La mauvaise guerre du gouvernement contre le « kpayo »
In le Matinal 11 juin 2008
Face à la crise
financière et alimentaire qui secoue actuellement le monde, le gouvernement
béninois a su prendre différentes décisions pour contenir la colère du peuple
et survivre à la « tempête », notamment en subventionnant les
produits alimentaires et les hydrocarbures. Mais il faut craindre désormais que
l’embellie ne puisse durer. Surtout avec la guerre déclenchée actuellement
contre l’essence kpayo.
Devant la crise des marchés financiers et
l’envolée vertigineuse du prix du pétrole qui secouent actuellement tous les
pays du monde, les gouvernements adaptent leur politique nationale. Mais les
mauvaises nouvelles de Wall Street, la persistance de la flambée de la crise
alimentaire (plus de 53% de flambée des prix des produits alimentaires au cours
des quatre premiers mois de 2008 par rapport à la même période de 2007) et les
politiques nationales actuellement prises par les pays d’Asie et d’Amérique
latine pour contrôler leur exportation de riz, de maïs et de blé ; la
montée progressive du prix du baril de pétrole et la volonté des Grandes
Puissances d’interdire les subventions sur le carburant dans les pays du monde,
tout cela n’est pas pour arranger aujourd’hui, au Bénin, la politique du
gouvernement du Dr Yayi Boni sur le plan socioéconomique. En effet, ces
multiples décisions sur le plan international ne vont pas manquer, dans une
grande mesure, de démolir gravement, dans les prochains jours, les efforts du
gouvernement béninois pour contenir les effets de la crise au plan national. Et
si l’on apprend que le Ministère de l’Industrie et du Commerce veut aller dans
un climat pareil en guerre contre le Kpayo, l’observateur de la vie
sociopolitique nationale a tout loisir de s’inquiéter et de prévoir de grandes
difficultés pour le pouvoir dans les semaines, à venir. De fait, si le
Président de la République,
Yayi Boni, et son gouvernement ont su jusqu’à présent alléger les effets de la
crise alimentaire au niveau du pays, c’est en subventionnant beaucoup de
produits aussi bien alimentaires comme le maïs et le riz, que
d’ « utilité sociale » comme le ciment ou les hydrocarbures. Le
pétrole notamment et l’essence sont aujourd’hui payés à des prix abordables
pour les Béninois grâce aux sacrifices du pouvoir qui a décidé, plusieurs fois,
de grever le budget national pour éviter la fronde sociale. La même technique
est adoptée par l’Inde et la
Chine. Mais aujourd’hui, alors que le prix du baril du
pétrole frôle les 150 dollars, les pays du G8 viennent de décider d’interdire
les subventions sur les carburants, pour remonter la vente au niveau
international. La Chine
et l’Inde envisagent dans quelle mesure se conformer à la situation. Pour le
Bénin, la conséquence, sera dans les prochains jours, la contrainte à l’abandon
de sa politique de la subvention, au risque pour le pouvoir, dans le cas
contraire de voir sa trésorerie virer au rouge. Les prix du pétrole et de
l’essence, de même que ceux du gasoil et du mazout vont donc être réajustés au
regard du coût mondial. Ce qui signifie qu’en plus des grognes sur le ciment
qui est hors de prix sur le marché national, il faut s’attendre au
mécontentement des populations relativement au carburant qu’on devra payer à
plus de 700Fcfa le litre. A quoi il ne faut pas oublier d’ajouter le
mécontentement relativement au riz qui ne pourra plus être exportée de l’Inde
ou du Vietnam. Et Comme bientôt, le Ministre de l’Industrie et du Commerce va
s’attaquer à l’essence frelatée « Kpayo », un scénario catastrophe
pourra être facilement envisagé dans les différentes régions du pays, comme
celui qui avait secoué l’ex-ministre Mariano Latoundji du même ministère sous
le président Mathieu Kérékou : une grogne féroce des consommateurs et un
ras-le-bol sans précédent.
Le
Kpayo pour « sauver » le pouvoir
En certain sens, la guerre actuelle que le
gouvernement décide de faire à l’essence frelatée « kpayo » n’est pas
opportune. Certes, l’unanimité est faite qu’il faut combattre le
« kpayo », en raison des affres de son commerce sur l’économie, ses
dégâts sur les infrastructures et les dommages qu’il cause dans les familles
défavorisées du pays. Mais, la guerre contre le « kpayo » a montré
ses limites sous le changement depuis le ministre Moudjaïdou Soumanou. Que
l’actuel ministre de l’Industrie et du Commerce décide de déterrer la hache
contre le « kpayo » pour les besoins du sommet de la Cen-Sad (rendre la ville
plus présentable aux invités de marque), cela peut aisément se comprendre. Mais
il eût fallu appeler les vendeurs du « kpayo » et discuter avec eux
en leur titillant la fibre patriotique. Or, si le ministre a, comme il le
montre, la volonté de lancer les hostilités contre le « kpayo », il
est mal tombé dans le climat actuel. Parce que si les cols blancs du Ministère
de l’Industrie et du Commerce analysent bien, ils verraient que, lorsque, dans
les prochains jours, les carburants ne seront plus subventionnés par l’Etat,
c’est le « kpayo » qui permettra à la population de ne pas sortir de
ses gongs. On l’a vu sous le régime Kérékou lorsque la Sonacop agonisait avec
stations-services sans carburant. Qu’on le veuille ou non, à moins d’imaginer
des stratégies efficaces à long terme, l’essence « kpayo » aura son
mot à dire dans les différentes crises sociales dans le pays. Et si l’Inde ne
veut plus vendre son riz, si les pays producteurs de pétrole ne veulent plus
pomper au-delà de leurs limites, si en France la Marine Nationale
suspend ses manoeuvres pour économiser du carburant alors qu’en Corée des
compagnies aériennes suspendent des destinations pour le même but, c’est qu’en
définitive, le Bénin devra pâtir aussi de ces restrictions, puisque nous
dépendons de l’extérieur en tout. Alors, pour le carburant au moins, le
« kpayo » pourrait venir en aide au pouvoir. Et le ministre de
l’Industrie et du Commerce devrait attendre encore un peu avant de jouer au
torero et de s’en prendre aux cornes de l’essence frelatée.
Askanda Bachabi