"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Bénin émergent :

Vers une résurgence du régionalisme?

 

Le folklore orchestré autour de l'appartenance à une région cache a peine une instrumentalisation des analphabètes et peut vite faire le lit de la violence, affirme le professeur Hazoumè .

 

Depuis une période très récente, les passations de service ministérielles donnent lieu à des cérémonies qui sont bien loin de la simplicité qui avait naguère cours dans les ministères. Participaient, en effet, à ces cérémonies, les membres des cabinets et le personnel. Tout était réduit à sa plus simple expression mais dans la dignité. Aujourd'hui, force est de constater que les remplacements de ministres se transforment en séances de réjouissance populaires auxquelles prennent part non seulement le personnel mais surtout les parents et amis venus de toutes parts et de très loin parfois, drapés quelquefois dans des uniformes conçus pour la circonstance fiers de prendre part au festin et écouter les discours larmoyants des uns, les sortants notamment, et communier au bonheur à peine déguisé des nouveaux élus. Tout, bien sûr, se terminant par de véritables orgies où l'alcool coule à flot comme si le ministère concerné avait atteint l'intégralité des objectifs qui lui ont été assignés dans ses domaines de compétence. Pourtant, il n'est pas rare d'entendre parler, au cours desdites passations de manque chronique de moyens financiers et matériels qui empêche la mise en œuvre des programmes. Quoiqu'il en soit, ces cérémonies ont atteint un degré de folklorisation déconcertante et inacceptable qui mérite réflexion. Car cette habitude qui tend à s'institutionnaliser a fait naître quelque chose du même ordre qui risque d'être plus dramatique pour notre pays si nous n'y prenons garde.

Ainsi la transformation des passations de service en fête foraine entraîne naturellement certaines démarches que l'on continue de constater dans nos campagnes de la part de nos ministres, qu'ils soient nouveaux ou anciens. Nos mass médias en font largement écho. L'on aurait aimé pourtant les voir un peu plus réservés sur la question ; mais puisqu'il faut coûte que coûte avoir des images à diffuser et l'actualité à meubler, tout peut et doit donc être dit malheureusement. La démocratie et la liberté de presse n'en demandent pourtant pas tant. L'on a remarqué, en effet, que tous les nouveaux ministres, soutenus en cela par les anciens, se présentent devant les populations de leurs régions respectives afin de les exhorter à remercier avec eux le Président de la République pour avoir, « par la grâce de Dieu », fait roi un fils ou reine une fille du terroir. L'on sollicite même à certains endroits, le concours de toutes les religions pour célébrer le miracle ainsi survenu. Aux premières loges de ces manifestations à maints endroits, on peut souvent remarquer, comble de tout, la présence de ceux-là même qui, il y a quelques années encore, faisaient subir à chacun de nous toutes sortes de matraquages idéologiques sur des notions tout aussi nébuleuses.

En agissant ainsi, nos frais émoulus ministres ont voulu mettre en exergue leurs différents groupes ou sous-groupes sociaux mais qui ne sont, en fait, que des maillons de grandes aires culturelles existantes dont les parlers sont qualifiés, sur le plan linguistique, de variantes des langues parlées au sein de ces grands ensemble en question. Chercher, en conséquence, à en faire des entités autonomes tel que nous l'entendons ces jours-ci, est absolument erroné parce qu'une telle conception relève d'une grande méconnaissance de ses propres racines et c'est aussi faire preuve, sciemment peut-être, d'une mauvaise foi politique. La position que l'on tente ainsi de faire admettre est d'autant plus dangereuse que nous percevons déjà là, en filigrane, à travers les discours apparemment innocents, les germes des conflits qui pourraient naître lorsqu'il s'agira d'aborder un jour la question du choix de langues nationales dans le cadre de la nouvelle politique linguistique décidée par le gouvernement. Souhaitons simplement qu'il n'en soit pas ainsi.

Conséquences des affres de l'histoire, que nos ministres n'ignorent pas, heureusement, les découpages de nos pays ont été opérés de façon inique par les colonisateurs. Il ne nous appartient donc plus aujourd'hui, sous aucun prétexte, de développer un tel esprit que nous pourrons qualifier de sectaire. Nous ne pensons pas que le Président ait procédé à ces nominations sur la base d'une quelconque considération « ethnique ». Il a certainement été mû par d'autres raisons telle que la technicité par exemple. Le contraire serait alors une position politique nuisible pour notre pays. Nous en sommes d'autant plus convaincu que l'un des engagements du Président Boni Yayi « pour que le Bénin change vraiment » stipule que pour : “Accepter que pour régler nos problèmes communs, nous devons accepter d'améliorer nos pensées, nos paroles et nos actions dans le sens d'une plus grande responsabilité individuelle et collective” (cf. Le Bénin en route pour l'émergence, p.16). Ces pensées, se sont, bien sûr, celles qui transcendent les fléaux tel que le régionalisme par exemple. Nos Evêques l'ont tant et si bien compris aussi qu'ils affirmaient à travers la Lettre Pastorale de Mars 2007 que « le régionalisme, la tendance ou le choix de tout penser, de tout faire en fonction des seuls intérêts de son groupe ethnique, de sa région d'origine et d'appartenance… » est bien « […] ce qui enferme des citoyens dans un complexe tribaliste de supériorité, et qui véhicule, à travers l'histoire, des préjugés et des ressentiments antagonistes entre cultures différentes ». Il devient donc clair que la mise en évidence de leurs sous-groupes respectifs par ces ministres, de leur propre désignation en tant que fils ou filles issus de ces populations et la reconnaissance manifestée pour le Président de la République font imaginer déjà la faiblesse de leurs positions dans la prise en charge de certaines questions délicates au sein du gouvernement face au Chef de l'Etat. Situation peu constructive que ne souhaiterait pourtant pas voir s'instaurer celui qui dirige et qui a besoin de la collaboration de tous dans un esprit de franchise et d'honnêteté. Se présenter ainsi devant ses « frères et sœurs » si nous pouvons ainsi nous exprimer, pour chanter et magnifier le Chef, avec les populations, pour le choix d'un des leurs, est la manifestation d'un ethnocentrisme brut et primaire qui n'a pas lieu d'être aujourd'hui, au moment où l'on s'engage sur la voie de l'émergence au Bénin.

 

Réflexes régionalistes et emergence

Cette vision exclut toute idée de clan, d'ethnie, de région au sens péjoratif du terme. Car la stabilité politique et sociale et un bon cadre de vie sont parmi les plus importants critères qui fondent l'émergence. La stabilité sociale requiert que l'on ait effectivement en conscience la construction de la nation et non de faire prévaloir sa petite personnalité au sein d'un groupe tout aussi minuscule et dont l'homogénéité reste aussi à démontrer quelquefois. Elle ne s'obtient pas à travers l'opposition d'un groupe social à un autre comme l'ont déjà dit tant de personnes avant nous. En effet, qu'adviendrait t-il lorsque nos fameux sous-groupes n'auraient plus de ministres au gouvernement ? Qu'arriverait-il si le Président décidait, un jour, de faire ses choix au sein d'un groupe social  unique compte tenu des qualités et des compétences de ses composantes ? Que diront ou feront les populations non dotées ou pourvues de ministres ? Chacun peut déjà percevoir à travers ces questions simples l'absurdité de ces réflexes régionalistes et les conséquences de tels actes que l'on se plaît naïvement à poser. Par ailleurs, depuis le Dahomey jusqu'au Bénin d'aujourd'hui, toutes les régions du pays ont été pourvues de ministres. Ont-ils fondamentalement changé la physionomie de leurs localités respectives ? Ont-ils tenté de lutter, usé de tous les moyens politiques et financiers nécessaires pour éradiquer l'analphabétisme galopant pour que ces « frères et sœurs » les rejoignent ou les atteignent un jour dans l'acquisition de la connaissance et l'instruction  pour qu'enfin la région ou le village sorte de l'ignorance pour devenir une société véritablement lettrée ? Non, bien sûr, car s'il en avait été ainsi, le Bénin ne serait pas aujourd'hui à soixante-cinq pour cent d'analphabètes et où tout reste encore à reconstruire. Les motivations de nos ministres sont donc essentiellement ailleurs. Elles sont d'ordre électoraliste donc viscéralement intéressées.

La fonction de ministre n'est pas une sinécure même si certains voudraient la prendre ainsi parce que l'on se voit déjà au sommet de sa carrière administrative en orchestrant tout le tapage auquel on a droit à chaque changement de ministre. Ne plus continuer d'agir de cette manière participe aussi, pensons-nous, modestement, de la lutte contre la corruption car la tentation de vouloir répondre coûte que coûte à toutes les sollicitations auxquelles l'on aura à faire face de la part des parents du village reste bien grande. La fonction de ministre est un service mais un service pour toute la nation, pour toutes les régions au même titre. C'est bien ce qu'a affirmé le Président en délocalisant le Conseil des Ministres à Porto-Novo. Vouloir en conséquence manifester une parodie de reconnaissance du groupe au Premier magistrat du pays reste une pratique dangereuse qui pourrait sortir le Bénin de son actuelle quiétude qui commande d'être toujours vigilant.

 

Le lit de la violence

Regardons autour de nous. La Côte d'Ivoire, les deux Congo, la République CentrAfricaine. Les questions ethniques et régionalistes ont été, que l'on le veuille ou non, à la base des conflits qui continuent de les miner. A ne pas vouloir prendre conscience de la bassesse de ce folklore dans lequel l'on s'engage dans notre pays, c'est faire, à terme, le lit de la violence car les sous-groupes sociaux qui aujourd'hui compte des ministres en leur sein en exigeront plus et ceux qui n'en ont pas devraient alors demander des comptes à l'autorité ; une autorité qui se retrouvera ainsi elle-même en position d'otage de son propre peuple. Qu'enseignerons-nous à nos écoliers lorsque, comme nous en avons l'intention, nous réintroduirons effectivement à l'école l'instruction civique et feront faire aux plus grands le service civique et militaire?

L'on doit alors, à tout prix, éviter que l'histoire se répète surtout au moment où la nouvelle donne politique devient l'émergence. Elle a, ne l'oublions pas, ses exigences sur lesquelles nul ne doit transiger. Même s'il reste encore un long chemin à parcourir pour l'atteindre, nous devons chercher, par nos actes quotidiens à l'aplanir en évitant tout ce qui pourrait le rendre cahoteux. L'on ne doit pas oublier que le régionalisme a tant miné le pays et que vouloir le reconstruire aujourd'hui sur les mêmes bases risquerait de nous sombrer à jamais dans un abîme profond. Lorsque la lutte contre l'analphabétisme évoluera et que se créera dans notre pays une société du savoir bien établie et où n'existera qu'une couche négligeable d'analphabètes, le pot aux roses se découvrira et le peuple s'apercevra de l'arnaque. Mais il n'est pas juste de tirer profit de la situation du moment pour tromper cette frange de la société en l'instrumentalisant comme nous le faisons. N'est –il d'ailleurs pas étonnant que l'on voit rarement chez notre grand voisin, le Nigéria, ces habitudes éculées qui relèvent d'une autre époque ? Suivre des personnalités politiques, des ministres, en l'occurrence, se présentant devant des populations pour théâtraliser leur nomination à la tête de tel ou tel ministère, cela relèverait chez eux, nous en sommes certain, du surréalisme. Car, ils ont tant à faire encore, comme nous aussi d'ailleurs, sur le plan de la construction de la nation parce qu'ils en connaissent la signification pour avoir subi, à un moment donné de leur existence, les atrocités de la guerre. Il revient à la société civile de notre pays, aux partis politiques, notamment ceux qui peuvent se prévaloir effectivement de ce titre, à tous ceux qui, hier, faisaient de la lutte contre le régionalisme leur credo, d'être très vigilants. Que chacun se réveille pour faire disparaître par la sensibilisation politique ce cancer dont la métastase survient souvent très vite et c'est alors la résurgence de ce que nous ne voudrions plus jamais revoir dans notre cher pays le Bénin.

 

Marc-Laurent Hazoumè

Professeur de linguistique à la retraite

Ancien Chercheur à l'Institut de l'UNESCO pour l'Education à Hambourg/Allemagne


24/01/2008
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