"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Bénin,

la démocratie est-elle menacée ?

Quarante-sept ans déjà et bientôt le cinquantième anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance. Ce sera alors l’heure du bilan. Un bilan qui variera peut-être d’un Béninois à un autre, d’un historien à un autre mais il ne manquera pas de susciter beaucoup de questions et peut-être même beaucoup d’inquiétudes et de déceptions aussi. Car, si pour une nation un tel laps de temps reste tout à fait insignifiant et dérisoire, le citoyen aurait souhaité voir son environnement physique, social et même politique se transformer qualitativement pour procurer à son existence la quiétude et le bonheur auxquels, légitimement, il aspire dans cette cité qui est la sienne.

« Enfant malade de l’Afrique » comme on le qualifiait, le Bénin s’illustrait sur la scène internationale par ses coups d’Etat à répétition qui ne prirent fi n qu’avec celui du gouvernement militaire révolutionnaire qui se mua en « Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB) ». Ce moment épique fut conclu par l’entrée du pays dans cette période démocratique qui est la nôtre aujourd’hui. Mais comment la vit-on ? A-t-on réellement tiré les leçons essentielles du passé pour faire du Bénin ce à quoi l’on voudrait le destiner et dont on ne cesse de tenter, vaille que vaille, d’en poser les fondements dont la nouvelle pierre est aujourd’hui ce que l’on dénomme « Emergence ».

Les événements de ces dernières semaines, à savoir, le mouvement de protestation des douaniers, l’arrêt de travail d’une catégorie de médecins et celui des enseignants ont malheureusement révélé au grand jour l’inquiétude permanente qui est celle de tout le monde, c’est-à-dire, la fragilisation de la démocratie béninoise. Comment peut-on comprendre, en effet, que des porteurs d’armes et de galons, c’est-à-dire des douaniers, paramilitaires par surcroît, puissent contester une nomination opérée par l’autorité supérieure ; acte qui pourrait mettre par ailleurs à mal l’économie déjà si fragile de la Nation ? Comment comprendre que, garants aussi en partie de la sécurité du territoire et au mépris de toutes les règles militaires qui les régissent, ces hommes puissent se livrer à un spectacle aussi désolant le jour de la passation de service ? Ce comportement, faut-il l’avouer, est indigne de notre pays et de cette armée béninoise que l’on voudrait républicaine ?

Autre catégorie mais faits similaires ; certains enseignants des trois ordres d’enseignement se sont mis également en grève au motif que la revalorisation de la fonction enseignante n’a pas eu lieu trois mois après leur rencontre avec le président de la république. Au regard de ces revendications, il y a lieu de se demander alors, ici aussi, ce que recèle réellement la notion de revalorisation. Est-ce simplement une augmentation des salaires et des avantages divers, l’indexation des salaires avec le coefficient de 1,50, l’allocation de logement dont on demande la fixation à 60% du salaire, dix mille francs pour l’allocation d’incitation à la fonction enseignante et l’assurance-maladie fixée à

vingt-cinq mille francs pour tous les enseignants ? (cf. l’article de Raoufou Affagnon, La Croix du Bénin, numéro 925, 11 janv. 2008). En aurions nous alors vraiment terminé avec ce concept lorsque toutes ces revendications auraient été satisfaites ? Nous pensons que non parce que la revalorisation se situe également ailleurs même si la légitimité de toutes ces demandes est incontestable mais néanmoins discutable.

Car, pensons-nous, la revalorisation de la fonction enseignante, c’est aussi l’exercice de son métier, non dans des conditions dégradantes et dans des classes décentes et attrayantes. La revalorisation, c’est veiller à ce que tous les apprenants puissent se rendre à leur lieu d’instruction avec la chance et la satisfaction d’avoir pris au moins un repas pour la journée pour acquérir, dans une certaine dignité, le savoir que nous sommes appelés à leur transmettre. C’est faire en sorte que demain, ces mêmes apprenants puissent faire de nous des modèles comme il en existe rarement aujourd’hui.

Voilà, entre autres choses, ce que doit être la revalorisation de la fonction enseignante. Mais pouvons-nous obtenir tout cela en trois mois ?

L’on est en conséquence en droit de se poser quelques questions et se demande légitimement et honnêtement si les autres corps de la Fonction publique béninoise ont le droit  eux aussi, de revendiquer une certaine revalorisation de leur secteur d’activité. Avons-nous le droit, face à la revalorisation de la fonction enseignante, de faire fi de ce désert de pauvreté qui nous entoure et dans lequel vivotent des milliers de Béninois aujourd’hui? Toutes ces interrogations pour nous demander, en fi n de compte, si les concepts de patriotisme et de démocratie sont à ce point devenus antagoniques dans notre pays ou devront-ils cheminer dans une réelle osmose qui fera de notre démocratie un espace de tolérance, de compréhension mutuelle et un environnement où se dérouleront des débats d’idées de haute portée politique qui semblent tant nous manquer en ce moment.

N’y a-t-il pas ici l’abandon du rôle cardinal d’une opposition qui n’est que l’ombre d’elle-même aujourd’hui ? Lorsqu’une telle tentative aura lieu, dans un esprit véritablement constructif, l’on sera alors sûr que le patriotisme l’emportera enfin sur les soubresauts liés à nos intérêts personnels ou inavoués et fera que le développement, mais non encore l’émergence, ne restera pas un vain mot au Bénin.

Marc-Laurent Hazoumè, Professeur

Ancien Chercheur à l’Institut de

l’UNESCO pour l’Education,

Hambourg/Allemagne



19/02/2008
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