"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Premières leçons du scrutin du 20 avril :

 Le changement à l’épreuve de la donne politique


A chaque événement, après en avoir tiré des leçons, quoi de normal que d’adopter une nouvelle philosophie ou réviser ses propres appréciations des choses, afin de se rapprocher au mieux de la réalité ?. Demain les votes reprendront dans certaines localités, mais ils ne devraient pas fondamentalement inverser la tendance déjà connue du public, grâce à la presse et à chaque camp politique. Le régime du changement, à travers la FCBE, gagne une bonne part des mairies et laisse à l’opposition ses fiefs – des villes décisives- tout en y manifestant sa présence. L’opinion publique elle, attend l’issue à donner à la nouvelle expression de ses appréciations du pouvoir. Ouverture ou continuité ?

En effet, ce que révèlent les tendances est que les partis traditionnels comme la Rb, le Prd, le Psd auxquels s’ajoute le G13 ont, soit maintenu leur emprise sur leurs fiefs soit fait des percées dans les villes où la mobilisation contre le régime du changement a le plus joué sur l’opinion. En général, on peut estimer que l’électorat tout en montrant ses bonnes dispositions pour le volontarisme, le dynamisme et le souci profond et sincère du chef de l’Etat pour le progrès rapide de la nation, a voulu par ailleurs, limiter son emprise locale, pour qu’elle ne devienne pas excessive –au nom du principe qu’un pouvoir laissé à lui-seul devient fou-.

Le peuple gère son destin

En cela les Béninois, comme en mars 2006, montrent que par les urnes ils peuvent guider le destin de leur pays, toujours en quête d’un équilibre qui empêche qu’un pouvoir ne l’emporte sur l’autre dans la gouvernance du pays mais aussi dans l’occupation de l’espace politique national. Comme l’Ubf, la Fcbe alliance essentiellement liée à un régime, a tout naturellement pris position dans toutes les communes du Bénin en prédominant dans bien des localités mais a été contrainte de partager le pouvoir dans les grandes villes. Les ambitions que soupçonnaient à tort ou à raison, le G4 et le G13 dans leur déclaration de mars, de la part du pouvoir du changement, ne se sont donc pas réalisées dans les faits parce que l’électoral l’a voulu ainsi. Et malgré les prouesses de l’Ubf l’électorat a gardé pour la Rb ses fiefs et le fait d’avoir eu autant de communes n’a point garanti à Mathieu Kérékou, la révision de la constitution et un mandat supplémentaire ; il n’a pas non plus permis aux politiciens de l’Ubf et aux ministres de l’ancien régime ayant eu des ambitions présidentielles de sauver le système, entravés qu’ils étaient par la personnalité forte de Mathieu Kérékou et le souci des uns et des autres de se positionner comme les meilleurs héritiers du système et comme des réformateurs de l’intérieur. Ce que l’on a appelé la relève et qui pour le peuple signifiait déjà l’alternance. On se doit donc de noter que d’autres éléments entrent toujours en jeu, dans la direction que prend à un moment donné l’opinion publique, dont les effets communicationnels vont avoir une portée certaine sur les choix futurs. Pour le président Boni Yayi qui représentait aux yeux de cette opinion plus l’alternance que le changement, dont elle ne mesurait pas le contenu, ni l’opérationnalité, la victimisation a été hautement porteuse. La lassitude du système et de l’ère Kérékou avaient atteint leur seuil de rupture. Il fallait l’alternance non seulement à travers un homme, mais également d’un système politique et de sa gouvernance économique. Boni Yayi apparaissait alors comme porteur de toutes ces opportunités. Vouloir l’empêcher de venir au pouvoir, c’était un peu comme si on complotait contre le peuple. On mesure donc où va sa sympathie. Vers la nouveauté qu’on voudrait empêcher d’émerger. Aujourd’hui également, après le temps de la sympathie, d’autres éléments de la gouvernance politique et de la gestion de la vie sociale ont émergé prenant leur source dans la morosité née du coût de la vie, des effets de l’assainissement des finances publiques et du renforcement de l’orthodoxie financière sur certaines catégories d’ agents économiques en précarité. L’exacerbation de cette morosité prend elle-même racine dans la perception que l’opinion publique a de la méthode de gestion du changement : elle lui apparaissait comme en marche forcée et en agressivité politique, non pas en terme de violence mais en terme de conquête et de partage de la vie politique nationale. Bien évidemment, il serait malhonnête de vouloir attribuer à la seule tribulation du pouvoir, la longue incapacité d’une classe politique -sortie traumatisée des bons résultats d’un candidat providentiel- à mobiliser sur des valeurs nouvelles, parce que peu préparée au bouleversement introduit par l’alternance de 2006. Mais le peuple lui, ne semble pas faire cette lecture du climat politique.

« Pour le changement apaisé et enthousiaste »

Il analyse le partage du pouvoir politique comme un fondement naturel du consensus national. On peut à juste titre, en analysant le signal que l’électorat des grandes villes a envoyé au régime du changement, conclure à une donne à ne pas négliger. Que fondamentalement, les Béninois ne sont pas contre le changement - pour lequel ils n’ont malheureusement pas été sollicités de façon méthodique à y participer. A y participer, afin de l’intégrer, de leur propre gré. Il semble qu’ils aspirent à un « changement apaisé » qui prenne son ressort dans la volonté sociale, mobilisée et partagée, d’infléchir les anciens comportements, qui ont fait dans le passé le nid des dysfonctionnements devenus la norme, et qui continuent d’être des pesanteurs et des résistances au changement. Au changement décrété, ils préfèreraient peut-être le « changement enthousiaste » qui fait accepter les sacrifices, parce qu’il est porté aussi par le rêve partagé, d’un bonheur pour chacun et pour tous. Le changement idéal n’existant pas, et toute émergence provoquant souvent des dégâts sociaux collatéraux, le changement que le peuple béninois appréhende n’est-il pas celui d’un long périple pédagogique ? Il faut donc pour l’horizon 2011, créer aujourd’hui même, les conditions d’un changement qui tienne compte du contexte social, du schéma de pensée du peuple pour ne pas dire sa volonté, obtenir autour de ce projet, l’adhésion d’un grand nombre des Béninois par la meilleure pédagogie de la mobilisation et de l’action On pourrait ainsi espérer une bonne synergie des actions du changement. Cependant et avant tout, les élections communales et locales ont envoyé un signal fort dont il convient d’aider le président de la république, chef de l’Etat, chef du gouvernement, à prendre en compte –courageusement- par les meilleurs conseils et appuis. Il s’exprime à peu près en ces termes : « une gouvernance concertée dans un changement apaisé ». Une ouverture significative en signal de retour aux Béninois. Les leçons de ces élections, ne sont pas celles du découragement ou de la démission du changement, mais une clairvoyance pour emprunter la meilleure voie afin d’obtenir à terme, un changement induit et de qualité. En ayant toujours en tête –dans une vision positive et non fataliste- cette maxime pourtant cruelle de Victor Cousin : « … les peuples ont toujours ce qu’ils méritent, comme les individus. On peut plaindre si l’on veut les peuples, mais il ne faut pas accuser leur destin, car ce sont toujours eux qui le font ».


Léon BRATHIER



30/04/2008
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