Apostrophe
SERVITUDE OU
INDEPENDANCE ?
La presse béninoise de façon générale et plus
particulièrement les médias audiovisuels traversent une crise larvée qui, si
l’on n’y prend garde, risque, à terme de mettre un coup de frein à un acquis
fondamental de la
Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation de février 1990. En
effet, à ce forum fondateur du renouveau, né d’un consensus historique, à une
période charnière où tout un peuple devait soit périr soit renaître comme le
sphinx de ses cendres, l’option de la liberté d’opinion et d’expression a été
choisie pour servir, comme dans tout système démocratique de socle au processus
enclenché. C’est énoncer une vérité de la Palisse que de rappeler ici, le rôle des organes
de presse, de quelque ordre qu’ils soient , dans l’exercice et la consolidation
de cette liberté chèrement acquise, véritable sève nourricière de notre
démocratie. Ce qui me semble plus utile ici, est de signifier, la part de
responsabilité, bien prépondérante, des médias publics, notamment ceux
audiovisuels, quand on sait leur audience et leur impact sur les populations,
autant dans les grandes villes que dans les campagnes les plus reculées. La
presse, reconnaissons-le, même si elle n’apparaît pas dans la célèbre taxinomie
de Montesquieu au siècle des lumières, est aujourd’hui considérée comme le
quatrième pouvoir, qui surveille l’exercice des trois autres et joue à la fois
un rôle de médiateur et de contrôle de leur action. Dès lors, elle se doit non
d’être un simple outil de propagande au service du pouvoir central-
essentiellement l’exécutif- , mais plutôt un reflet fidèle critique de la
diversité des opinions qui fleurissent dans la cité. Plus que tous les autres
organes, le service public, même s’il dépend structurellement du pouvoir
exécutif, a le devoir de ne pas être inféodé à celui-ci. La polémique actuelle
sur les réformes de France Télévision et la nomination de son président par
l’Elysée, illustre tout à fait la délicatesse de la mission confiée aux médias
publics et la problématique de leur indépendance. L’ORTB, puisqu’il faut finir
par le nommer est victime depuis 2006 d’un « yayisme », qui, quelque
sincères que soient les convictions de ceux qui l’animent atrophie
dangereusement la liberté d’expression, réduit le pluralisme des idées et
laisse un goût amer à ceux qui ont fait leur cette maxime de Voltaire :
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai
jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. » Le constat est patent
aujourd’hui que nos chaînes publiques sont victimes d’une forme d’autocensure,
d’un tri de l’information qui ne laisse nulle place à une tranche de l’opinion
qui estime que les décisions du pouvoir, autant du point de vue du fond que de
la forme, ne sont pas pertinentes et judicieuses. Comment comprendre que dans
une conjoncture dominée par l’inflation galopante, la baisse du pouvoir
d’achat, la crise alimentaire et pétrolière, la crise institutionnelle notamment
au parlement, aucun débat contradictoire ne soit organisé sur la télévision
publique. Les vox populi orientés, les commentaires partiaux des reporters
caractérisent malheureusement la télévision publique à l’heure actuelle. On est
en droit de se demander si les polémiques qui ont précédé la nomination du
directeur général ne reflétaient pas des inquiétudes fondées. Il y a une
quinzaine d’années, une kyrielle d’émissions politiques de qualité étaient
organisées et ravissaient ceux qui, comme moi, estiment que la vérité jaillit
de la confrontation d’opinions opposées. Il y a une quinzaine d’années, nous
étions nourris par les joutes oratoires de T. Holo, r. Dossou, A Tevoedjre, J.
Sacca Kina et tant d’autres tribuns… La rédaction de l’ORTB a le devoir d’être
plus exigeante quant à la qualité de notre service public. S’il est vrai qu’en
portant Dr Boni YAYI au pouvoir , le peuple avait à cœur prioritairement des
préoccupations économiques, il est également vrai qu’il serait inacceptable, en
suivant certains modèles asiatiques archaïques, de vouloir retourner à
l’opinion unique. Au Bénin où la responsabilité du chef n’est jamais engagé ,
j’en appelle au pouvoir politique, qui doit, paradoxalement, prendre des
mesures pour que nos médias publics redorent leur blason car l’ORTB n’est pas
la télévision birmane ou la
CCCTV.
Ulrich BOCO, juriste, maître ès lettres modernes,
Professeur au cours Secondaire Protestant
P.-S.