Les
magistrats observent, depuis hier mardi, une grève de 72 heures à l’appel de
leur organisation, l’Union Nationale des Magistrats du Bénin (UNAMAB). Le motif
de cet arrêt de travail et l’état d’esprit général au sein de la corporation
des magistrats et des auxiliaires de justice suscitent bien des inquiétudes.
Apparemment, le chef de l’Etat est sur le point de connaître l’une des plus
grandes crises de son quinquennat, tant il est difficile de prévoir l’issue
de ce bras de fer ouvertement engagé par la corporation des magistrats. De
l’avis des observateurs, le mot d’ordre de grève est largement suivi, hier
mardi, sur l’ensemble du territoire national. Toutes les juridictions sont
paralysées. En effet, l’Unamab avait lancé, il y a quelques jours, un
ultimatum à la fois au garde des Sceaux, ministre de la Justice et au
gouvernement. Au garde des Sceaux, elle a exigé des excuses publiques pour,
semble- t-il, des déclarations qu’il aurait faites lors de la rentrée
judiciaire de novembre dernier et au gouvernement, elle lui a demandé de
rapporter sa décision qui suspend l’exécution des décision de justice portant
sur le foncier dont l’effet est de déguerpir ou de démolir des habitations. A
défaut de la réaction attendue, l’Unamab a décidé de recourir à la méthode
forte. Les magistrats veulent ainsi faire pression sur le gouvernement pour
l’amener à rapporter sa décision.Celle-ci serait dictée par des préoccupations
d’ordre social, notamment pour éviter que des dizaines de familles ne se
retrouvent dans la rue suite à l’exécution de ces décisions de justice. Mais
les magistrats, préoccupés par l’indépendance du pouvoir judiciaire, ne
supportent pas que l’oeuvre de la justice soit privée d’effet par une
décision du gouvernement qui ne devrait, en aucune façon, faire entrave à l
‘exécution d’une décision de justice.
Pour bon
nombre d’acteurs de la justice, la décision du gouvernement constitue une dérive
inacceptable qu’il faudra arrêter dès maintenant pour éviter que l’Exécutif
ne l’étende à d’autres domaines ; de sorte, qu’en définitive, l’exécution des
décisions de justice ne dépende que de sa seule volonté. C’est pourquoi, la
détermination semble se lire, depuis des semaines, au niveau de l’Unamab qui
bénéficie du soutien des auxiliaires de justice, dont principalement les
huissiers de justice et les notaires Ce qui la conforte dans sa détermination
à continuer de faire pression sur le gouvernement. Pratiquement, l’unanimité
se fait aujourd’hui au sein du monde judiciaire pour craindre que le
gouvernement, progressivement, parvienne à s’immiscer dans le domaine réservé
au pouvoir judiciaire. Lors d’une conférence de presse animée récemment par la Chambre nationale des
huissiers de justice, ceux-ci n’excluent pas de recourir à des actions
musclées afin de contraindre le gouvernement à rapporter sa décision. Jusqu’à
quand le gouvernement peut-il résister face aux pressions des magistrats qui
incarnent un pouvoir, du reste constitutionnellement indépendant, et qui
envisagent même une grève illimitée pour obtenir le retrait de cette
décision? Comment le pays pourrait-il, dans l’hypothèse d’une grève
illimitée, fonctionner sans justice ? A peine sortie d’une longue paralysie
causée par la grève illimitée et sans service minimum des greffiers, la
justice béninoise se met encore sur une pente glissante préjudiciable au peu
de crédit qui lui reste. Face à cette situation, seule le dialogue peut
encore permettre d’éviter le pire. Par conséquent, les marches de soutien des
personnes qui bénéficient de la mesure de suspension ne pourraient être
perçues que comme des actes de provocations et contribuer simplement à
radicaliser la position des magistrats et des auxiliaires de justice.
Apollinaire
KOUTON
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