"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Transparence et gestion de la parole publique

Cette chronique lue à la radiodiffusion CAPP FM et sur la télévision privée LC2 le 30 Aout est de Jérome CARLOS

Le Bénin, une maison de verre. Si c’était le cas, nous applaudirions bien fort. Une maison de verre suppose en effet, la transparence totale, la vérité sans fard, la fin de toute cachotterie, la clarté en tout, la limpidité partout. Du reste, il y a moins à avoir peur de la lumière du jour que des ténèbres de la nuit.

Quand le chef de l’Etat se fait le défenseur d’un style de direction des hommes et de conduite des affaires de l’Etat, un style que le discours officiel a coulé dans l’expression de « Gestion concertée », c’est l’idée d’une certaine transparence qui l’habite afin que s’effacent, à terme, le secret et la confidentialité dont nous aimons habiller les choses.

Le Bénin comme une maison de verre, se sont des comptes-rendus des conseils de ministres dans lesquels l’on ne prend plus des gants pour dénoncer et stigmatiser des cas de corruption, de détournement des deniers publics. Et il arrive qu’à ce jeu de la vérité et de la transparence, l’on crucifie même certains hommes et femmes en vue du régime.

Dans cette ambiance générale de volonté de transparence, dans la maison de verre qu’ambitionne d’être notre pays, on parle beaucoup, on se commet publiquement à dire sa vérité, et les médias, dans leur rôle de caisses de résonance, relayent, diffusent, amplifient tout en des bouquets de paroles qui font mouche, mais également dans la cacophonie des propos hors de propos et mal maîtrisés. La crise actuelle dans le secteur du GSM, à travers le bras de fer qui oppose le gouvernement à deux opérateurs de la place, illustre à suffisance cette débauche de paroles tous azimuts, dans l’excitation et dans l’ivresse d’une transparence de fraîche date.

Résonne alors à nos oreilles ce proverbe latin qui semble nous donner la vraie dimension de toute vraie transparence (citation) « Il y a un temps pour ne rien dire, il y a un temps pour parler, mais il n’y a pas un temps pour tout dire » (fin de citation) Cela signifie que l’on doit s’interdire de prendre l’Etat pour le hall d’accueil d’une gare où tout un chacun peut se laisser aller à parler à volonté, où tout un chacun peut s’autoriser de conter, de raconter et de se raconter à satiété.

Quand on porte la parole de l’Etat, on sort tout naturellement du périmètre de la vie privée, pour s’illustrer dans l’espace public qui est régi par des règles et des normes déterminées. Le principe de la transparence, qui est un principe sain, ne peut autoriser quiconque à ouvrir sans discernement, sans précaution, les vannes de la parole et par conséquent à se croire obliger de tout dire.

Nous avons beau nous accrocher à l’idée de faire du Bénin une maison de verre, force est de reconnaître, cependant, qu’il y a des choses qui touchent aux intérêts stratégiques de l’Etat qu’on ne saurait exposer sur la place publique, livrer au public pour le seul plaisir de se flatter d’être transparent. On a tôt fait, ce faisant, de pécher par naïveté, une naïveté grosse de tous les dangers.

Dans la crise actuelle du GSM, la puissance publique a à gérer une situation des plus délicates qui lui impose de commettre le moins d’erreurs possibles. Mais il faut, avant toutes choses, prendre l’exacte mesure de cette situation dans laquelle l’Etat béninois n’a pas en face de lui deux épiceries du coin, mais deux multinationales justifiant tout à la fois d’une force de frappe certaine et des réseaux souterrains d’influences très étendus. Avoir le sens des rapports des forces, sans baisser pour autant ni les bras ni la garde, est un gage de succès et la qualité de l’interlocuteur ou de l’adversaire, selon le cas, détermine la stratégie d’approche de la bagarre à livrer.

Premièrement : il ne faut pas se précipiter pour prendre des mesures apparemment bonnes et populaires, mais dont on n’aura pas bien mûri ou bien estimé les conséquences. Une bagarre de cette nature a des dimensions plurielles. Elle touche à des intérêts fort imbriqués. Elle est d’office une affaire de couvent qui fait appel à des Etats majors stratégiques où tout se pense, se conçoit, se planifie, se programme, se décide, se coordonne, se rectifie. Ce n’est point faire de la transparence que de permettre, sur cette affaire, les paroles publiques croisées du Ministre de tutelle, des membres de l’organe transitoire de régulation et d’un conseiller du chef de l’Etat. Cela fait désordre.

Deuxièmement : il ne faut pas simplifier en réduisant le débat à une approche nationaliste orientée vers la défense de nos intérêts tenus pour piétinés par un groupe d’opérateurs vampires et prédateurs. Une entreprise étrangère que nous autorisons à s’installer chez nous n’est pas là pour nos beaux yeux. La complexité du monde des affaires nous impose le devoir de négocier à toutes les étapes, encore et toujours, au lieu de nous sentir chaque fois dans l’obligation de monter à l’assaut d’un ennemi. Et négocier, c’est savoir explorer toutes les voies qui passent forcément par des concessions à faire, des exigences à faire prévaloir, des faiblesses de son vis à vis à exploiter, des compromis dynamiques à rechercher dans le cadre d’un partenariat « gagnant-gagnant ».

A supposer que par souci de transparence, nous nous imposions la ligne de conduite d’informer le public sur la marche des négociations, nous nous devons, cependant, d’observer, selon l’antique sagesse latine, qu’il y a un temps pour ne rien dire, qu’il y a un temps pour parler, mais surtout et par-dessus tout, qu’il n’y a pas un temps pour tout dire.

Jérôme Carlos
La chronique du jour du 30 août 2007



31/08/2007
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