"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

AU CHEVET DE L’ECOLE NATIONALE MALADE,

Y A T IL TOUJOURS DES MEDECINS OU DES ASSASSINS ?

Chronique du 1er/10/07

(Cet article est la reprise de la célèbre Crhonique de TLF. Il est long certes mais plein de sens)

Dans l’espèce de guérilla autour de la rentrée scolaire qui met aux prises, depuis quelque temps, gouvernement et syndicats de l’enseignement, c’est le 4 octobre prochain – sauf cessez-le-feu de dernière minute – que nous saurons qui a gagné.
Disant cela, croyez-moi, je n’éprouve pas la joie de l’observateur impartial impatient de compter les points de part et d’autre ; parce que dans l’un ou l’autre cas, c’est l’Ecole béninoise qui sera perdante.
Je ne comprends pas en effet l’alchimie qui a rendu possible, à quelques semaines de la rentrée, le déclenchement d’hostilités si vives entre les deux acteurs majeurs de l’Education nationale : l’Etat et les syndicats enseignants. Hostilités si vives qu’ils en sont arrivés à se diaboliser mutuellement, à qui mieux mieux.
Pour les syndicats, le gouvernement est responsable de tous les blocages et, par sa gestion de la situation, travaille en fait à la destruction de l’Ecole.
Pour le gouvernement, les syndicalistes sont des extrémistes jusqu’au boutistes, éternels insatisfaits qui n’ont pour préoccupation que d’hypothéquer la rentrée des classes, afin de mettre le gouvernement et son chef en difficulté

Evidemment, dans les deux camps, ce sont les partisans de la ligne dure qui poussent à la roue, rivalisent d’inspiration pour la diabolisation irrémédiable de l’adversaire. Un adversaire considéré en l’occurrence comme un ennemi véritable… à abattre.
On croit rêver.
Dire que tous ces gens jurent, le cœur sur la main, que l’Education nationale est leur souci premier, qu’ils sont pleinement conscients que c’est l’Ecole d’aujourd’hui qui prépare pour le pays ou des lendemains chantants ou des réveils de cauchemar.
En tout cas, on croit rêver quand, entre autres revendications légitimes et indiscutables, on entend des syndicalistes subordonner la rentrée des classes à la suppression pure et simple des Nouveaux Programmes d’Enseignement, et au décrochage immédiat du corps des enseignants de celui des autres agents de l’Etat. Or, ce sont là, à mon avis, des revendications trop sérieuses, aux implications trop nombreuses, pour être les enjeux d’une prise en otage des élèves et parents d’élèves, à une veille de rentrée des classes.
On croit rêver également, quand on voit qu’au lieu de s’appliquer à satisfaire les revendications les plus indiscutables des enseignants – dont certaines sont si indiscutables qu’on a du mal à comprendre pourquoi elles sont encore d’actualité – le gouvernement se lance dans de la diversion tous azimuts. La désinformation n’est même pas absente de l’entreprise, par le biais de quelques écrivaillons des médias, spécialistes de la flagornerie maximum, de la réflexion minimum, des vérités approximatives et de l’injure facile. A même a été appelée à la rescousse, la société civile nationale qui, elle, continue de se chercher. Quelqu’un m’a dit que de son point de vue, la société civile a fini par se trouver, puisque d’organisation non gouvernementale, elle est devenue ce qu’on peut appeler une organisation non loin de la ligne gouvernementale.
Le plus insolite cependant, c’est le lancement à grands frais, des membres du gouvernement, nombre de leurs collaborateurs et ceux du chef de l’Etat, sur les routes du pays, avec pour objectif la présentation aux populations et aux parents d’élèves, des syndicalistes comme des jusqu’au boutistes insensibles aux efforts considérables du gouvernement et décidés, semble-t-il, à saboter la rentrée des classes.
Je ne suis peut être pas suffisamment malin, mais j’ai du mal à croire que les négociations gouvernement-syndicats aient été à ce point dans l’impasse qu’il n’y a plus eu d’autre issue pour le gouvernement que de prendre le peuple à témoin. Prendre le peuple à témoin, et de très mauvaise manière puisque en dépit de quelques précautions prises par les émissaires gouvernementaux, les syndicalistes sont invariablement présentés comme des jusqu’au boutistes, insatisfaits des très nombreux milliards déjà injectés dans l’Education et insensibles au volontarisme salvateur du chef de l’Etat.
Comment peut-on pourtant honnêtement croire, et faire croire, que les syndicalistes béninois sont devenus des irresponsables absolus, qui s’entêtent à vouloir bloquer l’Education nationale et, partant, entraver la marche de la nation vers l’émergence ? De plus, j’avoue ne pas très bien comprendre la logique de la démarche : convaincre parents d’élèves et populations que c’est le gouvernement qui a raison suffit-il pour contraindre les enseignants à reprendre le chemin des classes ? Est-ce que ce ne sont pas plutôt les enseignants, acteurs majeurs incontournables de l’Education qu’il faut convaincre à tout prix ? Puisque de toutes les façons, ce ne sont pas les parents d’élèves et les populations qu’on aura réussi à convaincre, qui vont dispenser les cours à partir du 4 octobre !…
La démarche gouvernementale, qui s’apparente à une dérobade ou à une fuite en avant, est d’ailleurs pratiquement la même que celle mise en œuvre dans la gestion de la récente crise dans la téléphonie mobile : on évite les débats de fond et les négociations sérieuses, pour plutôt prendre à témoins les populations – en agitant beaucoup de milliards – afin de diaboliser les protagonistes d’en face.
C’est pourquoi ma conviction à moi est que si, au final, dans la crise scolaire actuelle, le gouvernement obtient – comme dans la crise des réseaux GSM – une victoire à la Pyrrhus, c’est sûr que le pays ne sera pas plus avancé. L’Education nationale non plus, de toute évidence.
Et c’est bien ce que je disais tout à l’heure à savoir que dans la guérilla syndicat-gouvernement à propos de la rentrée prochaine, quel que soit le camp qui va gagner, c’est l’Ecole béninoise qui va perdre ; puisque là encore, on va escamoter les débats de fond sur une Ecole profondément malade. A se demander si les responsables de l’Ecole béninoise, à divers niveaux, sont des gens sérieux et… responsables.
A ce stade me revient à l’esprit une ancienne chronique à laquelle j’avais donné un titre volontairement provocateur à savoir : « AU CHEVET DE L’ECOLE NATIONALE MALADE, Y A-T-IL DES MEDECINS OU DES ASSASSINS ? »
Je ne peux pas m’empêcher de vous proposer un extrait de cette ancienne chronique, ayant noté hélas ! que depuis lors, mes préoccupations sont restées les mêmes. Ce qui n’est d’ailleurs pas étonnant : et les hommes et le système dont ces hommes ont la charge n’ont guère bougé. Et comme j’ai déjà eu à le souligner une fois ici, au Bénin, les mêmes causes sont comme les mêmes cadres : elles produisent les mêmes dégâts.
Je cite donc un large extrait de l’ancienne chronique en question : « Il prédomine toujours chez moi le sentiment que l’Education nationale est gérée dans l’irrésolution, l’improvisation et l’approximation. Ce ne sont d’ailleurs pas certains actes posés par le gouvernement depuis l’année dernière, qui auraient pu le dissiper, ce sentiment. Je vous ai rappelé il n’y a pas longtemps qu’il avait fallu le coup de gueule de deux syndicalistes, pour que fût mise en place une Commission chargée de réfléchir sur la problématique des Nouveaux Programmes, dans la perspective de la rentrée 2006/2007. C’était, bien entendu, une solution d’attente puisqu’il y eut, par la suite, le fameux Forum sur l’Education. Mais il y avait eu, dans l’intervalle, la décision-surprise de la gratuité de l’école primaire, décision prise – faut-il le rappeler – douze jours après la rentrée des classes, avec tous les désagréments qui ont suivi ! Les tournées du chef de l’Etat dans différents établissements scolaires furent nombreuses. Comme furent nombreuses ses rencontres avec les différents acteurs de l’Education. La toute dernière de ces rencontres fut celle, initiée en toute hâte, après le coup de tonnerre des résultats cataclysmiques des examens de fin d’année. On peut se douter que celle-là a été décidée plus sous le coup de l’émotion et de la panique qu’autre chose.
J’aurais bien voulu ne pas ajouter à tout ceci l’hérésie absolue qui consiste à continuer d’accepter que 80% du corps enseignant de la nation soient constitués d’enseignants dits « communautaires ». J’aurais bien voulu mais le pourrais-je, puisque je sais maintenant que cette hérésie déjà absolue, va être encore aggravée par l’envoi d’enseignants formés de façon sommaire et formatés par le Service militaire, pour aller grossir le rang desdits « communautaires ».
On peut dire ce qu’on veut, mais tout ceci ne me paraît ni cohérent, ni rationnel. Et quand on ajoute à ce méchant cocktail la valse des ministres à la tête des ministères concernés, et la restructuration desdits ministères lors du dernier remaniement ministériel, il y a de quoi se poser la question de savoir si les différents médecins qui s’occupent de l’Ecole béninoise malade sont en train de la conduire aux soins intensifs ou au cimetière.
Je sais, on va encore me dire que j’exagère, mais certains des médecins en question le savent très bien, l’irrésolution dans la prise des décisions appropriées, l’improvisation et l’approximation avec lesquelles ils s’occupent de l’Education nationale malade, préparent pour celle-ci, un futur enterrement de première classe. » Fin du large extrait de l’ancienne chronique.
Qu’est-ce qui a changé depuis ?, je vous le demande. Quand vous voyez l’incertitude actuelle qui plane sur la rentrée prochaine, vous ne pouvez que persister et signer, comme moi ; à savoir que la diversion, l’irrésolution dans la prise des décisions appropriées, l’improvisation et l’approximation qui semblent être le parti pris résolu de ceux qui sont au chevet de l’Ecole nationale malade, ces diversion, irrésolution, improvisation et approximation préparent pour la grande malade, un futur enterrement de première classe.
C’est ce que je crois.
T.L.F.



20/10/2007
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