Le changement à l’épreuve de la
donne politique
A chaque événement, après en avoir tiré des leçons, quoi de normal que
d’adopter une nouvelle philosophie ou réviser ses propres appréciations des
choses, afin de se rapprocher au mieux de la réalité ?. Demain les votes
reprendront dans certaines localités, mais ils ne devraient pas
fondamentalement inverser la tendance déjà connue du public, grâce à la presse
et à chaque camp politique. Le régime du changement, à travers la FCBE, gagne une bonne part
des mairies et laisse à l’opposition ses fiefs – des villes décisives- tout en
y manifestant sa présence. L’opinion publique elle, attend l’issue à donner à
la nouvelle expression de ses appréciations du pouvoir. Ouverture ou continuité
?
En effet, ce que révèlent les tendances est que les partis traditionnels comme la Rb, le Prd, le Psd auxquels
s’ajoute le G13 ont, soit maintenu leur emprise sur leurs fiefs soit fait des
percées dans les villes où la mobilisation contre le régime du changement a le
plus joué sur l’opinion. En général, on peut estimer que l’électorat tout en
montrant ses bonnes dispositions pour le volontarisme, le dynamisme et le souci
profond et sincère du chef de l’Etat pour le progrès rapide de la nation, a
voulu par ailleurs, limiter son emprise locale, pour qu’elle ne devienne pas
excessive –au nom du principe qu’un pouvoir laissé à lui-seul devient fou-.
Le peuple gère son destin
En cela les Béninois, comme en mars 2006, montrent que par les urnes ils
peuvent guider le destin de leur pays, toujours en quête d’un équilibre qui
empêche qu’un pouvoir ne l’emporte sur l’autre dans la gouvernance du pays mais
aussi dans l’occupation de l’espace politique national. Comme l’Ubf, la Fcbe alliance essentiellement
liée à un régime, a tout naturellement pris position dans toutes les communes
du Bénin en prédominant dans bien des localités mais a été contrainte de partager
le pouvoir dans les grandes villes. Les ambitions que soupçonnaient à tort ou à
raison, le G4 et le G13 dans leur déclaration de mars, de la part du pouvoir du
changement, ne se sont donc pas réalisées dans les faits parce que l’électoral
l’a voulu ainsi. Et malgré les prouesses de l’Ubf l’électorat a gardé pour la Rb ses fiefs et le fait d’avoir
eu autant de communes n’a point garanti à Mathieu Kérékou, la révision de la
constitution et un mandat supplémentaire ; il n’a pas non plus permis aux
politiciens de l’Ubf et aux ministres de l’ancien régime ayant eu des ambitions
présidentielles de sauver le système, entravés qu’ils étaient par la
personnalité forte de Mathieu Kérékou et le souci des uns et des autres de se
positionner comme les meilleurs héritiers du système et comme des réformateurs
de l’intérieur. Ce que l’on a appelé la relève et qui pour le peuple signifiait
déjà l’alternance. On se doit donc de noter que d’autres éléments entrent
toujours en jeu, dans la direction que prend à un moment donné l’opinion
publique, dont les effets communicationnels vont avoir une portée certaine sur
les choix futurs. Pour le président Boni Yayi qui représentait aux yeux de
cette opinion plus l’alternance que le changement, dont elle ne mesurait pas le
contenu, ni l’opérationnalité, la victimisation a été hautement porteuse. La
lassitude du système et de l’ère Kérékou avaient atteint leur seuil de rupture.
Il fallait l’alternance non seulement à travers un homme, mais également d’un
système politique et de sa gouvernance économique. Boni Yayi apparaissait alors
comme porteur de toutes ces opportunités. Vouloir l’empêcher de venir au
pouvoir, c’était un peu comme si on complotait contre le peuple. On mesure donc
où va sa sympathie. Vers la nouveauté qu’on voudrait empêcher d’émerger.
Aujourd’hui également, après le temps de la sympathie, d’autres éléments de la
gouvernance politique et de la gestion de la vie sociale ont émergé prenant
leur source dans la morosité née du coût de la vie, des effets de l’assainissement
des finances publiques et du renforcement de l’orthodoxie financière sur
certaines catégories d’ agents économiques en précarité. L’exacerbation de
cette morosité prend elle-même racine dans la perception que l’opinion publique
a de la méthode de gestion du changement : elle lui apparaissait comme en
marche forcée et en agressivité politique, non pas en terme de violence mais en
terme de conquête et de partage de la vie politique nationale. Bien évidemment,
il serait malhonnête de vouloir attribuer à la seule tribulation du pouvoir, la
longue incapacité d’une classe politique -sortie traumatisée des bons résultats
d’un candidat providentiel- à mobiliser sur des valeurs nouvelles, parce que
peu préparée au bouleversement introduit par l’alternance de 2006. Mais le
peuple lui, ne semble pas faire cette lecture du climat politique.
« Pour le changement apaisé
et enthousiaste »
Il analyse le partage du pouvoir politique comme un fondement
naturel du consensus national. On peut à juste titre, en analysant le signal
que l’électorat des grandes villes a envoyé au régime du changement, conclure à
une donne à ne pas négliger. Que fondamentalement, les Béninois ne sont pas
contre le changement - pour lequel ils n’ont malheureusement pas été sollicités
de façon méthodique à y participer. A y participer, afin de l’intégrer, de leur
propre gré. Il semble qu’ils aspirent à un « changement apaisé » qui prenne son
ressort dans la volonté sociale, mobilisée et partagée, d’infléchir les anciens
comportements, qui ont fait dans le passé le nid des dysfonctionnements devenus
la norme, et qui continuent d’être des pesanteurs et des résistances au
changement. Au changement décrété, ils préfèreraient peut-être le « changement
enthousiaste » qui fait accepter les sacrifices, parce qu’il est porté aussi
par le rêve partagé, d’un bonheur pour chacun et pour tous. Le changement idéal
n’existant pas, et toute émergence provoquant souvent des dégâts sociaux
collatéraux, le changement que le peuple béninois appréhende n’est-il pas celui
d’un long périple pédagogique ? Il faut donc pour l’horizon 2011, créer
aujourd’hui même, les conditions d’un changement qui tienne compte du contexte
social, du schéma de pensée du peuple pour ne pas dire sa volonté, obtenir
autour de ce projet, l’adhésion d’un grand nombre des Béninois par la meilleure
pédagogie de la mobilisation et de l’action On pourrait ainsi espérer une bonne
synergie des actions du changement. Cependant et avant tout, les élections
communales et locales ont envoyé un signal fort dont il convient d’aider le
président de la république, chef de l’Etat, chef du gouvernement, à prendre en
compte –courageusement- par les meilleurs conseils et appuis. Il s’exprime à
peu près en ces termes : « une gouvernance concertée dans un changement apaisé
». Une ouverture significative en signal de retour aux Béninois. Les leçons de
ces élections, ne sont pas celles du découragement ou de la démission du
changement, mais une clairvoyance pour emprunter la meilleure voie afin
d’obtenir à terme, un changement induit et de qualité. En ayant toujours en
tête –dans une vision positive et non fataliste- cette maxime pourtant cruelle
de Victor Cousin : « … les peuples ont toujours ce qu’ils méritent, comme les
individus. On peut plaindre si l’on veut les peuples, mais il ne faut pas
accuser leur destin, car ce sont toujours eux qui le font ».
Léon BRATHIER