La preuve que la Sonapra a été vendue un an avant l'appel d'offres
In La Presse du jour- L'annulation sous Kérékou du processus de privatisation de la Sonapra a précédé de quelques jours seulement l'avènement de Boni Yayi au pouvoir. Déchus de ce qu'ils estimaient être leurs droits, Patrice Talon, Bakary Kagnassy et Razack Abdoulaye ont su convaincre le 26 juin 2006, le « très propre » Ministre Koupaki à s'engager au nom de l'Etat à leur concéder 55% des actions de la société cotonnière alors que le Gouvernement ne s'était encore prononcé ni sur le plan de la répartition dudit capital, ni a fortiori sur l'appel d'offres qui n'a été lancé qu'en août 2007.
La signature du Protocole d'Accord a eu lieu le 26 juin 2006 entre les trois opérateurs privés et cinq ministres dont deux sont encore en fonction : Pascal Koupaki et Emmanuel Tiando. Cette signature s'est faite à l'insu du Chef de l'Etat, de la Direction Générale et des travailleurs de la Sonapra. Ces derniers s'en étaient indignés, en demandant au Ministre Koupaki de mettre le protocole à leur disposition, notamment pour les besoins de la préparation du volet social, ce à quoi celui-ci s'est catégoriquement opposé. Même la relance du processus de cession de l'outil industriel de la Sonapra par le Conseil des Ministres des 14 juillet et 20 août 2007 n'a pas suffi à convaincre le Ministre d'Etat de sortir le document magique des tiroirs. La raison, on la connaît aujourd'hui : la découverte d'un tel document aurait convaincu tout le monde qu'il n'était point besoin de lancer un appel d'offres puisque les dés étaient pipés d'avance. N'a-t-on pas menti aux Béninois et au monde entier en diffusant à grand renfort de publicité, un appel d'offres dans les journaux, à la radio, à la télé et sur Internet sachant que le résultat était celui qu'on avait préparé depuis juin 2006 : la Scp devait gagner, envers et contre tout ? La vérité aujourd'hui est là. Malheureusement, la mise en scène a coûté de l'argent aux contribuables béninois et on n'est pas encore ou bout de nos peines puisque l'Etat s'est livré pieds et mains liés aux repreneurs de la Sonapra qui ne sont rien d'autres que ceux que le Général Mathieu Kérékou a désavoués.
Une vraie fourberie
Le sceau du secret a été maintenu jusqu'à l'adjudication prononcée le 2 octobre dernier par le Conseil des Ministres. Dans la foulée, un avenant à ce protocole inconnu, a été même signé le 1er octobre 2007. La citation de cet avenant parmi les fondements du décret portant création de la Société de Développement du Coton (Sodéco) suffit pour faire foi de l'existence dudit avenant. En son article 1er, le protocole d'accord du 26 juin 2006 prévoyait que la cession des actifs industriels de la Sonapra se réalisera par une prise de participation des trois opérateurs privés dans le capital de la nouvelle société à créer par l'Etat. Alors que ces derniers ne revendiquaient leurs droits que sur 8 usines, c'est sur l'ensemble des 10 usines de la Sonapra que les nouvelles concessions ont été faites. En prévision de ce qui allait être un an plus tard un appel d'offres international, les trois opérateurs privés ont décidé de créer ensemble, une Société Commune de Participation (Scp). On a finalement eu droit à un appel à concurrence à brève échéance de soumission pour que des firmes internationales ne viennent rafler la mise. Le prix à payer pour ces 55% des actions est justement le prix représentant les 55% de la valeur totale des 10 usines de la Sonapra. Or, entre temps, et c'est là la preuve que ni le Chef de l'Etat, ni le Gouvernement n'avaient été mis au courant du deal de juin 2006, le Conseil des Ministres a décidé que les opérateurs privés obtiendraient ensemble, 45%. Sans doute dans le souci d'éviter la prédominance du privé dès la naissance de la nouvelle société. Mais c'était sans compter avec l'ingéniosité des « dealers » : ils ont trouvé un raccourci qui a consisté à mettre sur le gâteau des 45%, la cerise des 7% réservés pour tous les Béninois de l'intérieur et de l'extérieur, désireux, comme l'avait promis Koupaki, d'avoir en poche une action Sonapra, comme les Sénégalais en ont à la Sonatel. Du coup, les privés, forts de 52% d'actions (à défaut des 55% précédemment souhaités) assorties d'une promesse de rétrocession, ont pu se tailler la part belle lors de la création de la Sodéco dans les bureaux du ministre d'Etat le 12 octobre 2007. Par cette majorité fictive, les privés se sont arraché : la présidence du Conseil d'Administration confiée à Talon ; la Direction Générale de la Sodéco confiée à Eustache Kotingan, et quatre des six postes d'Administrateurs que devait comporter le Conseil. Une telle répartition défavorable à l'Etat, qui apporte pourtant au capital de la société ses 10 usines, n'est pas innocente. Elle était déjà stipulée par l'article 9 du protocole d'accord secret du 26 juin 2006 qui offrait 4 siège aux privés, 1 à l'Etat, 1 aux organisations des producteurs de coton et 1 aux travailleurs de la nouvelle société. Les syndicats de la Sonapra ont maintes fois décrié le pilotage solitaire et opaque de ce dossier de haute importance par le Ministre Koupaki. Mais ils ont toujours été perçus comme des opposants à la privatisation. S'il y avait encore un peu de dignité chez nos donneurs de leçon, on devrait assister dans les heures qui suivent à des démissions du Gouvernement. Comme l'a bien signifié le président de l'Olc reçu dans l'émission « Ma part de vérité », il ne reste qu'au président Boni Yayi de tirer les conséquences de ce scandale qui en rajoute au grand dossier de mauvaise gouvernance de l'ère du changement. La voie du salut est la reprise totale de la procédure qui a conduit à la cession de l'outil industriel de la Sonapra dans des conditions qui ne garantissent pas la transparence prônée à cor et à cri.
Le silence suspect des députés et des Ong
Le mérite de Boni Yayi, c'est de savoir rester au-dessus des applaudissements qu'on lui adresse pour prendre la vraie mesure des enjeux liés à la gestion des grands dossiers d'Etat. Loin des déclarations de certains hommes politiques, députés et responsables d'Ong qui se sont empressés de jeter des fleurs au Groupe Talon, le Chef de l'Etat a examiné les documents relatifs à la cession de l'outil industriel de la Sonapra. Car demain, aucun de ces stratèges festivaliers ne reconnaîtra sa voix face à l'effondrement de l'édifice cotonnier béninois. Tous pourtant ont au moins une fois entendu parler de l'histoire des trois (3) usines aux conditions d'acquisition peu orthodoxes au profit du Groupe Talon. Jamais, aucun homme politique, aucun député, aucune Ong de promotion de la transparence et de la bonne gouvernance n'a demandé, hier à Kérékou ni aujourd'hui à Boni Yayi, de clarifier définitivement ce dossier. Mais, curieusement, ils se sont bousculés aux portes des médias, rivalisant de louanges à la gloire du processus de privatisation et du Groupe Talon dès l'annonce des résultats du dépouillement qui ont consacré l'adjudication au profit de la Société Commune de Participation (Scp) actionnaire majoritaire de la Sodéco non encore créée. La Sonapra et ses responsables ont été voués aux gémonies à l'instar de ce jeune Député qui a parlé de « faux Directeurs » et d'incapables. S'il y a sous nos cieux des Béninois qui aiment Boni Yayi, ils devraient tourner dos à toutes les promesses mirobolantes d'obtention d'actions pour encourager le Chef de l'Etat à nettoyer ses écuries. Patrice Talon et Eustache Kotingan, dont l'inculpation avait été requise depuis 2001 par le Procureur Général du Parquet, reçoivent des lauriers pour avoir réussi à ajouter à leurs trois usines acquises sur le dos de la Sonapra, les 10 usines de cette même Sonapra. Le rubicon a été franchi. Malheureusement, des députés et responsables d'Ong bénissent l'acte. A quelle fin ?
Le Fonac et l'Olc se démarquent
Le Fonac et l'Observatoire de lutte contre la corruption ne veulent pas participer au festin des voraces par rapport à la privatisation de la Sonapra. Au cours de l'émission « Ma part de vérité » de la chaîne de télévision privée Golfe TV, M. Jean-Baptiste Elias a été on ne peut plus clair en révélant les irrégularités qui ont émaillé le processus de cession de l'outil industriel de la Sonapra. Selon lui, il n'y a pas eu compétition, contrairement à ce que certains députés de la majorité présidentielle et responsables d'Ong ont soutenu au détour de conférences de presse. Mieux, on a permis à l'actuel repreneur de l'outil industriel de la Sonapra de violer les clauses du document d'appel d'offres qui veulent que tout soumissionnaire soit en règle vis-à-vis de la Sonapra et des autres acteurs de la filière. En demandant aux Béninois de refuser le portage des 7 % des parts du capital social de la nouvelle à créer sur les cendres de l'outil industriel de la Sonapra, M. Jean-Baptiste Elias touche ainsi au fondement même du dossier. On est alors en droit de se demander s'il n'est pas important que le gouvernement reprenne le processus de privatisation de la Sonapra surtout que le principe d'appel d'offre international retenu par le Conseil des ministres du 20 août 2007 n'a pas été respecté et que le repreneur potentiel n'a pas encore versé les 18 milliards de F Cfa qui lui reviennent.
Réalisation : Affissou Anonrin