BONI YAYI OU LA VENGEANCE DU PEUPLE
BONI YAYI OU LA VENGEANCE DU PEUPLE
En cette période quasi euphorique pour beaucoup, je sais précisément ce qu'il ne faut pas dire. Le politiquement correcte m'aurait conduit à dire que peuple s'est exprimé et qu'il faut respecter son choix souverain. Mais en citoyen libre, je ne m'empêcherai pas de faire mes observations et de partager avec vous les quelques enseignements tirés du dernier scrutin présidentiel.
DES RAISONS D'ESPERER
Comment ne pas avouer que les résultats des dernières élections présidentielles sont riches d'enseignements imprévisiblement prévisibles. Finalement, nous avons évité le pire pour notre pays. Le processus est allé à son terme contre le souhait de tous les prédateurs tapis dans les arcanes du pouvoir d'alors. Le pire est derrière nous, car nous avons un nouveau Chef d'Etat. « Le Président est mort, vive le Président ». Je l'avoue, ce n'était pas celui que j'aurais voulu pour mon pays. Tant le défi à relever après Mathieu Kérékou est immense. Et contre l'avis de beaucoup, sans nier l'urgence des réformes économiques et sociales, je soutiens que l'essentiel et le plus urgent est de rationaliser l'exercice du pouvoir politique et surtout de discipliner l'univers des partis, leur formation, leur financement, leur gestion, et leur rapport avec l'Etat. Mais comme on dit, « vox populi, vox dei ».
Pour le soutien d'Adrien Houngbédji que je suis, s'il y a un motif de satisfaction dans l'issue de ces présidentielles, c'est que le Président Boni YAYI ne gouvernera jamais autant mal que son prédécesseur. Ce qui me semble acquis, est que le pouvoir ne sera plus aussi absent des grandes préoccupations des béninois, des enjeux de notre société et des angoisses de notre peuple. Le pouvoir YAYI, me semble t-il, ne donnera pas l'impression, comme ce fut le cas de ces 10 dernières années, d'être impuissant, inefficace, abstrait, compromis et exclusivement tourné vers la satisfaction des seuls intérêts des apprentis politiciens appelés au service de nos compatriotes.
L'AMALGAME FATAL
Le moins qu'on puisse constater est que la sentence a été fatale pour la classe politique, notamment pour les plus grands des partis qui animent depuis 1991, la nouvelle scène du renouveau démocratique. Ni Adrien Houngbédji, ni Bruno Amoussou ne s'est vu installer au Palais de la Marina le 6 avril 2006. Et pourtant comme beaucoup le pensaient, à bon droit d'ailleurs, Adrien Houngbédji ne s'était jamais autant retrouvé aux portes du pouvoir suprême. Jamais l'homme n'avait rassemblé autour de ses idées et des valeurs qu'il incarne, autant de partis, de personnalités, d'associations issus de tous les courants politiques, de toutes les aires géoculturelles et ethniques de notre pays. Mais le peuple souverain en a décidé autrement, confirmant que nous sommes bien en démocratie et que dans ce modèle lui et lui seul a le dernier mot.
Les lecteurs de cette tribune, me pardonneront d'écrire que j'ai été très déçu par le sort réservé par nos concitoyens à Maître Adrien Houngbédji. Car Maître Houngbédji est cet homme dont la très grande majorité des béninois convient de l'attachement à la paix et à la démocratie, de son respect du bien commun et surtout de son intégrité quant à la gestion des affaires publiques. Mais en bon démocrate, je ne peux contester la sincérité du verdict des urnes parce qu'il est défavorable à mon candidat, pas plus qu'il me ne viendrait à l'esprit d'affirmer que le peuple à tort.
Notre peuple à raison et a mille et un motifs de prendre sa revanche sur un leadership amateur, corrompu, prédateur et très inefficace. La sanction du pouvoir Kérékou me paraissait indispensable car dans notre pays, le pouvoir politique ne fut jamais autant dangereusement compromis avec la pègre dans le grand banditisme, le blanchiment d'argent, les prises illégales d'intérêts et les transactions ouvertement frauduleuses. Le pouvoir politique sous le Président Kérékou n'a jamais été aussi absent des grands sujets de société et des réelles préoccupations des béninois. Empêtré dans ses propres contradictions, dans la négociation et le marchandage de ses propres prébendes tels des 4X4 pour les députés, la nomination d'un médiateur de la République ou encore, l'exclusion d'un candidat, la majorité présidentielle se détourna alors de l'essentiel : Réformer, réformer et toujours réformer.
Mais j'ai le profond sentiment en ce qui concerne Adrien Houngbédji, qu'il a été fait comptable d'un bilan dont il n'était pas directement responsable. Je le crois profondément. L'élection de Boni YAYI – dont les qualités et les compétences ont compté pour beaucoup – est pour moi la revanche du peuple béninois contre l'élite gouvernante de ces dix dernières années. Il serait peu raisonnable et totalement malhonnête d'y inclure les 5 années de présidence Soglo, car des efforts y ont été faits et des réformes engagées. Les résultats du pouvoir Soglo sont probants. Seuls les deux derniers mandats me semblent en cause. Et à ce propos, comme me le faisait très justement remarquer un ami, Ingénieur en financement et planification des projets, l'histoire politique de notre pays enseigne que l'après Kérékou a toujours ouvert une présidence de défi. Après lui en 1990, Nicéphore Soglo devrait conduit des travaux d'hercule tant le désastre étant profond et l'effondrement abyssal. Aujourd'hui, le cahier des charges du Président Boni YAYI et les espoirs placés en lui par ses électeurs sont à la mesure de l'état de délabrement dans lequel dix ans de déni de gouvernance nous ont plongé.
LA PHOBIE DES GRANDS PARTIS ET LES MARCHANDS DE RÊVES
Comment aurait-il pu en être d'ailleurs autrement ? Sans éluder les responsabilités d'Adrien Houngbédji lui-même, avant et pendant les élections, je crois qu'il y a des causes et facteurs sur lesquels le favori qu'il était n'aurait pu avoir aucune prise. Les 10 ans de Kérékou ont laissé le pays dans un état de délabrement économique, politique, moral mais aussi psychologique. C'est un fait et les gens – essentiellement les marginalisés dont Mathieu Kérékou se faisait le porte parole – en avaient marre. Malheureusement, comme tous les apprentis politiciens, les affairistes et autres aventuriers qui ont saigné le pays sous Mathieu Kérékou, Adrien Houngbédji a été tenu comptable de cette situation dont il n'était pas directement responsable.
Malheureusement, dans la brèche du mécontentement légitime de nos compatriotes et dans leur aspiration au bien être, se sont engouffrés tous les illusionnistes et les vendeurs de rêves. Ce mal être des « marginalisés » et la révolte du peuple contre l'establishment établi par Mathieu Kérékou ont hélas remis en scène tous les partis morts, les partis du tube digestif, les mouvements sectoriels, les aigris et les personnalités qui n'ont décidément pas digéré la retraite imposée par les électeurs au fil des années. Et pour parvenir à leurs fins, ils ont très tôt proclamé l'incapacité de la classe politique. Ils ont opposé la classe politique à la technocratie. Les méchants politiciens aux vertueux technocrates. Mais ma conviction profonde est que la vie politique de notre pays n'est pas un univers manichéen. C'est à dire d'un coté, les bons technocrates, démocrates, patriotes, vertueux et de l'autre les méchants politiciens, véreux, prédateurs et inconscients. Toute analyse qui tendrait à nous le faire croire serait complètement immodérée et dénuée de toute objectivité.
Le paradoxe est que les pourfendeurs de la classe politique sont tous des hommes politiques, d'anciens ministres, d'anciens parlementaires évincés ou encore en poste. De ce fait, ils portent plus que quiconque, la responsabilité du désastre de la gestion du Président Kérékou. Le paradoxe encore et enfin est qu'ils n'ont pas pour autant renoncé à faire de la politique. Pourquoi avoir alors autant brocardé l'activité politique lorsqu'on sait qu'on ne gouverne pas un pays sans faire de la politique ? Pourquoi avoir fait ce portrait des hommes politiques quand on sait qu'on reviendra devant la scène ou dans le gouvernement grâce à un appareil politique ? La vérité est que cette apologie de la technocratie messianique cache la phobie des petits partis pour les grands. Le PRD et le PSD aujourd'hui – mais avant eux en 1996 la RB – ont fait les frais de cet invariant de notre vie politique. La vérité est que depuis 1960 jusqu'à nos jours aucun parti, ni petit ni grand, n'a réussi à gagner les élections par ses propres soins. C'est pourtant la règle dans tous les pays du monde y compris dans les pays de notre sous région. Avons-nous pour autant raison de continuer à développer la phobie des grands partis ? Sommes-nous fondés à vouloir construire notre système politique sur l'éclatement, la clanisation, ethnicisation et la régionalisation des partis ?
L'ILLUSION ET LES RISQUES D'UN LEADERSHIP APOLITIQUE
La composition de la nouvelle équipe gouvernementale, dont je ne doute pas des qualités et de la bonne volonté porte, à mes yeux, tous les fondamentaux de la gouvernance du Président Kérékou. C'est à dire un Pouvoir essentiellement périphérique, sans parti majoritaire, donc sans majorité claire, cohérente et stable au Parlement, un pouvoir morcelé en autant de soutiens, un pouvoir divisé et tellement éclaté qu'il finit pas perdre son souffle et son efficacité. Cette fois-ci, nous ferons aussi l'expérience d'un gouvernement qui se veut apolitique avec plus d'une dizaine de membres, sur 22, indépendants des partis politiques. Nicéphore Soglo l'avait expérimenté en 1991, mais ces indépendants apolitiques ont fini par se rendre à l'évidence, en devenant quelques mois plus tard, des chefs de partis ou au mieux des animateurs de la vie politique. Pendant combien de temps nous illusionnerons-nous qu'on pourrait diriger un pays sans faire de la politique ? Pendant combien de temps refuserons-nous encore aux partis politiques de jouer leur rôle ? Je crains qu'au plan politique, tous les éléments d'un immobilisme, d'une cacophonie, bref d'un Kérékou bis soient réunis.
LES DEFIS DU PRESIDENT BONI YAYI
Pour moi, l'élection du Président Boni YAYI est la vengeance de ce peuple contre son élite, c'est la vengeance des « marginalisés » et des « laissés pour compte » contre celui qui s'est approprié pendant plusieurs décennies, de leurs conditions sociales et de leur mal être. Je souhaite beaucoup de courage au nouveau Chef de l'Etat, confortablement élu et titulaire d'une lettre de mission très exigeante. La réussite de sa mission se mesurera sur le terrain de la lutte contre la pauvreté, l'enrichissement sans cause et la réduction des illégalités sociales. Mais son indépendance vis-à-vis de ses « généreux bienfaiteurs » en est la condition sinon le préalable.
C'est au Président Boni YAYI qu'il revient, par son bilan, de justifier que ces soutiens n'ont pas cyniquement utilisé le désarroi du peuple et subtiliser à Mathieu Kérékou la demande sociale des marginalisés qui fut jadis son fond de commerce politique. C'est toujours au Président YAYI et à lui seul de porter le démenti à tous ceux qui ont dénoncé une manipulation politique des vieux marchands de rêves et des habitués de slogans incantatoires sans incidence sur la vie des béninois. Il reviendra enfin au Président de la République, décidément lui, de donner tort à ceux de nos compatriotes qui ont prévenu, de bonne ou de mauvaise foi, contre l'illusion de la technocratie messianique.
C'est donc à ces conditions que le nouveau prince ralliera à sa cause tous ceux qui ont parié que le piège de la pègre s'est refermé sur lui au deuxième tour et que les griffes de la mafia ne tarderont pas à atteindre la périphérie et, peut être plus tard, le cœur de son pouvoir.
Fidèlement.
Frédéric Joël AIVO
Conseil en Gouvernance et
Management des Politiques publiques
Chargé d'Enseignement de Droit public
et de Science Politique. Université Lyon 3
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