Faut-il rectifier le changement ?
le Mercredi 02 juillet 2008 à 10:40:08
Le Bénin ne se porte pas bien. Même un adepte forcené de la
méthode Coué, que l’on sait d’habitude optimiste, en tout, partout et toujours,
vous le dira. Que devons-nous voir et lire derrière les lourds nuages noirs qui
barrent l’horizon de tout un pays ? Beaucoup retiennent les signes
avant-coureurs d’un cataclysme aux effets dévastateurs d’un tsunami. Ont-ils
tort ? Ont-ils raison ? Passons rapidement en revue quelques uns des indices de
cette nuit noire qui tombe sur notre pays.
L’Assemblée nationale est bloquée dans son fonctionnement. Rien
ne semble plus bouger, rien ne semble plus vivre dans ce qui est censé être le
cœur vivant d’un pays, d’une nation en devenir, d’une démocratie en plein
essor, de l’Etat de droit en construction. Car, l’Assemblée nationale, c’est
tout cela, c’est l’expression de la vitalité politique d’un pays. On peut y
prendre sa température.
La gouvernance locale est au plus mal. Ce qui affecte, du coup,
toute l’architecture de notre politique de décentralisation. Au terme des
élections communales, municipales et locales, le cœur n’est pas encore à
l’ouvrage dans 24 communes sur les 77 au total. Le contentieux post électoral s’est
exacerbé. Il a dégénéré depuis en une contestation violente et sanglante,
plaçant, à ce jour, 24 localités de notre pays en situation quasi
insurrectionnelle.
La formation d’un nouveau gouvernement est en butte à des
difficultés sans nombre. La confiance est loin d’être la denrée la mieux
prisée, donc la mieux partagée, dans le landernau politique. Les lendemains
d’élections restent encore chauds, comme si, par delà les affrontements et les
confrontations de la période, une prolongation silencieuse se jouait encore,
non exempte de dribbles, de tacles et autres coups tordus.
La vie chère. Voilà le cauchemar de millions de Béninoises et de
Béninois qui ne savent plus à quel saint se vouer. Le panier de la ménagère, ne
revient plus plein à la maison. Et quand la table à manger tend à rester de
plus en plus vide, ce sont des ventres affamés qui se préparent à ne plus avoir
d’oreilles pour écouter le prêchi-prêcha des politiciens, les sermons vertueux
des responsables des organisations de la société civile. Un homme qui a faim,
a-t-on dit, n’est pas un homme libre. Et quand la nourriture se fait de plus en
plus rare, c’est la descente aux enfers qui commence. L’esclavage du ventre est
le pire de tous.
Le front social s’anime et s’enflamme. Avec des grèves qui
paralysent des secteurs entiers de la vie nationale. D’autres grèves se
préparent ou s’annoncent. La même agitation, la même frilosité s’empare de
chacun et de tous, comme s’il était nécessaire, dans l’intérêt supérieur du
pays, que nous nous engagions tous, en même temps et tout à la fois, dans une
course éperdue vers l’abîme. Généralement, les sauve-qui-peut n’ont point de
destination claire. Et nous savons qu’il n’est point de vent favorable pour qui
ne sait où il va.
Voilà
un tableau sombre, sans nul doute. Il ne fait pas de nous, cependant, des
adeptes éplorés des lendemains qui déchantent, des pessimistes à tout crin qui
perdent progressivement la raison avant qu’ils ne perdent définitivement tout
espoir. De notre crise, nous faisons une lecture positive, une lecture
optimiste. Ce qui donne à penser et à croire qu’à quelque chose, malheur est
bon. Qu’avons-nous donc appris de bien et que devons-nous retenir de juste de
cette crise ? Fondamentalement, nous connaissons mieux le Béninois. Ce qui
permet de mieux savoir comment le conduire vers les verts pâturages de ses
rêves.
Le Béninois montre et démontre, chaque jour que Dieu fait, qu’il
ne veut être assujetti à aucune forme de domination. Il témoigne plutôt sa
préférence à vivre dans une société de gens égaux, par principe. Cela n’abolit
pas les hiérarchies fonctionnelles et verticales qu’impose l’organisation même
de la société. Mais le Béninois pense que toutes ces hiérarchies ont un
dénominateur commun : l’homme, l’être humain, créature de Dieu. De ce point de
vue, qu’on soit maître ou sous-fifre, riche ou pauvre, on est pétri de la même
terre. Cela explique que le dernier des Béninois se rebiffera, se cabrera, en
tout cas se défendra comme il peut, chaque fois qu’il aura le sentiment qu’on
cherche à lui en imposer, à le piétiner, à le gruger ou à l’humilier. C’est une
question de dignité.
Une telle posture, face à la vie, fait déjà émerger le Béninois
comme un individu, malgré les apparences. Un individu dans sa tête, un individu
dans son cœur, mais qui ne rechigne pas à sacrifier aux grandes manifestations
communautaires ou familiales. En fait, c’est l’unanimisme du bétail bêlant ou
du troupeau meuglant, le communautarisme grégaire et moutonnier que le Béninois
abhorre et déteste au plus haut point. Il n’est ni homme ni femme à se laisser
embrigader définitivement par qui que ce soit, ni homme ni femme à se laisser
emballer durablement par quoi que ce soit, au point de perdre la tête, au point
de faire une croix sur ses repères identitaires. C’est une question de fierté.
C’est clair : un homme ou une femme comme celui ou celle-là ne
se dirige pas à la matraque ou à la trique. Et il serait tout aussi erroné de
croire qu’on peut le mettre dans sa poche, en le gratifiant de force bottes de
foin. Un peuple comme le peuple béninois se responsabilise. Il faut lui
permettre de donner libre cours à ses capacités imaginatives et créatrices.
C’est un peuple qui a besoin d’espace de réalisation pour se tester et
s’éprouver. Un peuple comme celui-là, à l’image du dieu latin Janus, a deux
faces, que les Fon présentent en ce raccourci saisissant : « Adan kpê dé, hessi
kpê dé ». Un peu d’irritation et d’exaspération, un peu d’appréhension et de
crainte. C’est une question d’équilibre et de sagesse. Au total, le Béninois
est un individu qui s’aime beaucoup. Mais le Béninois n’a pas encore compris
que c’est en faisant l’effort d’aimer son pays, qu’il se donnera plus de chances
de s’aimer encore plus, pour mieux aimer son compatriote.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 2 juiller 2008
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