Le Président de
l'Assemblée Nationale devra revoir sa copie. 47 des 83 députés que compte le
Parlement ont rejeté son rapport d'activités le 23 mai dernier. Ce qu'il
redoutait pour ne pas convoquer à temps les séances plénières après
l'ouverture de la première session ordinaire de l'Assemblée nationale est
donc arrivé. Les explications de vote ci-après donnent les raisons qui ont
conduit certains députés à rejeter ou accepter ce rapport.
Epiphane Quenum ( Député RB)
« Je voudrais faire constater qu'à la suite du peuple béninois qui souhaite
une amélioration de la gouvernance, qu'elle soit exécutive ou législative,
les députés que nous sommes, avons accompli notre devoir. La gouvernance
législative telle que exercée ne permet pas un meilleur fonctionnement de
notre parlement et de notre démocratie. Ceci étant et eu égard à tout ce qui
est dit, vu les graves lacunes que comporte votre rapport et vu les réponses
insatisfaisantes données à certaines questions, je voudrais vous dire tout
simplement que je tiens ici une proposition de résolution relative à la mise
en place d'une commission d'enquête sur vos activités et la gestion du
parlement ».
Gabriel
Tchokodo ( Député PSD)
« J'ai été obligé de voter contre votre rapport parce qu'aujourd'hui,
l'image de marque de notre parlement est complètement par terre. Qu'il vous
souvienne, Monsieur le président, que j'ai été député de la deuxième
législature et lorsque je compare cette 2è législature à la 5è, il y a une
grande différence. J'ai voté donc contre pour qu'ensemble nous puissions
discuter sur comment le parlement peut retrouver ses lettres de noblesse ».
Edmond Zinsou (
Député Prd)
« Je pense comme mon prédécesseur que l'heure est grave (...) J'ai voté
contre votre rapport tout simplement, parce que j'ai voté la volonté des
populations (…). Je souhaite vivement qu'au niveau du sommet on repense
autrement la gestion de ce pays. Regardez un peu ce qui s'est passé lors des
dernières élections, nous n'avons jamais vu ça dans notre pays. Les
violences au Rwanda, au Libéria, en Somalie et autres ne sont pas nés un
jour. C'est de frustrations en frustration qu'ils en sont arrivés là. Il
faut arrêter l'hémorragie. Il faut repenser le pays. Il faut appeler les
collègues et voir ce qu'il faut faire pour que les choses changent. Je
souscris à cette démarche et je sais que vous êtes un homme de science,
respecté et respectable et parfois je suis très peiné de vous voir dans de
mauvais draps. Ce n'est pas votre formation. Ce n'est pas votre attitude
habituelle à la faculté des sciences agronomiques. Vous pouvez mieux faire
et je pense que vous allez mieux faire ».
François
Abiola (Député Madep)
« Je n'ai pas pu me départir de mon tempérament de conciliateur et de
médiateur que je veux être. Je pense que ce vote va nous permettre
d'exorciser beaucoup de choses. Ce n'est pas une chose extraordinaire et ce
n'est pas la première fois qu'on rejette un rapport d'activité. Si je me
suis finalement associé à ceux qui m'ont demandé de le faire, c'est parce
que je voudrais espérer que ce vote va nous permettre de discuter
entre-nous et de faire revenir la convivialité dans cette salle ».
Jude Lodjou (Député
Force Clé)
« Lorsqu'en 1990, le peuple béninois a décidé d'aller à la Conférence
nationale, c'est qu'il a voulu construire un Etat de droit et un Etat de
droit a des exigences. Le problème du Parlement n'est pas un problème
d'individu. C'est un problème concernant des institutions. Et notre pays a
besoin de consolider sa démocratie. Pour qu'il en soit ainsi, il faut que
chaque institution joue pleinement son rôle. En votant contre ce rapport, je
voudrais appeler tout le monde à réfléchir dans ce sens. Le rôle qui doit
être celui de l'Assemblée, il faut que le président et aussi les députés le
sachent, est à trois niveaux et il faut qu'on puisse le jouer pleinement. En
tout cas, personne ne m'a obligé à voter contre votre rapport. Je l'ai fait
parce que j'estime que mon pays en a besoin. Et je souhaite qu'au lieu qu'on
cherche à emmener des gens sur des rails, qu'on cherche à comprendre ce qui
se passe. C'est ainsi que nous allons évoluer… ».
Clément Houinou :
(Député)
« Permettez-moi de paraphraser l'auteur de l'ouvrage intitulé le nouveau
guide du militant. Il disait : « les problèmes de tout le monde sont des
problèmes politiques et les problèmes politiques sont des problèmes de tout
le monde». Vous conviendrez avec moi que la politique est une œuvre humaine.
Dans toute entreprise humaine, au-delà du caractère objectif des rapports
entre les composantes de la société, c'est d'abord le résultat de la volonté
des hommes de vivre ensemble, de conjuguer leurs efforts dans des actions
positives en vue d'atteindre des objectifs fixés et de satisfaire leurs
besoins qui compte. Et si cette volonté n'est pas la condition sine qua none
pour conduire toute entreprise humaine au succès, elle en est alors l'une
des conditions essentielles. Si j'ai voté contre votre rapport, ce n'est pas
par rapport à un individu, mais par rapport à un système que je veux
combattre. Dans son ouvrage intitulé « Les damnés de la terre », Frantz
Fanon disait : « le torrent emporte tout quand il resserre sa fureur. Au
contraire quand il se laisse détourner en courant divergent, sa force se
perd dans les sables». Cette pensée est à méditer ».
Seydou Adambi (
Député Fcbe)
« A entendre mes prédécesseurs, j'ai été transporté dans la compréhension
que j'avais de ce vote. L'honorable Edmond Zinsou a tout dit en disant
simplement que votre rapport, M. le président a été adopté. C'est-à-dire
tous ont voté pour le rapport. Le problème est ailleurs et pour l'atteindre,
c'est par vous qu'il faut passer. Vous êtes le chat à abattre pour pouvoir
atteindre le propriétaire du chat. De ce fait, ne vous fatiguez pas, ne
cherchez pas loin. Nous avons tous félicité votre rapport, donc en réalité
votre travail est un travail bien fait. La solution, M. le président, prenez
votre bâton de pèlerin. Rencontrez-les, parce que vous êtes le président de
tout le monde ici. Rencontrez-les en Président de l'Assemblée nationale
parce que, qu'on le veuille ou pas, le premier patron du Palais des
gouverneurs, c'est vous et pour ce fait, vous êtes notre papa ici dans cette
maison. Rencontrez vos fils qui ont décidé de se faire entendre par une
autre voix, par les moyens les plus forts. Ramener-les à la maison et ils ne
demandent que ça ».
Boni Tessi :(Député
Fcbe)
« A travers les débats, j'ai senti que tous les députés sont d'accord pour
que nous continuions ensemble la main dans la main. Et nous avons eu des
échanges informels à la pause. Et comme l'a dit mon prédécesseur,
rassurez-vous. Ce qui s'est passé illustre une citation du Général de Gaulle
qui dit que «le plus difficile en politique, c'est de ne pas tailler
d'importance aux choses qui n'ont pas d'importance». Vous comprenez très
bien ce que ça veut dire. Nous sommes interpellés tous. Nous avons intérêt à
ce que les choses aillent mieux. Les efforts qui sont faits sont louables,
mais nous sommes en politique, et la politique est le domaine de
l'irrationnel. Un plus un ne fait pas toujours deux. Un plus un peut faire
mille ou zéro. C'est une interpellation et ce n'est pas au président seul
que le message est adressé mais à nous tous. Nous devons œuvrer pour que
nous puissions éviter d'en arriver là prochainement. Mon souhait est que
tout le monde comprenne que l'enjeu c'est le Bénin. Ce n'est pas un problème
d'individu. C'est le problème de toute la nation. On ne peut réussir à
trouver la solution qu'en échangeant, en se parlant pour que la vérité
transparaisse. Je suis un peu choqué par le premier orateur qui a parlé de
résolution et je suis très heureux que tous ceux qui ont suivi ne soient pas
revenus là-dessus. Je pense que nous ne devons pas aller plus loin que le
message, le message doit être reçu et compris ».
Rachidi
Gbadamassi ( Député G13)
« Je sais appeler le chat, chat et le lion, lion. M. le président, le virus
qui est en train de détruire votre personne se trouve en vous, à côté de
vous. Nous, nous n'avons pas de problème avec vous. Nous n'avons pas de
problème avec la personne de M. Nago. Mais, ne laissez pas ceux-là qui n'ont
pas une conviction politique, qui n'ont pas une auto suffisance alimentaire
vous induire en erreur. Les va-t-en-guerre qui vous demandent de foncer, ne
peuvent pas gérer les conséquences avec vous. Le parlement est un lieu
hautement politique et ce n'est que par la solution politique qu'on peut
résoudre les problèmes politiques. Chacun de nous ici est député. Quand les
gens vous disent laissez-les, ils ne peuvent rien, demain ce sont ces mêmes
personnes qui voudront prendre votre place. Nous, on vous dit la vérité, il
faut être un fin négociateur. Vous êtes le président de tout le monde, vous
n'êtes pas le président d'un groupe isolé. Vous êtes la deuxième
personnalité de l'Etat et il faut restaurer l'autorité de notre Parlement.
Même quand on a un chef, il faut parfois pouvoir lui dire la vérité. La
seule manière d'aimer son chef, c'est de lui dire la vérité. Mais ici, il
suffit de critiquer et on vous traite d'opposant. S'il faut critiquer pour
que le Bénin avance, nous sommes prêts à être appelés opposants éternels.
Mais le moment venu, le peuple béninois saura faire la différence entre le
bon grain et l'ivraie. Nous pensons que c'est en votre temps qu'il y a de
problème. Nous n'avons aucun problème avec vous, parce que nous ne sommes
pas esclave, nous ne sommes pas des poltrons. Nous sommes libres de nos
pensées. Rien n'est gâté. Nous avons voté en toute conscience et nous ne
sommes pas des manipulés politiques. On ne nous manipule pas. Nous sommes
des hommes de conviction politique. Nous savons d'où nous venons. Mais c'est
ceux-là qui ne savent pas où est-ce qu'ils vont qui vous demandent de foncer
la tête baissée, parce qu'ils ont intérêt que vous fonciez aveuglément pour
après chuter. Nous qui vous disions la vérité, on nous traite d'opposant,
c'est la même chose que je dirai devant le chef de l'Etat. Nous ne savons
pas nous passer les pommades. Nous ne savons pas gravir les marches. Nous ne
sommes ni des griots, ni des adolescents politiques. Alors j'appuie mon ami
Epiphane Quenum. S'ils veulent vous dire d'aller contre nous, alors nous
aussi nous avons des stratégies politiques que nous allons mettre en place.
Adoptons donc une résolution et continuons, parce que vous ne pouvez pas
nous forcer la main de faire ce que nous ne voulons pas faire. Pour finir,
je demande humblement de privilégier la voie du dialogue et peut-être vous
aller réussir là ou les autres ont échoué ».
Djibril Débourou ( Député
Fcbe)
« Je prends acte du vote émis par l'Assemblée nationale. C'est un vote
politique et je le considère comme tel. En treize ans de vie parlementaire,
j'ai rarement vu un rapport aussi clair, aussi travaillé, aussi appliqué.
C'est pourquoi je dis que c'est un vote politique et il faut le prendre
comme tel. Il reflète la configuration politique de notre hémicycle. Le 30
décembre 1996, le rapport du président de l'Assemblée nationale a été rejeté
dans cet hémicycle. Le 09 juin 1997, le rapport du même président de
l'Assemblée nationale a été rejeté. Le rejet d'un rapport du président de
l'Assemblée nationale n'est pas une chose inédite dans notre hémicycle. M.
le président, il y a souvent trop de récriminations qui ne s'adressent pas à
l'Assemblée nationale, ni à vous. En parlant, nous parlons au nom de toutes
les populations du Bénin. Mais la population de Bembèrèkè n'est pas
associée à cela. Est-ce que cette population n'est pas la population du
Bénin. J'évoque ça pour dire que le pays appartient à nous tous, personne
n'a intérêt que ça dérape. Des choses comme ça, c'est comme une pente
glissante, lorsque vous commencez à glisser, vous ne vous arrêtez qu'au
fond du ravin, vous ne vous arrêtez jamais en cours de route. En d'autres
termes on sait toujours quand ça commence, mais on ne sait pas quand et
comment ça finit. Et si ça finit mal, personne ne sait si sa tête sera
épargnée par l'orage. C'est pourquoi en toute chose, il faut toujours de la
mesure. Je pense qu'il est encore temps que nous prenions de la mesure ».
Bako
Arifari : (Député G13)
« Je voudrais remercier tous ceux qui ont eu le courage de manifester
clairement et ouvertement leur point de vue, des points de vue qui ne sont
pas orientés contre la personne du président Mathurin Coffi Nago. Mais nous
avons dit en tout cas, chez-nous au G13 en s'appliquant, qu'il y a un
certain nombre de dérives que nous avons constaté depuis un certain temps et
qui constituent des menaces à terme pour le système démocratique qui,
aujourd'hui, sert de boussole et de source d'équilibre pour notre pays. Nous
l'avons dit, nous l'avons affirmé à travers le dernier scrutin. Mon
objectif, ce n'est pas d'aller contre tel ou tel système. Le régime du
changement que nous avons tous contribué d'une manière ou d'une autre à
installer, a besoin d'un autre type de fonctionnement et de gouvernance. On
ne peut pas gouverner avec exclusion, en cherchant à caporaliser un pays et
l'ensemble des institutions d'un pays. Le parti gouvernemental qui, au
lendemain d'une élection, a mission d'assurer la stabilité d'un pays, le
respect des lois, le respect des institutions a d'autres modes d'expression
que la rue. A Karimama, on est allé fermer la mairie, parce qu'on est pas
content des résultats. A Malanville, on a marché, à Glazoué, Sèmè-Kpodji,
Avrankou, Kétou. Partout où on a marché, quand on demande qui marche, les
marcheurs n'ont qu'une seule couleur. De grâce, devant une responsabilité
historique à assumer à un moment donné, il faut un minimum de retenue. On ne
peut pas comprendre que le bras politique de l'exécutif soit ce bras qui
contribue à fossoyer l'Etat, à porter atteinte à l'autorité de l'Etat. Les
dérives dont nous avons parlé il y a quelques mois, le 30 décembre avec la
naissance du G13, et le mémorandum de janvier 2008 continuent. Nous
voudrions qu'il y ait un nouveau pacte politique réel, pour que ce pays vive
en paix, pour que les institutions fonctionnent normalement. Nous avons trop
de défis à relever. Nous avons besoin d'une autre façon de gouverner et de
créer un minimum de consensus pour faire face à ces grands défis. Ce n'est
pas dans l'exclusion, ce n'est pas en descendant dans les rues, ce n'est pas
en vilipendant tel ou tel groupe qu'on parviendra à relever ces défis. C'est
pour cela que pour nous, ce vote marque le début d'un moment fort de
l'expression de cette volonté de sauvegarder notre système démocratique,
l'intérêt général de ce pays et ce qui sert de principale ressource
politique et diplomatique pour notre pays, la démocratie. C'est cela la
raison de notre vote et c'est pour cela que nous voulons aller jusqu'au
bout ».
Compilation Tobi P. Ahlonsou |