Transparence et gestion de la parole publique
Le Bénin, une
maison de verre. Si c’était le cas, nous applaudirions bien fort. Une maison de
verre suppose en effet, la transparence totale, la vérité sans fard, la fin de
toute cachotterie, la clarté en tout, la limpidité partout. Du reste, il y a
moins à avoir peur de la lumière du jour que des ténèbres de la nuit.
Quand le chef de
l’Etat se fait le défenseur d’un style de direction des hommes et de conduite
des affaires de l’Etat, un style que le discours officiel a coulé dans
l’expression de « Gestion concertée », c’est l’idée d’une certaine transparence
qui l’habite afin que s’effacent, à terme, le secret et la confidentialité dont
nous aimons habiller les choses.
Le Bénin comme
une maison de verre, se sont des comptes-rendus des conseils de ministres dans
lesquels l’on ne prend plus des gants pour dénoncer et stigmatiser des cas de
corruption, de détournement des deniers publics. Et il arrive qu’à ce jeu de la
vérité et de la transparence, l’on crucifie même certains hommes et femmes en
vue du régime.
Dans cette
ambiance générale de volonté de transparence, dans la maison de verre
qu’ambitionne d’être notre pays, on parle beaucoup, on se commet publiquement à
dire sa vérité, et les médias, dans leur rôle de caisses de résonance,
relayent, diffusent, amplifient tout en des bouquets de paroles qui font
mouche, mais également dans la cacophonie des propos hors de propos et mal
maîtrisés. La crise actuelle dans le secteur du GSM, à travers le bras de fer
qui oppose le gouvernement à deux opérateurs de la place, illustre à suffisance
cette débauche de paroles tous azimuts, dans l’excitation et dans l’ivresse
d’une transparence de fraîche date.
Résonne alors à
nos oreilles ce proverbe latin qui semble nous donner la vraie dimension de
toute vraie transparence (citation) « Il y a un temps pour ne rien dire, il y a
un temps pour parler, mais il n’y a pas un temps pour tout dire » (fin de
citation) Cela signifie que l’on doit s’interdire de prendre l’Etat pour le
hall d’accueil d’une gare où tout un chacun peut se laisser aller à parler à
volonté, où tout un chacun peut s’autoriser de conter, de raconter et de se
raconter à satiété.
Quand on porte
la parole de l’Etat, on sort tout naturellement du périmètre de la vie privée,
pour s’illustrer dans l’espace public qui est régi par des règles et des normes
déterminées. Le principe de la transparence, qui est un principe sain, ne peut
autoriser quiconque à ouvrir sans discernement, sans précaution, les vannes de
la parole et par conséquent à se croire obliger de tout dire.
Nous avons beau
nous accrocher à l’idée de faire du Bénin une maison de verre, force est de
reconnaître, cependant, qu’il y a des choses qui touchent aux intérêts
stratégiques de l’Etat qu’on ne saurait exposer sur la place publique, livrer
au public pour le seul plaisir de se flatter d’être transparent. On a tôt fait,
ce faisant, de pécher par naïveté, une naïveté grosse de tous les dangers.
Dans la crise
actuelle du GSM, la puissance publique a à gérer une situation des plus
délicates qui lui impose de commettre le moins d’erreurs possibles. Mais il
faut, avant toutes choses, prendre l’exacte mesure de cette situation dans
laquelle l’Etat béninois n’a pas en face de lui deux épiceries du coin, mais
deux multinationales justifiant tout à la fois d’une force de frappe certaine
et des réseaux souterrains d’influences très étendus. Avoir le sens des
rapports des forces, sans baisser pour autant ni les bras ni la garde, est un
gage de succès et la qualité de l’interlocuteur ou de l’adversaire, selon le
cas, détermine la stratégie d’approche de la bagarre à livrer.
Premièrement :
il ne faut pas se précipiter pour prendre des mesures apparemment bonnes et
populaires, mais dont on n’aura pas bien mûri ou bien estimé les conséquences.
Une bagarre de cette nature a des dimensions plurielles. Elle touche à des
intérêts fort imbriqués. Elle est d’office une affaire de couvent qui fait
appel à des Etats majors stratégiques où tout se pense, se conçoit, se
planifie, se programme, se décide, se coordonne, se rectifie. Ce n’est point
faire de la transparence que de permettre, sur cette affaire, les paroles
publiques croisées du Ministre de tutelle, des membres de l’organe transitoire
de régulation et d’un conseiller du chef de l’Etat. Cela fait désordre.
Deuxièmement :
il ne faut pas simplifier en réduisant le débat à une approche nationaliste
orientée vers la défense de nos intérêts tenus pour piétinés par un groupe
d’opérateurs vampires et prédateurs. Une entreprise étrangère que nous
autorisons à s’installer chez nous n’est pas là pour nos beaux yeux. La
complexité du monde des affaires nous impose le devoir de négocier à toutes les
étapes, encore et toujours, au lieu de nous sentir chaque fois dans
l’obligation de monter à l’assaut d’un ennemi. Et négocier, c’est savoir
explorer toutes les voies qui passent forcément par des concessions à faire,
des exigences à faire prévaloir, des faiblesses de son vis à vis à exploiter,
des compromis dynamiques à rechercher dans le cadre d’un partenariat «
gagnant-gagnant ».
A supposer que
par souci de transparence, nous nous imposions la ligne de conduite d’informer
le public sur la marche des négociations, nous nous devons, cependant,
d’observer, selon l’antique sagesse latine, qu’il y a un temps pour ne rien
dire, qu’il y a un temps pour parler, mais surtout et par-dessus tout, qu’il
n’y a pas un temps pour tout dire.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 30 août 2007
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