"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

AUMONERIE DES CADRES ET PERSONNALITES POLITIQUES DU BENIN

L'unité nationale est-elle possible face au régionalisme ?

Dans le cadre des activités de l'aumônerie des cadres et personnalités politiques du Bénin pour l'année 2007, M. Samson Dossoumon a donné une conférence le 21 octobre 2007 au CODIAM sur le thème "L'unité nationale est-elle possible face au régionalisme ?" à travers trois points. La Croix publie quelques extraits de cette conférence.

 

Régionalisme et unité nationale

La notion de région ne peut s'enfermer dans son acception géographique. La région peut être culturelle, ethnique, philosophique, linguistique, confessionnelle, politique. Dans ce sens large en effet, la notion de région pourrait recouvrir tout processus ou toute réalité d'identification à partir d'un même élément, de reconnaissance réciproque et de distinction à partir de ce même élément. La différence et la diversité, qu'il ne faut pas confondre avec la divergence, font partie de l'ordre naturel des choses; elles ne sont que le reflet de la richesse que le créateur a semé à travers la variété et les spécificités à l'intérieur de sa création et si tout cela tient en harmonie, c'est parce que tout converge vers l'unité qu'est le créateur. La différence est donc naturelle et même richesse à condition qu'il y ait un lien d'unité des "apparemment-contraires" et que les spécificités distinctes entrent en relation saine et sereine entre elles au sein d'un ensemble qui les englobe et crée le lien d'unité. Ce qui pose problème, ce n'est ni la conscience de la région, ni même la régionalisation des pôles de développement. Ce qui pose problème, c'est une certaine utilisation de cette réalité naturelle et sociale, une certaine instrumentalisation qui porte atteinte et préjudice au lien d'unité dans la diversité. C'est cela que l'on appelle régionalisme.

Lorsque l'identification à partir d'un élément entraîne comme conséquence, le rejet, l'exclusion des autres éléments et la confiscation des avantages et opportunités, il y a problème et l'harmonie des différences commence à se disloquer. Dans l'Evangile de Saint Jean, nous pouvons retrouver une illustration de l'identification. "La femme samaritaine dit à Jésus: comment, toi qui es juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une femme samaritaine? Les juifs en effet, n'ont pas de relation avec les samaritains" (Jn 4, 9). Cette question posée par la femme samaritaine à Jésus est révélatrice et symptomatique d'un aspect de l'antagonisme et de la disharmonie des différences. L'eau est un don précieux de la nature et quiconque a soif devrait pouvoir accéder à l'eau disponible où qu'elle soit. Mais voilà, un juif n'a pas le droit de demander de l'eau à un samaritain. Evidemment, Jésus n'est pas rentré dans ce jeu.

Les Actes des Apôtres nous dévoilent un autre aspect du même phénomène. "En ce temps-là, le nombre des disciples augmentant, les hellénistes murmurent contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour" (Act 6, 1). Il n'est pas superflu d'ajouter à cette citation une autre qui s'énonce ainsi : "Et l'on faisait des distributions à chacun selon qu'il en avait besoin" (Act 4, 35). Le principe "A chacun selon ses besoins" devrait s'appliquer aux individus mais ici, le problème se pose à partir des groupes culturels qui dénoncent une inégalité d'accès aux opportunités offertes à tous. Pierre a, dans ce cas, eu recours au principe d'organisation basée sur la sagesse attestée par tous.

En général, quatre éléments ouvrent la porte à la tendance régionaliste : la peur d'une réalité minoritaire d'être dominée, écrasée ou méprisée par une réalité majoritaire ou même minoritaire mais dominante, les frustrations et susceptibilités engendrées par l'histoire récente ou lointaine, la confiscation, par un groupe identifiable, des opportunités qui devraient être ouvertes à tous, le manque de justice et d'équité dans la répartition des richesses nationales.

La notion de nation recouvre une réalité dynamique, toujours en mouvement, vers l'équilibre ou vers le chaos. En effet, ce que les constitutionnalistes appellent le "vouloir vivre ensemble" à l'intérieur d'une même frontière, c'est-à-dire d'un espace géographique correspondant à un espace social regardé comme appartenant à tous, n'est jamais définitivement à l'abri des zones de turbulences. La nation n'implique ni homogénéité ethnique, ni homogénéité culturelle, ni homogénéité religieuse. L'unité nationale est donc une construction permanente et je voudrais m'interroger sur le rôle et la place du chrétien dans cette identification.

La logique de l'amour face à la logique du monde

Le chrétien ne doit jamais oublier qu'il est dans le monde sans être du monde (Jn 15, 19; 17, 6), il doit rester humble en se souvenant que le bien qu'il veut, il ne le fait pas et que c'est le mal qu'il ne veut pas qu'il fait (Rm 7, 19). Aussi devons-nous, en permanence, être dans la réforme de nos voies et de nos œuvres (Jr 26, 23). Dans les relations et dans l'organisation sociale, ce qui distingue le chrétien, c'est l'amour, car comme le dit Jésus : "C'est à ce signe qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres " (Jn 13, 34-35). Cette prescription christique n'est pas une formule creuse ou un vœu pieux. L'amour que Jésus a enseigné, en le vivant concrètement devant les hommes, est un amour qui dérange, un amour qui nous sort de tous nos schémas humains et institutionnels. Il ne s'agit ni d'un discours ni d'un rêve mais d'un amour en acte, que ce soit dans l'exemple du bon samaritain (Lc 10, 25-31), dans le cas de l'enfant prodigue (Lc 15, 11-32) ou de la femme surprise en flagrant délit d'adultère (Jn 8, 3-11). Il en est de même lorsque Jésus devrait guérir un homme, un jour de sabbat (Lc 6, 6-10). Ce sont là des repères pour lez chrétien en situation, que ce soit face à lui-même, c'est-à-dire face à la tentation de se comporter en régionaliste, ou face aux devoirs d'édification de l'unité nationale. La seule logique qui anime Jésus, c'est l'amour.

Cet amour en acte nous dit à chacun : quitte ton piédestal et descend dans l'arène comme Jésus, comme Paul (Ph 2, 5-9 et 1 Cor 9, 19-22). Le meilleur plaidoyer social chrétien pour la construction d'une unité nationale, c'est la pratique social quotidienne individuelle et collective (en tant que groupe identifiable) de tous ceux qui, dans chaque pays et sur chaque continent, prétendent suivre Jésus, le Christ de Dieu, quelle que soit, par ailleurs, leur dénomination confessionnelle. C'est d'être, de manière lisible et visible, dans leurs différents postes et fonctions occupés, le levain dans la pâte, le sel de la terre, la lumière posée sur le lampadaire (Mt 13, 33 et 5, 13-16), d'être ceux qui écoutent et mettent en application, ceux qui bâtissent sur le roc (Mt 7, 24-27).

Devant le phénomène social du régionalisme et le devoir de construction de l'unité nationale, le monde fonctionne selon la logique de lego et le Christ nous propose la logique de l'amour…

… Dans les Evangiles, Jésus a indexé la culture de l'ego incarnée dans le pharisaïsme religieux et politique par des mots très durs : "ils disent et ne font pas. Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Hypocrites, ils font pour l'apparence de longues prières. Ce sont des conducteurs insensés et aveugles, des serpents, race de vipères, des sépulcres blanchis qui apparaissent beaux au dehors et qui au-dedans sont pleins de toute espèce d'impuretés. Au dehors, ils paraissent justes aux hommes, mais au-dedans, ils sont pleins d'hypocrisie et d'iniquité" (Mt 23). Voilà, en matière religieuse, le visage de la culture de l'ego.

En matière politique et sociale, c'est Nicolas Machiavel qui, dans le chapitre 18 de son livre intitulé "Le Prince" nous révèle les marques de la culture de l'ego en ces termes : "il est louable à un prince de respecter ses promesses et de vivre avec intégrité, non dans les fourberies, chacun le conçoit clairement. Cependant, l'histoire de notre temps enseigne que seul ont accompli les grandes choses, les princes qui ont fait peu de cas de leur parole et su adroitement endormir la cervelle des gens. En fin de compte, ils ont triomphé des honnêtes et des loyaux. Un seigneur avisé ne peut, ne doit respecter sa parole si ce respect se retourne contre lui et que les motifs de sa promesse soient éteints… Et jamais un prince n'a manqué de raisons légitimes pour colorer sa mauvaise foi. Il est bon de déguiser adroitement… d'être parfait simulateur et dissimulateur".

Toutes ces descriptions sont d'actualité. Les institutions et acteurs nationaux, régionaux et internationaux y baignent presque tous à des degrés divers…

La construction d'une véritable unité nationale ne peut être authentique et efficace que dans un environnement de culture de l'éthique et son essor nécessite un certain nombre de piliers.

voies et conditions pour une véritable unité nationale

La condition essentielle, c'est l'existence concrète de lieux d'incarnation visibles et crédibles de la valeur que constitue l'unité nationale. En effet, les actes, les faits et les symboles parlent plus fort et s'enracinent plus rapidement et plus profondément dans les cœurs que les paroles.

En conclusion, je voudrais insister sur trois choses. La première est relative à la dimension spirituelle de la sortie de l'esclavage de la division vers la terre promise de l'unité, en général, de l'unité nationale, en particulier. La deuxième chose, c'est la nécessité de l'existence de lieux d'incarnation visibles, crédibles et dynamiques. La troisième chose, c'est l'introduction dans les programmes scolaires de cours obligatoires basés sur des documents écrits par des nationaux qui ont adhéré à l'édification de l'unité nationale, des documents qui présentent l'histoire et l'avenir du Bénin, à partir des valeurs de tolérance, c'est-à-dire d'acceptation réciproque et de respect mutuel, de dialogue, de paix et de "vouloir vivre ensemble" des Béninois de toute culture, de toute ethnie, de toute religion.

 

Bimensuel Catholique de Doctrine et d'Information



24/01/2008
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