"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

LE BENIN EMERGENT

FACE AU DEFI DE L’ECOLE

L’Ecole Béninoise est plus que jamais au creux de la vague.  C’est le moins qu’on puisse dire actuellement. Si c’est un cœur dans un organisme humain, il ne vacille pas, il palpite, il manque de sang et d’oxygène et va cesser de battre.  Mais contrairement au cœur dans l’organisme humain, on n’en découvrira les conséquences que dans une quinzaine, voire, une vingtaine d’années. Le changement serait alors loin de nous, mais nous serons rattrapés par ses avatars et ses tâtonnements.

 

Le débat actuel sur l’école n’a en réalité rien d’étonnant.  Ce qui étonne, c’est le sur-place, voire le recul qu’on observe dans la prise en charge de la question de l’école dans notre pays.  Que se passe t-il pour que nous ne soyons pas en mesure de donner, dans la pratique  à l’éducation tous les attributs d’une priorité que nous clamons dans le discours politique.

 

Ce qui gène dans notre pays aujourd’hui, c’est qu’on ignore que comme tout système, le système éducatif est par essence, en perpétuelle réforme.  Encore une fois, c’est comme un organisme humain qui a besoin de visites médicales périodiques pour bien tenir face aux vicissitudes du temps, aux effets et chocs de l’environnement et aux facteurs néfastes du travail sur l’organisme humain.

 

Ainsi, le système éducatif Français est-il en perpétuelle mutation.  Un récent rapport commandité par le Haut Conseil de l’Education en France a établi que 40% des enfants des écoles françaises ne savent pas bien lire, ni bien écrire.  Déjà, le débat est en cours sur comment améliorer la performance du système éducatif Français.  Aux Etats-Unis d’Amérique, le système éducatif colle avec la décentralisation.  Les Etats définissent leur programme d’enseignement et de formation sur la base des valeurs et principes sacro-saints, proclamés dans les textes fondateurs (liberté, économie de marché, respect des droits humains, paix, démocratie, etc). Aussi, le débat sur l’école est-elle très proche des usagers, notamment des parents eux-mêmes (dans le cadre des associations des parents et enseignants d’élèves-PTA) déjà en grande majorité capables de comprendre ce qu’est un système éducatif.  Les Béninois, notamment parents d’élèves qui se plaignent d’un organe du système éducatif dans notre pays, ont raison.  Ils s’en tiennent donc aux nouveaux programmes d’études (NPE).  Les plus informés incriminent l’approche par compétences.  Il s’installe donc un amalgame.  Combien sont-ils à comprendre ce que contiennent les NPE ? que dire de l’approche par compétence qui sonne pour certains comme une incantation.  Au Bénin, le mal vient en partie de ce que de nombreux compatriotes parlent, à tort et à raison, de sujets dont ils n’ont de connaissance qu’à travers ce qu’en disent le voisin et les autres.  Il suffit que deux ou trois personnes disent des choses, de nombreux béninois répètent avec passion sans y comprendre grande chose. Le système éducatif de notre pays est ainsi laissé, depuis plus de cinq ans, à des débats de rue, parce que les parents ne savent plus à quel sein se vouer et que les enseignants, les plus qualifiés sont las d’appliquer ou de feindre d’appliquer un programme pour lequel les ressources humaines, financières et matérielles font toujours défaut.

 

Il faut rendre un hommage aux Inspecteurs de l’éducation, tous de nationalité béninoise, qui ont conduit les travaux d’élaboration des programmes d’enseignement, avec bien sur, l’assistance technique de consultants étrangers, Canadiens, américains, mais aussi Africains.  Les documents peuvent être consultés dans les archives des Ministères en charge de l’Education Nationale ( s’ils sont bien entretenus). Je ne les nommerai pas dans cet article, mais ils sont encore vivants et l’histoire les reconnaîtra. Si l’Etat béninois avait tenu ses engagements en termes de recrutement et de formation des enseignants de qualité, sur une base régulière, le débat sur les nouveaux programmes auraient pris depuis longtemps une tournure plus heureuse pour notre pays, parce que devant s’inscrire dans la dynamique de l’évolution du système éducatif, au lieu d’être présenté, à tort ou à raison, aujourd’hui comme un drame national.  Dans combien de pays, regorgeant d’intellectuels a-t-on vu tant d’enseignants communautaires avec le niveau que l’on sait, dans le système éducatif ? Combien de catégories avons-nous d’enseignants dans notre système d’éducation ? On en a tellement créées qu’on ne s’y retrouve plus. Elles sont nombreuses, avec chacune leurs revendications catégorielles, prêtes à bloquer le système.  A quand la réorganisation de tout cela ? et quel plan a –t-on pour le faire ?

 

A l’avènement du régime actuel, on pouvait s’attendre à du mieux dans l’approche de la question fondamentale de l’éducation.  Un an et demie après, on peut commencer à se poser les questions suivantes.  Ou va donc le Bénin avec son système éducatif ? quel type de citoyen veut-on pour le Bénin émergent ? quels moyens humains, financiers et matériels met-on en place pour faire de l’éducation béninoise, le socle de référence dans la construction du Bénin émergent ?  Pouvons-nous atteindre l’excellence avec la méthode que nous utilisons aujourd’hui dans la résolution des problèmes de l’école ? La plupart de ces questions demeurent actuellement sans réponse. 

 

Le Ministre d’Etat Pascal Irénée Koupaki, chargé de l’Economie, du Développement de l’Evaluation de l’Action Publique a eu le mérite de présenter récemment les documents fondamentaux des axes de développement pour un Bénin émergent. A l’analyse des faits, on se rend compte d’une véritable dichotomie entre la qualité de ces documents et l’incohérence des actes qui sont posés par les responsables de notre pays.  Prenons par exemple la rencontre du Chef de l’Etat au Palais de la République avec les Conseillers Pédagogiques le 17 Juillet 2007, suite aux résultats des examens de l’année académique 2006-2007. On aurait cru qu’au lendemain de cette rencontre qui avait toute l’allure d’une rencontre de crise, que le gouvernement prendrait le taureau par les cornes, pour amorcer véritablement une réflexion méthodique sur la question de l’éducation. Certes, le forum de l’éducation a posé, en Février 2007, les bases de cette réflexion et il appartenait aux responsables du secteur d’engager les discussions spécifiques pour aller plus loin dans les bases posées en une semaine. 

 

A quoi a donc servi cette rencontre si un mois après, on se rend compte que le gouvernement qui a lui même fixé la date de la rentrée, en Conseil des Ministres s’il vous plait, fait marche arrière en reportant cette rentrée au motif que les précautions essentielles restent à prendre ? Quel est aujourd’hui l’impact réel de cette rencontre sur la préparation et la mise en œuvre d’un plan de rentrée scolaire ?  Sur quelle base a –t-on fixé la date du 17 Septembre ? A-t-on consulté les acteurs du système ? Sur quelles bases le Ministre de l’Enseignement Primaire, de l’Alphabétisation et des Langues Nationales a t-elle maintes fois rassuré l’opinion publique que toutes les dispositions sont prises pour que la rentrée ait lieu effectivement.  Le report en soit, n’est pas une mauvaise chose, mais une rentrée académique se planifie, se prépare et fait l’objet d’un plan de travail et de suivi et d’évaluation quotidien. Je note simplement qu’un pays comme la Cote d’Ivoire, encore en pleine sortie de crise, la rentrée a été fixée au lundi 17 Septembre et a été respectée.  Ce qui fait la différence, c’est une bonne et rigoureuse planification, des cadres compétents et responsables, avec à la clé, un dialogue social comme il le faut et quand il le faut, avec les partenaires sociaux. Si nous rentrons le 04 Octobre prochain, à quand seront fixées les vacances scolaires pour respecter les 34 semaines de cours effectifs admises par les normes internationales. 

 

On a évoqué, à  maintes occasions, des dizaines de milliards que le gouvernement aurait décidé de décaisser pour la rentrée.  Tout se passe comme s’il s’agissait simplement d’une question d’argent.  Autant l’argent seul ne suffit pas à guérir un être humain malade, autant des centaines de milliards ne suffiront jamais et seuls dans la résolution des questions de l’éducation qui sont multidimensionnelles (humaine, technique, financière, matérielle, etc).  Ces dernières exigent méthode, rigueur, crédibilité, patience, écoute franche et confiance mutuelle. Elles exigent surtout que des femmes et des hommes ayant la capacité et l’expérience soient commis à la tache de penser et de mettre en œuvre un plan pour l’éducation.

 

La question des nouveaux programmes d’études apparaît aujourd’hui comme la partie la plus visible de l’iceberg.  Tout le système éducatif est malade.  Il est malade de ses enseignants dont le métier n’est plus une référence dans notre société. Il est loin de nous, ce temps ou le Maître, le Directeur d’Ecole et l’Inspecteur étaient des idoles dans leur milieu et des références dans la vie des enfants et de la communauté.   Ainsi, tout cadre peut être aujourd’hui enseignant, avec la pratique en cours, en attendant que la loi sur le service militaire d’intérêt national ne vienne en donner le couronnement. Le système éducatif est aussi et surtout malade du manque de réflexions et donc de l’absence de réformes qui doivent l’alimenter, l’enrichir et consacrer sa dynamique interne et son efficacité. Nous devons être ambitieux pour notre pays, une ambition dont nous devons mettre en place les moyens et la méthode. 

 

Un indicateur clair de notre manque de vision, c’est la qualité des cadres à qui des responsabilités sont confiées pour conduire le secteur de l’éducation.  Ne nous voilons pas la face, ayons le courage de le dire et cessons nos faux scrupules.  A peine un cadre sur trois de l’ensemble de l’administration du système éducatif (y compris dans la plus haute hiérarchie) possède aujourd’hui la capacité de voir loin et les compétences requises pour prendre la route pour nous y conduire.  Je voudrais féliciter et rendre un hommage au Professeur Vicentia Boco, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique pour sa vision de prendre en charge, l’orientation des nouveaux étudiants.  Cela a souvent manqué dans notre pays.  Il lui faut institutionnaliser cette pratique, la structurer et se donner les moyens d’en faire un puissant moyen de détection des compétences et talents au service de l’économie de notre pays. Il n’y a pas de miracle en matière de qualité.  A chaque profil, sa mission et la performance sera au rendez-vous.  

 

Un autre indicateur, c’est l’introduction des langues nationales dans l’enseignement primaire. On en entend parler ces derniers jours.  Comment va-t-elle se faire ? quels travaux de recherche a –t-on déjà conduits dans ce sens ? Quels en sont les résultats ? Quand les a –ton disséminés ? Qui a –t-on associés ? A –t-on associés les spécialistes ? Y va-t-on progressivement ? Par quelles langues commencer ? Le gouvernement doit apporter des éclaircissements à toutes ces questions si nous voulons que cette entreprise ne soit pas décriée dans quelques mois, faute de préparation suffisante.  Dans tous les pays, l’introduction des langues nationales dans l’enseignement a été une œuvre difficile. L’introduction des langues étrangères est plus facile et plus aisée parce que ne suscitant pas de remous internes.  On sait que la langue est à la société, ce qu’est le sang pour l’organisme humain. C’est aussi le cas de la  religion. On y va par précaution.  Dans ces conditions, veut-on privilégier des langues au niveau national ou enseigner dans les langues locales.  Si c’est le cas, a-ton déjà formé les enseignants ? Le cas du Nigéria est l’illustration parfaite qu’une telle entreprise requiert de la méthode et du temps.  Choisir une ou des langues franches[1] pour le système éducatif est une œuvre de haute portée politique et stratégique avant même si elle relève de la recherche scientifique.  En tant que citoyen, je voudrais savoir le chemin parcouru avant de rendre une telle décision opératoire.  

 

Je continue de croire que le Chef de l’Etat refuse de se donner les moyens humains de la vision qu’il proclame, du moins dans le secteur aussi stratégique de l’éducation..  On ne récolte que ce qu’on a semé.  Depuis qu’on crée les structures et organes, a t-on jamais consacré une ou un seul à l’éducation ? Et pourtant il en faut une, permanente, chargée de réfléchir sur toutes les composantes du système éducatif et à tous les niveaux.  Il existe des cadres expérimentés, compétents pour le faire.  A chaque rentrée scolaire, on devrait savoir quelles sont les améliorations qui seront introduites au système et comment il s’adapte aux innovations technologiques, pédagogiques et didactiques.  Je prends la liberté de faire les trois propositions suivantes :

 

1.                     Revisiter la loi portant orientation de l’éducation en République du Bénin, l’amender si nécessaire, en instituant un Haut Conseil de l’Education (HCE)[2] de douze (12) membres avec pour mission de réfléchir de façon permanente sur le système éducatif en cohérence avec la vision du gouvernement et les objectifs globaux et stratégiques de l’éducation, de suivre l’évolution du système éducatif, de faire des rapports périodiques au Chef de l’Etat avec des recommandations précises. Ce Haut Conseil doit symboliser l’engagement personnel du Président de la République et être doté de tous les moyens compatibles avec sa mission. Il doit comprendre :

 

·        Deux personnalités reconnues pour leur expérience dans le Développement International, et leur indépendance d’esprit, représentants le Chef de l’Etat, dont une femme (les Conseillers du Président de la République seront exclus) ;

·        Deux Universitaires titulaires et ayant un profil académique approprié, dont une femme

·        Un représentant du Bureau de l’Assemblée désignée en fonction de son profil en matière d’éducation et de formation (Inspecteur, Sociologue, Anthropologue, Spécialiste de Sciences de l’éducation)

·        Le Directeur de l’INFRE est membre de droit

·        Le Directeur du Centre de Formation du Corps d’encadrement de l’Education Nationale 

·        Un représentant de l’Union Nationale des Parents d’Elèves et d’Etudiants du Bénin

·        Deux représentants de tous les syndicats réunis de l’Education Nationale

·        Un représentant du Conseil National du Patronat

·        Un représentant de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin.

 

Le Haut Conseil de l’Education pourrait être présidé par une des deux personnalités désignées par le Chef de l’Etat et dont le profil devra être proche du domaine de l’éducation.  Il veillera à l’application stricte de la loi d’orientation de l’éducation nationale. Le HCE pourrait aussi se voir confier la mission de réfléchir, dans une approche globale, sur la revalorisation de la fonction enseignante dont un décret sous la pression des organisations syndicales ne peut constituer une solution appropriée.

 

2.                     Identifier des cadres compétents qui veulent bien, de manière apolitique, participer à la gestion du  système éducatif et leur confier des responsabilités du pilotage des réformes qui auront été proposées par le Haut Conseil de l’Education. En tant que simple citoyen, j’ai l’impression que notre pays continue d’être tiré vers le bas, ce qui contraste avec un nouveau leadership dont nous avons tant rêvé. Nous devons à tout prix renouer avec la qualité.

 

3.                     Revisiter le décret portant attribution des bourses d’excellence aux bacheliers les plus méritants de chaque année scolaire. L’envoi de jeunes béninois doués dans de grandes écoles internationales pour former de grands managers et des leaders dont notre économie a besoin pour prendre le pari et maintenir le cap de l’excellence, tout en poursuivant la recherche des voies et moyens d’amélioration de nos institutions de formation supérieure, est d’une impérieuse nécessité.  

 

Le Bénin émergent le sera par la tête bien faite de ses filles et fils, par la qualité de ses ressources humaines ou ne sera pas. Le Bénin va aussi et seulement émerger si nous nous équipons pour suivre de près l’évolution technologique, notamment au niveau des TICs au lieu de la subir. Si nous ne le faisons pas, nous aurons beau construire des infrastructures, nous n’y parviendrons pas.  C’est ce que je crois, pour parler comme l’autre.   

   


[1] Les langues franches sont les langues élevées au niveau national pour être parlées par l’ensemble des populations, à travers le système éducatif

[2] On pourra donner un autre nom à cet organe. 



18/09/2007
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