"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Cour constitutionnelle, quatrième mandature

Hebdomadaire Catholique: Justice - Vérité - Miséricorde


Comment  gérer les préjugés  ?

Entretien avec Gilles Badet, professeur de Droit à l’Université d’Abomey-Calavi

La gestion des préjugés qui pèsent sur les membres de la prochaine Cour constitutionnelle, quatrième mandature, pose le problème de la légitimité des juges constitutionnels, c’est-à-dire la confiance qu’ils inspirent à ceux qui recourent à leur service, à leur médiation, à leur compétence juridique et judiciaire.
La première forme de légitimité qui doit être dégagée de leur travail est la qualité des décisions qu’ils vont rendre, la conformité de ces décisions au droit. Quoi qu’on dise, même si les secteurs dans lesquels ils interviennent rentrent parfois dans le domaine politique, ils doivent appliquer une science : la science juridique. On peut, à travers le droit comparé et  la jurisprudence, juger les décisions que les nouveaux sages seront amenés à prendre. Et s’il n’y a pas trop d’écart entre les nouvelles décisions rendues et ce que dicte la jurisprudence ou le droit comparé dans les pays où la justice constitutionnelle fonctionne bien, alors les membres de la haute juridiction, en matière constitutionnelle, vont inspirer confiance. Mais il faut qu’on réfléchisse sur comment faire pour éviter ces préjugés à l’avenir ?
Je pense d’abord qu’il faut revoir le mode de désignation des juges. Actuellement, le bureau de l’Assemblée nationale choisit quatre membres de la Cour constitutionnelle; le président de la République choisit les trois autres membres. Si le bureau de l’Assemblée nationale est de la même couleur politique que le président de la République, on pourrait assister à la désignation des sept membres de la Cour par une même tendance politique. Et forcément dans ce cas, les autres forces vont craindre que les décisions rendues par les juges ne soient orientées. Il faudrait donc confier la désignation des quatre membres du bureau du Parlement à la plénière de l’Assemblée nationale.
Par  ailleurs, il n’y a pas que les politiques, c’est-à-dire le président de la République et le président de l’Assemblée nationale, pour désigner les membres de la Cour constitutionnelle. Comme il s’agit d’une juridiction, on peut bien demander à l’assemblée générale des magistrats de désigner leur représentant pour siéger à la Cour constitutionnelle. Le barreau et les professeurs de droit à l’université peuvent aussi se réunir en assemblée générale pour désigner des représentants pour la Cour constitutionnelle. Evidemment, on laissera quelques places au président de la République et au président de l’Assemblée nationale pour compléter la liste. C’est ce qui se passe au Niger et ailleurs. Ceci permet de rassurer tout le monde.
On peut aussi envisager que toutes ces personnes envoient une liste soumise à l’Assemblée nationale qui, en dernier ressort, choisit parmi elles les membres devant siéger à la Cour constitutionnelle. La légitimité des nouveaux membres de la Cour constitutionnelle réside donc dans la qualité des décisions qu’ils auront à prendre et également dans le droit comparé. Ils ne partiront pas du néant. Ils ne prendront pas des décisions qui n’ont jamais été prises nulle part. Ce serait extraordinaire que cela arrive. Leurs premières porteront sur des éléments qui ont déjà fait objet de décision par leurs prédécesseurs. Soit de la Cour constitutionnelle du Bénin, soit de la Cour constitutionnelle des pays démocratiques. Elles pourront être comparées avec ce qui se fait d’habitude, soit en droit comparé avec ce qui se passe dans les pays démocratiques. Et cela va permettre de savoir s’ils sont dans la science juridique ou s’ils veulent faire la politique.
Un autre niveau d’ap-préciation ou de conquête de leur légitimité peut être dans le respect des délais de prise de décision. Les juges constitutionnels peuvent jouer sur les délais. Si un problème les embarrasse, ils peuvent le mettre de côté et ne jamais prendre de décision ou laisser passer tous les effets négatifs avant de rendre une décision postérieure qui ne change rien à la situation. La qualité et les délais seront donc des éléments d’appréciation du souci de se donner une certaine légitimité. Il faudrait aussi également toucher aux garanties qu’on leur offre dans l’exercice de leur fonction.
Aujourd’hui, ce sont les juges qui ont plus de garanties : indépendance, immunité contre les arrestations, etc. En dehors de toutes ces garanties, il faudrait voir aussi du côté de la sécurité de leur emploi. Il faudrait revoir la manière dont le mandat des membres de la Cour constitutionnelle se déroule. Dans certains pays, le juge constitutionnel est désigné pour siéger jusqu’à sa retraite. Il reste en fonction donc jusqu’à sa retraite, de sorte qu’il n’espère plus grande chose après la Cour constitutionnelle. Dans ce cas, les membres de la Cour constitutionnelle ne sont pas portés à rendre service, notamment au président de la République. Un juge constitutionnel relativement jeune, ayant espoir d’être appelé au gouvernement ou envoyé dans un organisme international, après son mandat à la Cour constitutionnelle,  sera porté à rendre  service  au président de la République. Au contraire s’il est gardé au poste avec un statut qui lui permet de conserver certains avantages, il se soustrait de cet appât. C’est pour cela que dans certains pays, le mandat de la Cour constitutionnelle est fixé à 9 ou 10 ans. Ou alors, il est fixé un âge de retraite à 70 ans  pour le juge constitutionnel. C’est le cas par exemple de la Belgique.
Voil
à autant de pistes qui peuvent contribuer à l’indépendance et à la crédibilité des membres de la Cour constitutionnelle, quatrième mandature.

Propos recueillis par
Alain Sessou et
Guy Dossou-Yovo



09/06/2008
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