"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

MÊME AU BENIN, LE PIRE N’EST JAMAIS CERTAIN

La Chronique du 20 Août 2007, Chonique lu à Radio Planète

Auteur : TLF

Mon propos, aujourd'hui, va aborder plusieurs sujets de la dense actualité nationale. Le seul point commun entre lesdits sujets sauf un, c'est qu'ils ont tous un côté assez amusant. Amusant, de mon point de vue en tout cas.

Commençons par le sujet pas amusant. Je dois avouer qu'il a porté ma stupéfaction à des sommets plutôt préjudiciables à mon équilibre mental.

Qu'on me comprenne, il est question des 94 professeurs certifiés laissés sur le carreau depuis la fin de leur formation, et qui n'ont trouvé au final, comme porte de sortie, que de menacer de descendre dans la rue. Menace qui a décidé le chef de l'Etat à les recevoir et à donner des instructions pour leur recrutement immédiat. J'avoue n'avoir pas compris pourquoi le chef de l'Etat, après avoir donné des ordres pour le recrutement immédiat de ces enseignants, n'a pas immédiatement limogé la ministre en charge de l'Enseignement secondaire et tous les responsables à divers niveaux concernés par cette affaire.

J'avoue n'avoir pas compris parce que tout de même !, je voudrais qu'on m'explique : que l'Education nationale souffre d'un manque inadmissible d'enseignants normalement et convenablement formés, c'est un refrain que nous connaissons. Que ce manque inadmissible ait été la source de l'hérésie absolue d'une Education nationale confiée, à hauteur de 80%, à des enseignants dits vacataires, contractuels locaux ou communautaires sommairement formés, c'est également un refrain connu. Et que l'on apprenne soudain que sur le territoire national, il y a des professeurs que l'Etat avait formés lui-même – à grands frais, on s'en doute – des professeurs certifiés en divagation que les responsables de l'Education n'ont pas cru devoir recruter, on peut se demander si ce sont des fous qui sont à la tête de l'Ecole béninoise. Il y a deux semaines, je m'étais très sérieusement posé la question de savoir si à la tête de l'Ecole béninoise malade, il y avait des médecins ou des assassins. Je crois que désormais, il faudrait se poser la question de savoir si ce sont des médecins, des assassins ou des fous.


Mais continuons avec un sujet d'actualité plus drôle : celui des réseaux GSM.


Je sais que je ne vais pas me faire beaucoup d'amis, en qualifiant de drôle le calvaire actuel des abonnés des deux réseaux suspendus depuis cinq semaines. Je sais que je ne vais pas me faire des amis, mais je m'en fous ! Je suis de ceux qui avaient refusé, dès le départ, de me joindre au chœur des chants nationalistes anti-Moov et anti-Areeba. Non, comme certains, par accointances particulières ou collusion quelconque avec lesdits réseaux, loin de là !, mais je trouvais tout simplement que :
D'un, il y avait quelque chose de malsain, à désigner à la vindicte populaire, des opérateurs économiques téléphoniques, en mettant lourdement l'accent sur leur statut d'étrangers. Cela pourrait bien suffire à couper l'envie de venir chez nous à d'autres étrangers opérateurs économiques. Un pays où l'Etat peut en effet, pour de mauvaises ou même de bonnes raisons, solliciter le concours de l'opinion publique, pour engager un bras de fer avec des « étrangers », un tel pays ne peut pas être un pays sûr aux yeux d'autres étrangers.
Et puis, en vérité et de façon terre à terre, un étranger peut-il venir faire des choses délictueuses chez vous pendant longtemps, si quelqu'un de votre maison ne lui a pas ouvert le portail au préalable et facilité ses allées et venues à l'intérieur ?

De deux, parlant de bras de fer, je ne pouvais admettre que l'Etat de mon pays s'abaissât à en engager un avec de simples opérateurs GSM. Pour moi, un Etat est si puissant potentiellement qu'il n'a nul besoin de montrer ses muscles à un niveau si bas. Il aurait été tellement plus judicieux, je n'ose pas dire tellement plus intelligent, de mettre de bons juristes sur le dossier et, pendant que ceux-ci s'emploieraient à sortir le pays de cette nébuleuse incroyable dans laquelle l'a plongé l'ancien régime, dans le domaine de la téléphonie mobile, faire appel à d'autres opérateurs ; appel sur la base, cette fois-ci, de nouveaux cahiers de charges moins soumis à des intérêts particuliers et plus respectueux des intérêts nationaux. Ceci, sans prendre le risque à aucun moment, de priver les citoyens de leur droit de communiquer 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365.
Il semble, hélas !, que c'est uniquement leur devoir de patriotes qui a été demandé aux citoyens, afin que l'Etat puisse engager son bras de fer hasardeux avec les opérateurs téléphoniques. Pour ce qui concerne leur droit inaliénable de communiquer à tout moment, les griots de Boni Yayi se sont contenté de les exhorter à crier haro sur les baudets Moov et Areeba. Qu'on me permette de dire que c'est bête et irresponsable. Les dégâts sont maintenant là, incalculables.
De trois : l'objectif de la ferveur nationaliste demandée aux citoyens, qui devaient donc accepter de devenir téléphoniquement sourds et muets – ceci parce que, selon les griots, on ne peut pas faire d'omelettes sans casser des œufs – l'objectif de la ferveur, dis-je, c'était de montrer et de démontrer à ces chenapans d'opérateurs téléphoniques, l'autorité de l'Etat. Or, quand on a vu le cirque que le président de la République et les « chenapans » en question nous ont donné à voir tout au long de la journée du 13 août dernier, il serait difficile de dire qu'un tel cirque a été glorieux pour la belle autorité de l'Etat. Et quand on ajoute à cette ultime tentative présidentielle ratée, les multiples démarches qui l'ont précédée à savoir, celles de l'Autorité transitoire de régulation, celles du ministre en charge des télécommunications, celle du Médiateur de la présidence de la République, quand on ajoute également à cela les sorties médiatiques individuelles – autorisées ou non – des membres de l'Autorité transitoire de régulation, et que malgré tout, au bout de cinq bonnes semaines, les abonnés des réseaux Moov et Areeba sont toujours sourds et muets, on a le droit de se croire en plein vaudeville. Vous comprenez dès lors pourquoi moi, je trouve tout cela assez distrayant.


Distrayant mais beaucoup moins, toutefois, que les déboires qui se sont abattus sur de grands chefs de la douane, au motif infamant qu'ils se sont compromis dans des opérations frauduleuses avec un homme d'affaires sulfureux, bien connu.


Ce qui m'amuse, moi, c'est que Boni Yayi se soit retrouvé, bien malgré lui, dans la peau d'un héros cornélien. Un héros cornélien et même plus encore !… Pour un héros cornélien embarqué dans une situation cornélienne en effet, c'est de deux côtés que le mal est infini. Dans la situation cornélienne de Boni Rodrigue Yayi, c'est de trois côtés que le mal est pour lui préoccupant.
D'abord, que des opérations frauduleuses comme celles en question puissent encore se produire aujourd'hui, cela signifie que toutes ses imprécations anti-corruption n'ont été que du vent. Après un an et demie de changement, c'est préoccupant.
Ensuite, que lesdites opérations frauduleuses éclaboussent de grands chefs douaniers si proches de lui, l'un étant parmi ses porte-drapeaux les plus exaltés et les plus médiatiques à l'Assemblée nationale, cela pourrait bien signifier que des proches du président croient pouvoir compter sur le parapluie présidentiel pour couvrir leurs turpitudes. Conclusion, même chez ses proches, les imprécations anti-corruption du président semblent avoir moins de portée que des miaulements de chatons. C'est préoccupant.
Enfin, que l'occasion lui ait été ainsi donnée de montrer son courage et sa détermination, en limogeant les mis en cause, c'est une bonne chose ; mais, de plus en plus, risque de se cristalliser chez lui le sentiment qu'il ne peut et ne doit plus avoir confiance en personne. Ce n'est sûrement pas avec un tel sentiment de défiance tous azimuts qu'il peut gouverner avec lucidité et sérénité. C'est préoccupant.
Sans aucun doute, c'est préoccupant ; et sûrement pas amusant comme j'essaie de le faire croire. C'est vrai, mais ma vieille et solide conviction à moi est qu'un nettoyage en profondeur des écuries d'Augias, une bonne fois pour toutes, est de loin préférable à la moralisation au coup par coup adoptée par le président. Ce qui me fait sourire, c'est de le voir ainsi sur la brèche en permanence, à constater que les chantres les plus exaltés du Changement peuvent se révéler les plus avariés. C'est un constat qui, évidemment, bat en brèche les thèses manichéistes de certains yayistes. Où sont-ils donc, ces messieurs pour qui, il n'y a pas si longtemps, les yayistes étaient des enfants du Bon Dieu tandis que les autres étaient tous des proches cousins de Lucifer ?
Cependant, le côté amusant des choses m'amène à penser qu'il n'y a pas lieu de désespérer : autant il est possible de dégringoler du ciel vers l'enfer – comme les chefs douaniers Adékambi et Zannou – autant il est possible que d'un terreau du diable puisse s'élever une plante porteuse de promesses célestes. Loin de moi l'idée de vouloir ainsi porter aux nues Mathurin Nago, mais sa prestation télévisuelle, à l'occasion des cent premiers jours de l'Assemblée nationale, a donné de lui une image de président serein et pour le moins rassurant. Et pourtant, qui peut oublier que la plante porteuse de promesses célestes qu'il semble être aujourd'hui, est sortie du terreau infernal d'une élection inique et rocambolesque ? Qui a oublié que les députés qui l'ont élu avaient été au préalable contraints d'aller prêter serment, au cours d'une cérémonie où l'indignité l'avait disputé à la pantalonnade ? Qui a oublié qu'en dépit de ce serment, il n'y eut pas moins d'une quinzaine de procurations lors du vote proprement dit, des procurations établies au nom de députés pourtant bien présents, en chair et en os comme on dit familièrement ?
Or, des élus de la nation ainsi chosifiés, ainsi réduits à l'état de marionnettes il y a cent jours à peine, sont ces mêmes élus qui font aujourd'hui le socle de la majorité présidentielle, constituent une bonne partie de l'Assemblée nationale dont Mathurin Coffi Nago président affirme qu'il n'est pas mécontent.
Pourquoi pas ? Du mal peut jaillir le bien, et vice versa. Il n'y a donc pas lieu de désespérer. Il n'y a lieu pour nous, observateurs, que de rester lucides et vigilants.
C'est ce que je crois.
T.L.F.

 



23/08/2007
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