Le guide libyen, Mouammar el Kadhafi, a une constance quand il
débarque dans les pays « frères » africains: celle d’arroser ses hôtes de ses
largesses, d’agiter sous leurs nez son chéquier épais et insolent. Pour sa
visite au 10 ème sommet de la
CEN-SAD à Cotonou, la tradition, une fois encore, a été
respectée. Tracteurs, vivres, ordinateurs, voitures, villas, hôtels, promesses
et autres lunes ont été offerts au Bénin. Bien sûr, notre président, sourire
banane aux lèvres, a accueilli tous ces présents les bras ouverts. C’est de
bonne guère.
A voir où nous en sommes, à observer l’indigence dans laquelle nous
vivons, il ne serait pas venu à l’idée de personne – fut-ce un âne bâté – de
cracher dans la soupe. Cotonou, capitale vitrine, a besoin de ces infrastructures
pour s’offrir un brin de modernité.
Or donc, la réception de ces cadeaux implique, pour le récipiendaire,
l’acceptation d’un exercice nettement moins commode: se laisser marcher sur les
pieds, avaler des couleuvres sans rechigner. Et sur ce chapitre-là, Kadhafi ne
coupe guère dans la dentelle.
On se rappelle qu’au temps béni de Kékéréké deuxième costume, le guide libyen,
venu en terre béninoise avec ses pétrodollars, s’était permis d’insulter lors
d’un meeting au stade Charles de Gaulle de Porto-Novo, nos « petits dieux
vaudous ». Il avait estimé qu’il n’y avait de religion que celle musulmane et
que chrétiens et adeptes d’autres cultes seraient bien inspirés de jeter
par-dessus bord croix et talismans. Et de mettre en garde les béninois contre
l’envie qui leur prendrait de ne pas voter pour Mathieu Kérékou alors en lice
pour un nouveau mandat.
Huit ans après, la logique du colonel n’a pas pris une seule ride. Au
contraire. A l’occasion du sommet de la CEN-SAD, il a remis ça. Cette fois-ci, en
s’offrant tout simplement la tête des organisations sous-régionales, en
décrétant sans ambages leurs échecs, leurs incapacités à résoudre les problèmes
des africains. Des diatribes en bonne règle, comme le héros de la révolution
d’el Fath sait le faire, sans diplomatie, ni gant, en présence des chefs
d’états et des présidents des institutions décriées.
Certes, ces attaques ne sont pas infondées. Certes, la CEDEAO, l’UEMOA, la CEMAC et la SADEC ont montré leurs
limites. Mais ce sont encore elles, ces organisations sous-régionales qui
tentent, malgré tout, d’initier et de réussir quelques actions : comme par
exemple, le financement de l’agriculture, la construction de barrages, le tracé
des routes, l’ouverture de pistes, les adductions d’eau dans les campagnes,
etc. Servant d’interfaces à ces actions, les organismes bancaires en réseaux
créés à cette fin : la BAD,
la BCEAO, la BOAD, le FAGACE, pour ne
citer que ce qui se fait en Afrique occidentale…
Bien sûr, les africains sont les premiers à déplorer les faibles résultats
obtenus par ces institutions. Mais si les états eux-mêmes ont passé le plus
clair de leurs temps à s’abîmer en guerres civiles, à se livrer des combats
d’arrière-garde, à se laisser instrumentaliser par les puissances d’argent, y
compris les pétrodollars de…Kadhafi, comment auraient-ils pu parvenir à une
croissance économique, facteur de tout développement ? Rappel utile : des
années quatre-vingt jusqu’à l’an deux mille, le guide libyen était soupçonné
d’être dans les coups les plus tordus : rébellion en Sierra Léone, guerre
civile au Libéria, putsch manqué en Côte d’Ivoire, conflit fratricide au Tchad.
Le colonel aurait sous son djellaba bien de squelettes à justifier
Un colonel rêveur d’une Afrique unie, une Afrique aux frontières abolies au
sommet duquel il trônera, lui, comme président. Tant pis si, quelques mois
auparavant, il avait chassé de la
Libye les ressortissants des pays « frères »! Tant pis, si
des policiers avaient poursuivi au gourdin ces immigrés coupables d’être «
noirs et de puer » ! D’ailleurs, n’avait-on pas dit que ces « singes » étaient
considérés comme des facteurs de « maladie et d’insécurité » ?
De toutes les façons, il ne se trouvera aucun chef d’état africain pour
rappeler à Mouammar ce passé si douloureusement proche. Liés à lui par la
diplomatie du chéquier, ils lui diront qu’il est le plus beau, le plus
intelligent, le plus riche et qu’ils sont prêts à laisser la souveraineté de
leur pays au profit d’un gouvernement continental.
Mais tout le monde sait qu’un tel engagement ne compte que pour du beurre et
que la comédie a été orchestrée juste pour bénéficier des pétrodollars du
bédouin. Une hypocrisie qui ressemble cruellement à la situation des jeunes
femmes supposées vierges qui vont offrir, le jour de leur mariage, la preuve de
leur innocence à leurs époux : du sang de poulet. Tout le monde sait, mais on
fait comme si !
Florent COUAO-ZOTTI (Ecrivain) |