par une ordonnance également motivée du magistrat instructeur. La procédure applicable devant la Haute Cour de Justice, et dans le cas présent dans la phase de l’instruction, étant régie par celle prévue par le code de procédure pénale, la Chambre d’Instruction près cette juridiction se doit de se soumettre aux exigences rigoureuses qui découlent des articles 118 et 119 du code de procédure pénale. Dans le respect des exigences, le détenu, dont la prorogation de détention préventive est envisagée par le magistrat instructeur, doit recevoir notification d’un tel avis 24h avant la date du terme de son mandat de dépôt. On ne peut expliquer en droit le fait que dans le cas d’espèce, le mandat de ma détention étant venu à terme le 24 avril 2007 à minuit, je n’ai reçu aucune notification le 23 avril 2007, ni aux dates suivantes avant le 07 mai 2007, alors même que par lettres en date du 27 avril et reçues le 30 avril 2007 au greffe de la Haute Cour de Justice , deux de mes avocats se sont permis de le rappeler à l’attention de la Chambre d’Instruction. La rigueur du respect qui est dû à la règle ne fait l’ombre d’aucun doute dans l’esprit d’aucun magistrat du Bénin, encore moins dans celui des avocats béninois. Il en est de même de la conséquence juridique qui s’ensuit, à savoir : la mise en liberté de droit. A juste titre, mes avocats avaient compris que la Chambre d’Instruction avait ainsi opté pour mettre fin à la détention préventive de leur client. Ils ne pouvaient légalement penser autrement surtout lorsque l’inaction de la Chambre a persisté sur 14 jours, alors même qu’ils ont dû adresser des lettres. La Chambre, composée de hauts magistrats, ne peut soutenir méconnaître la portée et les conséquences de la règle. Aussi, n’est-ce donc pas sans surprise qu’ils ont constaté, et moi-même avec eux, qu’au lieu d’ordonner ma mise en liberté pure et simple, le Président de la Chambre tente depuis le 07 mai 2007 de modifier les données juridiques d’un droit déjà acquis à mon profit, en me faisant notifier le 07 mai 2007, et le 15 mai 2007 à mes avocats, une ordonnance de prorogation de détention préventive.

En second lieu, la Chambre d’Instruction persiste à me maintenir en détention, alors même que la Cour constitutionnelle, après avoir affirmé le caractère légal de ma détention, n’a pas hésité à décider que le Président de ladite Chambre a violé les dispositions de l’article 35 de la Constitution. La lecture de l’article 35 de la Constitution consacre l’existence d’une faute. Et la conséquence de cette faute établie à l’article 2 de la décision DCC 07-043 en date du 22 mai 2007, est de me faire recouvrer purement et simplement ma liberté d’aller et de venir.

En troisième lieu, l’ordonnance de prorogation de détention préventive en date du 23 avril 2007 apparaît manifestement comme un acte de sauvetage. En effet, pour être datée du 23 avril 2007, c’est que l’ordonnance était disponible dans les délais. On ne peut donc expliquer sa non notification alors qu’il n’est rapporté nulle part que madame le greffier en chef, habilitée à le faire, était en état d’empêchement à cette date ou l’était le 24 avril 2007, la date limite, encore moins les autres jours qui ont suivi et ceci jusqu’au terme de 14 jours. A preuve, le 07 mai 2007, malgré la situation de grève dans les services judiciaires, c’est elle-même qui s’est présentée à la prison civile de Cotonou aux environs de 10h pour accomplir devant le Régisseur ce devoir de notification. De même, elle a participé à l’audience d’instruction le 15 mai 2007 à laquelle la même notification a été reprise pour le compte de mes avocats, et toujours en dépit de la situation de grève. Je note pour mémoire que du 23 au 30 avril 2007, il n’y avait pas eu grève dans les services judiciaires.

En quatrième lieu, je constate que le Parquet général de la Cour d’Appel de Cotonou n’a pas été associé à la prise de l’ordonnance de prorogation de ma détention. La mention qui y est portée indique qu’à la date du 23 avril 2007, ce Parquet général n’a pas pris ses réquisitions, et ce au motif de la vacance du poste du Procureur Général depuis mars 2007. Or, l’article 119 du code de procédure pénale applicable en l’espèce, rend obligatoires les réquisitions du ministère public, lesquelles doivent être motivées comme conditions préalables à la prorogation de tout mandat de détention préventive. Aucune exception n’est prévue par la loi. Au contraire, la loi a insisté sur l’obligation de motivation de la part des deux autorités judiciaires qui concourent à la prise de la mesure, à savoir le Procureur Général et le Magistrat instructeur. Sans ambages, je soutiens donc, outre les autres motifs déjà évoqués, que l’ordonnance de prorogation de ma détention n’est pas valide.

En cinquième lieu, et en me fondant sur le motif de vacance de poste évoqué, je m’interroge sur le sens et la portée de l’article 73 de la loi n°2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature : « en cas de vacance d’un emploi dans la magistrature ou lorsque le titulaire est absent pour congé ou atteint par un empêchement l’obligeant à suspendre l’exercice de ses fonctions, le service est assuré conformément aux dispositions ci-après : …le Procureur Général près la Cour d’Appel est remplacé de plein droit par l’Avocat Général le plus ancien dans le grade le plus élevé et à défaut d’Avocat Général par le Substitut Général le plus ancien dans le grade le plus élevé… »

En sixième lieu, toujours par rapport à ma situation de détenu, je soutiens avec force que ce n’est pas la date de la prise d’ordonnance de prorogation qui est à prendre en considération mais celle à laquelle tout détenu en a pris connaissance ou a été mis en mesure d’en prendre connaissance. Je rappelle alors que, bien que datée du 23 avril 2007, ce n’est que le 07 mai 2007 à 10h que j’ai été mis en mesure de prendre connaissance de ladite ordonnance.

Tout magistrat peut porter sur une ordonnance la date qu’il veut. C’est seulement celle de sa notification qui est opposable au détenu puisqu’à cette occasion, le greffier recueille la signature et l’identité de ce dernier, et au besoin la date et l’heure. Je précise par ailleurs qu’en l’espèce, en tant que détenu, je ne dispose d’aucune possibilité ni moyen de droit pour vérifier la certitude que l’ordonnance prorogeant ma détention a été effectivement prise le 23 avril 2007 si ce n’est que par la notification qui devait m’en être faite dans les délais légaux de validité de mon mandat de dépôt, avec mention sur le double de l’acte dont on devait me remettre copie.

Tout magistrat, plus sérieusement un magistrat instructeur, tout parquetier, connaît bien la règle. C’est pourquoi je demande simplement qu’à l’étape actuelle de la procédure entachée de ces irrégularités et anomalies, justice me soit rendue, à moins que nous ne soyons plus dans un État de droit.

En effet, de mon avis de simple justiciable ne méconnaissant pas les textes et la jurisprudence, les circonstances de la prise de l’ordonnance confirment le bien fondé de ma demande de mise en liberté d’office, quitte à ce que l’instruction continue sans mandat. Car, la non collaboration du Parquet Général de la Cour d’Appel de Cotonou à la prise de cette ordonnance, au mépris des dispositions de l’article 73 de la loi n° 2001-35 sus indiquée, constitue une faille juridiquement déterminante qui, venant après le temps anormalement long mis pour me la notifier, est de nature à rendre cette ordonnance invalide.

Le magistrat instructeur ne peut se donner le temps de son choix pour signifier à un détenu la décision prorogeant sa détention et soutenir que ce délai mis à l’accomplissement de cette formalité, de surcroît substantiel, n’a aucune influence sur celle-ci, alors que la loi a fixé la durée du mandat de dépôt à proroger. Il ne le peut davantage en ce qu’aucun détenu ne dispose d’aucune possibilité au regard de la loi pour s’assurer de la certitude de la date de la prise de l’ordonnance prorogeant sa détention, si ce n’est que par la notification qui lui est faite avec remise de copie dans les délais légaux de validité du mandat de dépôt à proroger. Dès lors que cette notification intervient manifestement au-delà du terme du mandat de dépôt à proroger, c’est à bon droit que ce détenu pourra soutenir qu’il y a incertitude sur la date de la prise de la décision qui lui est notifiée.

Au total, je soutiens que ma détention légale a pris fin le 24 avril 2007 à minuit. Et c’est pourquoi, je garde l’espoir que le droit sera dit, que justice me sera faite et que je recouvrirai bientôt ma liberté, l’instruction devant continuer désormais sans mandat.

Conduire l’instruction à son terme et en rendre compte à l’institution de la République désignée à cet effet par la Constitution de notre pays sont une exigence constitutionnelle à laquelle ni la Chambre d’Instruction, ni le justiciable que je suis, ne peut se dérober. Au regard de toute la désinformation orchestrée à mon encontre, cette exigence constitutionnelle devient une exigence morale pour moi. Autant donc je réclame le recouvrement pur et simple de ma liberté d’aller et de venir découlant de la faute de droit commise par le magistrat instructeur, autant je suis attaché à la finalisation de l’instruction dans des conditions de professionnalisme et de probité sans faille, car aucun citoyen n’a le droit ni le pouvoir de se jouer de l’honneur d’un autre.

Ainsi donc, Excellence, Monsieur le Président de la République, vous comprenez que je ne demande aucune faveur, mais simplement la non-modification et la jouissance sans délai d’un droit acquis, le droit d’aller et de venir librement, s’il est vrai que notre pays commun reste toujours un État de droit. Ce que je demande est connu de tout magistrat instructeur et de tout avocat béninois. La jurisprudence en la matière ne fait l’ombre d’aucun doute. A titre d’exemple, il me plait de citer un seul cas, celui d’une affaire opposant ministère public et partie civile à un justiciable dans le dossier judiciaire n° 35/RI/1996 traité au niveau du 2éme Cabinet d’Instruction du Tribunal de Cotonou. Pour défaut de prorogation du mandat de dépôt dans les délais, l’inculpé et détenu, dont il est question dans cette affaire, a interjeté appel auprès de la Chambre d’Accusation qui lui a donné raison par son arrêt en date du 14 juillet 1997, et le détenu a été mis en liberté d’office. Tout citoyen béninois sérieux est porté à se demander pourquoi la Chambre d’Accusation qui, dans le cas d’espèce, a dit le droit en faveur d’un justiciable en passe d’être lésé par un juge se refuse-t-elle, en sa qualité de Chambre d’Instruction, à la même rigueur et objectivité après avoir commis elle aussi la même faute que le magistrat instructeur de première instance ?

Il est à noter, enfin, que dans la présente démarche, j’ai délibérément choisi de n’aborder que l’aspect purement procédural d’un dossier multi facette.

Vous remerciant par avance de l’attention et de l’intérêt que vous accorderez personnellement à la présente démarche de ma part, je vous prie d’agréer, Excellence, Monsieur le Président de la République, l’expression déférente de ma haute considération.



15/02/2008
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