l’école de la crise
La réponse à la question dépend de celui qui la pose. Elle dépend également de ce qui est entendu et compris par crise. Le dictionnaire, appelé à la rescousse, renvoie à la définition suivante : « moment d'une maladie caractérisé par un changement subit et généralement décisif, en bien ou en mal », une définition que précise une autre, à savoir : « phase grave dans l'évolution des choses, des événements et des idées ». De ces deux définitions, retenons des mots clés comme « maladie ». Ce qui supposerait, si l'idée d'une crise était avérée, que notre pays, en ce moment, ne respire pas la santé, est atteint de troubles organiques et fonctionnels sérieux. Retenons également l'expression « changement subit ». Ce qui laisserait entendre que le mal survient de manière soudaine, inattendue.
Comme s'il nous prenait à revers ou au dépourvu. Enfin, l'expression « phase grave », pour dire que ce qui nous arrive est à situer à une échelle supérieure de nuisance, dans l'ordre d'un mal susceptible de conséquences fâcheuses et de suites dangereuses.
Le Bénin est-il en crise ? Maintenant que nous savons ce que crise veut dire et surtout à quoi nous en tenir, confrontons le mot au fait, le signe à la chose signifiée. Le mot le plus usité, le mot omniprésent, ces jours-ci, dans le discours public au Bénin, est, sans conteste, le mot « élections ». Et pour cause. Nous sommes appelés à nous rendre aux urnes dans moins de trois semaines. Nous désignerons, à l'occasion, nos responsables locaux (Conseillers municipaux et communaux, chefs de quartier et de village).
Pour s'en tenir à ce qui a été donné de voir et de vivre dans quelques centres chargés de l'inscription sur les listes électorales et de la délivrance des cartes d'électeurs, l'enthousiasme n'était pas au rendez-vous. Beaucoup n'avaient pas le cœur à l'ouvrage. Et ce fut à contre cœur qu'ils ont cédé au réflexe patriotique de prendre leur carte d'électeur pour accomplir ce qui reste, malgré tout, un devoir civique.
La banalisation des élections, qui plus est, des élections locales, élections de développement avant tout et entre toutes, est un signe qu'il ne faut point banaliser. Cela peut traduire une lassitude et une désaffection prononcées, les populations ne voyant plus dans les élections qu'un rituel vidé de tout sens et de tout contenu. Les élections sont pour une démocratie ce que les roues sont pour un véhicule. Si bien que, quand un véhicule n'a plus de bonnes roues et que la panne s'annonce, avec des élections à problèmes, c'est une démocratie qui se trouve en mal de bonnes solutions pour sa survie.
Sur le plan social, les prix des denrées de première nécessité flambent. Rien ne semble plus pouvoir les contenir. Tout concourt à vouloir les imposer comme la nouvelle et douloureuse réalité des Béninois, des citoyens qui, dans leur immense majorité, se sentent maltraités, malmenés, acculés, pris à la gorge. La vie n'était déjà pas si tendre pour eux. Voilà que tout s'assombrit. Comme s'il devait leur tomber sur la tête ce ciel ténébreux constellé de sombres interrogations. Où allons-nous ? Qu'allons-nous devenir ? A quelle sauce allons-nous être mangés ? Des interrogations à comprendre comme autant de cris de détresse au coeur de leur tourment.
La crise gagne vite d'autres secteurs d'activité. Elle n'épargne pas les plus grandes institutions de l'Etat : la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication (HAAC), sur le dossier de l'attribution de nouvelles fréquences de radios et de télévision, est dans un bras de fer sévère avec le gouvernement. Un bras de fer peu ordinaire qui a dû requérir l'arbitrage extraordinaire de la Cour constitutionnelle. Aux dernières nouvelles, la Cour, qui n'est pas au bout de ses peines, est rappelée pour redire le droit.
La Cour suprême, de son côté, est à pied d'œuvre. Son arbitrage est requis dans l'épreuve de force disproportionnée opposant l'Etat, la puissance publique à l'association de micro crédit, PADME. Combat surréaliste entre un éléphant, dans toute sa toute puissance et une insignifiante fourmi, perdue dans l'arène tragique de cette singulière confrontation. L'un a le privilège d'user de tout, même du droit de la force, l'autre n'a plus qu'à se réfugier derrière la force du droit.
Dans ces situations, le plus faible, prenant le temps à témoin et pour allié, se recroqueville sur la certitude que : « Le fort n'est jamais assez fort, à en croire Jean-Jacques Rousseau, pour être toujours le plus fort », avec l'espoir têtu, selon ce proverbe tout brodé d'un sens profond de la relativité : « Le fer est fort, mais le feu le fond. Le feu est fort, mais l'eau l'éteint. »
Devons-nous parler de la fièvre qui s'est emparée de la classe politique et qui justifie, en ce moment même, d'un effort louable de médiation en vue de reprendre le fil d'un dialogue momentanément interrompu entre les principaux animateurs de la vie politique nationale ?
Ce n'est pas au moment où nous devons fédérer nos forces pour remettre la balle à terre et au centre qu'il faut exposer au regard universel le linge sale de nos discordes et de nos dissensions. Qu'il nous suffise de noter la volonté de plus en plus forte de tourner une page pour en écrire une autre. Et nous le ferons à l'encre forte de notre détermination pour construire un nouveau consensus national. Le Bénin est-il en crise ? Peu importe la réponse à cette question, maintenant que nous savons qu'à toute crise, il y a une solution, et que partout où il y a une pensée orientée vers le meilleur et articulée à la volonté de bien faire, il y a toujours une sortie. L'espoir est donc permis.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du
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