L'Etat de droit à l'ère du changement
Entretien avec Gilles Badet, juriste, enseignant à l'UAC et consultant
ici sur les questions de l'Etat de droit à l'ère du changement.
Un
Etat de droit, c'est un Etat dans lequel toutes les personnes, toutes les
activités et tout ce qui se passe est soumis à des règles librement choisies
par le peuple ou ses représentants, règles dont la sanction est confiée à des
autorités indépendantes, c'est-à-dire la justice. Dans un Etat de droit, tout le
monde est soumis à des règles préétablies aussi bien le chef de l'Etat, les
membres du gouvernement, les parlementaires. Même les acteurs du monde
judiciaire qui prononcent les sanctions contre les autres particuliers sont eux
aussi soumis à la rigueur de la loi et peuvent à leur tour se voir infliger des
sanctions. C'est pourquoi dans un Etat de droit, il est très important
que tout ce qui se passe soit fondé sur des textes. Et si jamais il y a écart
entre les textes et les actes, des sanctions tombent.
Depuis
90 nous avons opté pour un Etat de droit. Et si nous avons opté pour un Etat de
droit, nous ne pouvons plus faire comme avant où on concentrait tous les
pouvoirs dans les mains d'une seule personne.Pareille situation conduit à la
dictature parce que le pouvoir va monter à la tête de celui qui concentre entre
ses seules mains le pouvoir d'adopter les textes, celui de suivre leur application
et enfin celui de trancher les litiges sur la base des mêmes textes. C'est ce
qui justifie la théorie de la séparation des pouvoirs.
Le problème est qu'il y a souvent une
tentation chez certains gestionnaires, économistes et financiers à prendre les
procédures judiciaires comme des obstacles à l'évolution , au développement de
leur pensée et à la bonne marche de leurs projets. Or cela ne devrait pas être le cas. Si ces
gestionnaires pensent que certains aspects des textes juridiques et des
pratiques et procédures judiciaires ne sont pas compatibles avec le souci de
l'efficacité managériale, il leur faut réunir des experts pour réfléchir aux
bons textes et aux bonnes procédures pour que la justice accompagne les bonnes idées
en matière de management, en matière économique. On ne peut jamais réussir le
développement sans la justice, symbole de l'équité et de l'impartialité. Et
c'est pourquoi plusieurs États africains ont réfléchi pour élaborer par exemple
les textes de l'OHADA (harmonisation du droit des affaires en Afrique). Le
constat qui les y a amené était clair : " si nous sommes sous-développés,
c'est parce que nous avons des textes vieux
et inadaptés ainsi que des systèmes de justice peu crédibles et malades ".
Si
l'on observe aujourd'hui la gestion du Bénin émergent face à la problématique
de la place l'Etat de droit dans la recherche de l'émergence, on ne peut
qu'approuver les actions du chef de l'Etat, mais juste par rapport à la volonté
politique, à la bonne foi et aux dépenses d'énergie. En effet, on ne peut que
se réjouir de constater une volonté de sanctionner ceux qui commettent des
impairs. Mais dans le même temps, malgré votre popularité, vous ne pouvez pas
convaincre tout le monde de votre bonne foi dans l'ensemble des sanctions que
vous prenez ou dans celles que vous omettez de prendre. Il faut nécessairement trouver un
arbitre indépendant qui clôture, qui tranche ou qui valide tout dossier
comportant ou devant comporter des sanctions. Cet arbitre, c'est la justice.
Un constat : Sur le plan administratif par exemple telle personne a détourné,
telle personne s'est mal comportée, vous sanctionnez. Il se trouvera toujours
une petite partie de personnes qui diront que c'est parce que vous êtes en
train de régler des problèmes politiques. C'est bien que la justice
indépendante du chef de l'Etat, de tout le monde puisse trancher en dernier
ressort toute question de détournement de deniers publics par exemple. Cela
rassure tout le monde y compris ceux qui sont dans l'opposition, les étrangers,
la majorité. Et c'est vers cela qu'il faut arriver.
Sur la crise des GSM par exemple, qui a
pris fin ces derniers jours, si c'était la justice qui avait relevé les
violations du cahier des charges par les opérateurs GSM, je suis convaincu que
la crise n'aurait pas duré autant.
Si elle a pris ce temps, c'est parce que, entre autres, certaines personnes
dénonçaient ce qu'elles considéraient comme de l'arbitraire tout simplement
parce que l'autorité de régulation n'était pas perçue par tout le monde comme
un arbitre neutre à égale distance de l'Etat et de ses partenaires. Si on
voulait montrer aux investisseurs étrangers et à tous les partenaires
économiques que la justice devrait être un élément clé de l'Etat de droit pour
atteindre le développement, c'est qu'il fallait tout simplement confier
l'affaire à la justice pour trancher ce genre de conflit. Là, du fait de ce que
l'autorité de régulation était confondue avec le gouvernement et le chef de
l'Etat, le conflit a duré deux mois avant de connaître un dénouement.
Je
vais donner un exemple plus récent. Lorsqu'on veut donner le signal qu'on est
dans un Etat de droit, depuis que
Je
donne encore un autre exemple pour montrer l'importance de la justice qui
favorise l'efficacité dans les affaires. Je pense ici à l'Hôtel de la plage vendu par
l'Etat béninois. Peu après il s'est trouvé des anciens propriétaires pour venir
revendiquer leur droit de propriété. Il a fallu que l'Etat brandisse une
décision de justice pour leur clouer le bec(même si l'affaire est en appel).
Lorsque les deux anciens directeurs de
On
objectera que la justice est malade, qu'elle est déjà peut être trop longue
pour les multiples urgences que le nouveau pouvoir doit gérer.
Le gouvernement de Boni Yayi à son arrivée a fait l'état des lieux
et a fait des audits. Et qu'est ce que les résultats des audits ont donné ? On
a vu des cas dans lesquels des personnes avaient détourné de l'argent. On a mis
ces cas de côté. On a vu d'autres cas où les personnes n'ont pas respecté les
procédures pour sortir l'argent, pour dépenser l'argent, pour justifier l'argent.
Et on a crié au scandale. Pourquoi on prend ces procédures-là ? C'est pour garantir la transparence, c'est des
procédures pour s'assurer que la corruption va être réduite ou qu'elle
n'existera pas. C'est ça également l'Etat de droit, la justice. On ne peut pas
dire que les procédures sont encombrantes. C'est comme
si vous dites : " allez, mais écoutez, il y a une route à faire, pourquoi
on va faire un appel d'offres pour sélectionner l'entreprise qui fera le
travail? Pourquoi on va traîner deux semaines des appels d'offre dans la presse
? Pourquoi on va dépouiller les offres? Pourquoi on va faire ci ou ça ?
Non, les procédures sont prévues et on peut justifier pourquoi les procédures
sont prévues de cette manière et pourquoi la justice est prévue. Vous savez par
exemple que, pour régler les litiges, le système judiciaire est le seul système
qui offre les meilleures possibilités d'éviter l'arbitraire. Lorsque vous
remettez le règlement d'un problème à l'administration, vous courez le risque
d'avoir des décisions qui pourraient être politiquement orientées par exemple.
Si
on a un problème avec la lenteur judiciaire, quel est le projet de loi qui a
été introduit pour améliorer le fonctionnement de la justice? Quel est le forum
qui a été organisé sur la justice pour réfléchir sur ce qui fait qu'il y a
lenteur judiciaire ? Où est le forum ? Je n'ai pas encore vu l'organisation
d'un forum pour réfléchir sur la justice. Le problème, c'est qu'il ne faut pas rejeter la justice pour dire
qu'elle a des lacunes. Est-ce qu'on a rejeté l'ensemble de notre administration
pour dire l'administration a des lacunes et que le Chef de l'Etat ou le
gouvernement seuls vont régler les problèmes ? Non ! Il faut des actions pour
améliorer le fonctionnement de la justice. Je vois tout ce qu'on fait pour que
l'administration se modernise. Il faut faire la même chose pour la justice. Il
faut rencontrer les magistrats, rencontrer les greffiers, les avocats, les
écouter, et si les problèmes sont au niveau des textes, prenons les bons textes.
Si les problèmes sont au niveau des recrutements, faisons des recrutements. Si
les problèmes sont au niveau des salaires, faisons les salaires qu'il faut. Si
les problèmes sont au niveau des locaux, du matériel, dans la manière de
fonctionner, faisons des actions pour améliorer tout ça. Quand on a décidé de
lutter contre la corruption, on a mis en place l'IGE, l'agence judiciaire du
Trésor. Mais pourquoi personne n'a pensé à prendre un nombre de magistrats à
perfectionner dans les grands centres de formation pour la lutte contre la
corruption ? Pourquoi on n'a pas réfléchi sur des corps de magistrats
spécialisés. Il ne faut pas croiser les bras pour dire que comme la justice a
des problèmes , l'administration va régler tous les problèmes à sa place. Si la
justice a des problèmes, réfléchissons aux problèmes de la justice et trouvons
les solutions parce qu'il n'y a personne d'autre pour remplacer la justice dans
un Etat de droit.
Vous
avez raison de mentionner les documents de l'orientation stratégique de
développement rendus publics cette semaine. C'est vrai, l'Etat de droit occupe
une place très importante dans ces documents. Mais Il faut que dans les pratiques cela soit une réalité. Et il faut
que spontanément l'Etat montre sa confiance à la justice, il faut qu'il crée
les conditions d'une justice correcte pour pouvoir s'en prévaloir souvent, afin
pour que tout le monde puisse être rassuré.
Entretien réalisé
par l'abbé André S. Quenum
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