Déclaration des organisations de la société civile
sur la situation nationale
Cotonou, le 14 juillet 2008
L’Assemblée nationale qui tient une session entière sans produire une seule loi
ni effectuer un seul contrôle de l’action gouvernementale ;
Des tribunaux fermés pour cause de grève, la justice bloquée ;
Une élection sans installation des élus,
Des partis politiques en frondes quasi permanentes, des syndicats en colère
contre la vie chère ;
Un gouvernement excédé dans ses positions et dans ses décisions ;
On peut l’affirmer, la crise est là, installée dans notre pays. Son règlement
interpelle chaque citoyen, et appelle, au-delà des clivages politiques et
sociaux, une détermination et une mobilisation générale, dans la vérité,
l’enthousiasme et la transparence. Parce que c’est le citoyen qui paie
l’addition de la mal gouvernance politique, économique et sociale,
Parce que dans leur majorité, les acteurs politiques et économiques ont, soit
la double nationalité et les visas de longue durée qui leur permettraient, en
cas de péril, de se réfugier, corps et biens, dans les pays où la gouvernance
est crédible et les lois régulièrement votées pour leur en facilité l’accès et
la jouissance,
Parce que le temps est venu de ne plus accepter l’inacceptable,
Les associations de la société civile, soussignées, préoccupées par cette
situation de crise continuelle et l’inertie ou, à tout le moins l’incapacité
des pouvoirs publics dans son règlement :
I – Observe :
A – Une session parlementaire sans lois ni contrôle de l’action du
Gouvernement.
La grogne politique, qui culmine avec la rébellion parlementaire et le
blocage supposé de la formation du gouvernement n’est pas de nature à créer les
conditions d’un développement et d’une gestion apaisée de notre pays. Pourtant,
on devrait se réjouir de cette effervescence politique synonyme de dynamisme
démocratique si ce n’est que les motivations, les fins et les résultats
éloignent les acteurs des préoccupations essentielles des populations et des
intérêts de la nation.
On mesure, en effet, au titre des motivations, qu’en silhouette, l’ «
opposition » nourrie par la classe politique en « rébellion » est fondée sur le
non-respect des « engagements » qu’aurait pris le Chef de l’Etat en vue de la «
gestion concertée » du pouvoir. Chacun des groupes d’organisations politiques
dénommés « G4 » et « G13 » font grief au Chef de l’Etat d’ignorer, voire de
mépriser les accords de gouvernement conclus. Les fins recherchées résideraient
ainsi dans le partage du pouvoir politique et administratif.
S’il est vrai que le pouvoir exécutif a suffisamment démontré sa propension à
la concentration à l’excès de tous les pouvoirs et à une inclination certaine
en faveur de l’instabilité de ses engagements, il ne demeure pas moins vrai que
le système démocratique ne gagnerait guère en qualité s’il ne se nourrissait
que de querelles de partage de gâteaux. Les acteurs politiques tardent ou
refusent de se constituer en véritables alternatives d’idées et de projets, et
on se rend bien compte que l’ « opposition » n’existerait guère si le partage
avait prévalu. Les maux dont souffrent les populations subsisteraient
cependant.
Au demeurant, cette fronde politique conduit au curieux mais fâcheux résultat
d’élever les animateurs de la mafia économique en vedettes politiques. Ayant
lui-même pris des libertés avec la gestion orthodoxe des ressources publiques,
le Gouvernement a fini, en réalité, par rendre les armes et le tablier sur le
terrain de la lutte contre la corruption. Il cherche plutôt à négocier.
Les associations soussignées redoutent que la mal gouvernance politique nuise à
l’espoir de l’épiphanie démocratique qu’ont constitué les élections
présidentielles de mars 2006. Cette mal gouvernance qui contraint le Chef de
l’exécutif à la realpolitik est une régression considérable d’autant plus
regrettable qu’elle se conjugue avec la mal gouvernance économique.
B – Une élection sans installation des élus. Les signaux regrettables d’un
refus de l’alternance au pouvoir.
La gestion des suites des élections communales, municipales et locales du mois
d’avril 2008 par le Gouvernement et son administration s’inscrit dans la
logique exposée et constitue également une reculade démocratique. L’opinion a
bien remarqué que les Conseils élus non-installés sont, dans leur majorité,
ceux qui ont échappé au contrôle du pouvoir politique. Au mépris de la loi, et
sous le fallacieux prétexte de recours formés, le Pouvoir exécutif déconcentré
s’abstient de procéder à l’installation de ces organes élus. Or, il est bien
disposé par la loi électorale, que les recours ne sont pas suspensifs. Il est
tout aussi curieux que dans les circonscriptions contrôlées par les forces
politiques proches du Gouvernement, les recours introduits n’ont pas fait échec
à l’installation des conseils.
Les associations soussignées condamnent avec la plus grande fermeté ce
comportement assimilable à l’arbitraire. Elles redoutent, également, à cet
égard, que ces indices du refus de l’alternance démocratique conduisent notre
pays à subir les drames connus ailleurs en Afrique. Elles engagent les acteurs
à éviter à l’avenir de tels dérapages préjudiciables à la stabilité
politique laborieusement acquise par les Béninois.
C – Une justice bloquée.
La situation au sein de la justice béninoise participe aussi de la mal
gouvernance généralisée. La cessation des activités dans le secteur judiciaire
résulte moins de la pertinence ou non des revendications des greffiers et
agents assimilés que de la sincérité et du respect des engagements pris par les
gouvernements successifs. Les accords conclus par manque de réalisme et marqués
par l’insincérité budgétaire et administrative ne font que reporter les crises
sociales et paralyser l’administration publique. La Justice est à
l’investissement économique et aux droits humains ce que la charpente est au
bâtiment. La situation de crise récurrente dans le secteur judiciaire augmente
le risque de l’investissement dans notre pays et rapproche au plus près de
l’échafaud les droits des personnes.
D – Le coût extrêmement élevé de la vie.
Si, au plan plan mondial, l’inflation du prix des produits pétroliers conduit
au renchérissement de ceux des produits de consommation courante, il convient
également d’établir qu’au plan national, l’élévation du coût de la vie est
également liée à la conjonction de plusieurs facteurs endogènes parmi lesquels
on peut citer : l’absence d’anticipation économique, les dépenses somptuaires à
finalité politique, le sacrifice de l’intelligence et la célébration de
l’incompétence aux fonctions délicates au sommet de l’Etat.
Il n’est pas inutile de rappeler que de l’aveu du Ministre en charge du
commerce, le gouvernement pensait traiter une crise conjoncturelle pour se
rendre compte qu’il s’agit d’une crise structurelle. On comprend alors
pourquoi, alors que la crise s’installait en profondeur, l’utilisation des
ressources publiques n’avait pas répondu au critère de l’opportunité. La
gabegie préélectorale faite de dépenses somptuaires aurait alors pu être
évitée.
Les associations soussignées considèrent que dans un monde de plus en plus
difficile où les relations entre États sont sans pitié, nos modestes ressources
devraient être plutôt utilisées avec la plus grande rigueur et perspicacité.
Notre pays a les moyens de son développement quelle que soit, par ailleurs, la
situation au plan international, pourvu que les Autorités à sa tête aient le
souci de la gestion rationnelle et pertinente des ressources humaines.
II – Appellent :
A – Les acteurs politiques et, en premier lieu, le Chef de l’Etat,
à prendre la mesure des attentes réelles de nos concitoyens et à leur
proposer des solutions satisfaisantes, équitables et durables, sans renoncer à
la lutte contre l’impunité, la gabegie, la corruption. Les associations
soussignées exigent que les procédures légales soient engagées ou poursuivies à
l’encontre des prédateurs de l’économie nationale. Les arrangements politiques
ne doivent point nuire à la gouvernance éthique.
Particulièrement, les forces politiques à l’Assemblée nationale devront trouver
un accord minimum qui permette de voter les lois nécessaires à la réalisation
des projets de développement, sans préjudice, bien entendu, de leurs droits
politiques et constitutionnels.
B – Le Gouvernement
au respect de l’Etat de droit et de la démocratie. Le contenu du serment
prononcé par le Chef de l’Etat à sa prise de fonction, dans sa lettre et dans
son esprit, devrait constituer le repère de l’action gouvernementale. Les
tentatives pathologiques d’accaparement de tous les maillons du pouvoir d’Etat,
aux dépens, parfois, des règles établies, assurent mal la confiance nécessaire
attendue pour l’efficacité de ses actions. A tout le moins, elles sont aux
antipodes de la « gouvernance concertée » prônée par le Gouvernement.
C – Le Gouvernement
à négocier avec les forces sociales avec sincérité et transparence et à
respecter les accords conclus. Elles souhaitent qu’un accord social soit trouvé
sans retard avec les travailleurs du secteur judiciaire.
D - Les différents acteurs de ce secteur à la nécessité de prendre la mesure de
l’enjeu de développement et de renouer, dans la sincérité, la rigueur et
l’objectivité, le dialogue nécessaire à la protection judiciaire des droits et
liberté.
E – Le Gouvernement et les instances politiques au respect des décisions de la Cour constitutionnelle. Le
non-respect des décisions de la
Cour constitutionnelle et du Pouvoir judiciaire est la clé de
l’anarchie et de l’arbitraire.
E - Enfin, en ce qui concerne le coût de la vie, les associations soussignées
considèrent également que si le forum annoncé par le Gouvernement pour se tenir
le lundi 14 juillet 2008 sur la vie chère est une manière d’interpeller toutes
les couches sociales sur la question, ce cadre n’est pas pour autant approprié
pour des discussions fructueuses en vue de propositions pertinentes.
Pour être utiles, les discussions auraient pu être précédées d’un rapport des
départements et structures gouvernementaux compétents sur les causes de la
situation et les solutions préconisées par le Gouvernement.
Il est souhaitable qu’à l’avenir, l’accent puisse être mis sur la recherche et
l’analyse. A ce sujet, les associations recommandent au Gouvernement :
1 – de solliciter le concours des centres universitaires de recherches sur les
réflexions stratégiques en vue des choix opportuns à terme ;
2 – de cultiver la diversité des opinions et des positions ; et
q3 – d’éviter la précipitation et de faire toujours précéder
la décision par la réflexion et l’expertise.
Fait à Cotonou,
le 14 juillet 2008.
Ont signé :
Droits de l’Homme, Paix et
Développement (DHPD)
WANEP-Bénin
Elan
FONAC
Social WATCH
AFRICA OBOTA
Nouvelle Ethique
Human Rights Task Group
ADEJUI-ONG
Espace et Vie –ONG
ALCRER
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