Où va le Bénin ?
19 janvier 2008
IV L’Ivresse du Religieux
Parce que la joie de vivre a fait place à l'angoisse
quotidienne, du fait que les partis se font et se défont, chacun promettant le
bonheur qu'il ne peut donner et que, heureusement, le dynamisme des ONG, des
Eglises, des Temples et des Mosquées lui procure un peu d'espoir. (Basile Adjou-Moumouni)
Le Béninois a la croyance chevillée à l’âme. Sa disponibilité
religieuse est remarquable. Originairement cette disposition est enracinée dans
la représentation animiste du monde. Le sens de la société, le rôle de la
famille et le statut religieux des ancêtres viennent sceller cette représentation
dans sa dimension pratique. Au sud du pays que dans ses travers comme dans ses
œuvres sublimes on a tort de confondre avec le Bénin – or donc le faible poids
démocratique du nord est inversement proportionnel à sa qualité culturelle et
éthique – le culte du vodoun est prégnant. Ce culte embrasse un système de
représentation animiste structuré qui régit et vivifie les croyances. En dehors
des cultes rendus au panthéon des diverses divinités, la croyance quotidienne
du Béninois concerne l’équilibre de sa vie sociale, émotionnelle et
psychologique. Le chemin qui va du culte d’une divinité vodoun au règne tous
azimuts des croyances superstitieuses sur les esprits en passant par le culte
agissant des ancêtres est le même chemin continu que pratique en permanence
l’esprit du Béninois. C’est sur ce terreau qu’ont poussé les religions
étrangères en parallèles avec les vicissitudes sociopolitiques qui ont marqué
la communauté nationale dans son processus de formation. Ces religions étant
celles du livre dans une société à la tradition orale vivace, force est de
constater le paradoxe de l’influence de la culture biblique et dans une moindre
mesure coranique sur les esprits. La référence à l’évangile ou à la bible prend
souvent la forme d’une revendication de savoir, d’une accumulation de
connaissance qui ont valeur de vérité et d’érudition. La bible est la vérité
même, avant d’être un livre ; et les faits, les dires et les discours qu’elle
véhicule sont des faits révélés, des dires vrais et des discours de vérité
absolue. Cet assemblage idéologique apparemment hétérogène fait de culte
animiste sur fond de croyances superstitieuses d’une part et la prépondérance
du Dieu des religions monothéiste d’autre part, n’a rien de conflictuel ou
contradictoire dans l’esprit du Béninois. Comme l’ivresse passe avant la nature
du vin qui la provoque, l’ivresse religieuse et l’ivresse du religieux
transcendent les différences de culte et de cultures et ne s’immolent pas aux
oppositions de nature dualiste comme c’est le cas dans la représentation
occidentale qui sépare de manière cartésienne l’âme du corps, l’esprit de la
matière. Cette exception méthodologique passe encore lorsqu’il s’agit de la
grande masse des gens qui n’ont été que très faiblement aux principes
fondamentaux de la pensée occidentale. Mais la chose devient parfaitement
étonnante lorsque l’on constate qu’au Bénin, n’est pas de mise la pudeur ou la
distance, pour ne pas dire la circonspection que manifeste le savant ou
l’intellectuel occidental vis-à-vis du religieux, et dont le pendant politique
est incarnée par le principe de laïcité qui se traduit par la séparation de
l’église et de l’Etat. La revendication de religiosité enracinée dans les
croyances profondes du Béninois est tout aussi forte dans les milieux lettrés,
et sa détermination sociologique est une détermination de forme. Au Bénin, la
religiosité est soluble dans l’intellectualité. Souvent l’intellectuel béninois
imperméable à la mise à distance méthodologique du religieux passe sans
solution de continuité d’un registre à l’autre en légitimant en contrebande
pour le compte de son ivresse personnelle des discours auxquels son statut
social d’intellectuel confère une valeur de vérité scientifique ou socialement
évidente.
Cette confusion des genres pose problème dans le domaine politique
dans la mesure où les hommes politiques de haut niveau, les cadres chargés de
veiller à la vie de la cité comptent parmi eux des hommes et des femmes
intellectuellement qualifiés. Ceux-ci en principe devraient conformer leurs
actes au principe laïc de séparation de l’église et de l’état qui garantit les
libertés de pensée et d’expression qui sont au fondement de toute démocratie
moderne.
Outre le fait qu’au Bénin le religieux est mis à toutes les sauces,
déborde de son cadre et surdétermine les actes sociaux et quotidiens, le fait
que les hommes politiques, et souvent pas des moindres s’en donnent à cœur joie
de manipuler les affects religieux des citoyens à des fins de contrôle social
et politique est attentatoire à la santé démocratique ; il ruine le discours de
la laïcité et brouille la représentation par le citoyen de la nécessaire
séparation de l’église et de l’état. Cette confusion est une régression
antidémocratique inquiétante. Que les hommes politiques qui devraient veiller à
l’enracinement des principes de laïcité soient les premiers à en saper les
fondements par manipulation de l’ivresse religieuse et de la disposition
atavique à croire du Béninois est un véritable sujet de préoccupation pour le
progrès politique, moral et socioéconomique de notre pays.
Binason Avèkes
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