"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Institutions de la Republique:

Hebdomadaire Catholique: Justice - Vérité - Miséricorde

 Une question de performance


Ce numéro 13 de Res Publica analyse de façon générale les facteurs susceptibles de contribuer à une meilleure performance des institutions de la République.


Avant d’aborder les réflexions sur chacune des institutions de la République et les rapports qui devraient exister entre elles, quelques observations nous paraissent nécessaires sur un point, à notre avis, important. Il s’agit des éléments auxquels l’on pourrait (ou devrait) faire attention dans la conception desdites institutions et dans l’établissement des rapports entre elles, de manière à accroître les chances que la mise en œuvre du cadre institutionnel qui en découle produise les résultats attendus. En d’autres termes, il s’agira, à proprement dire, de répondre aux questions suivantes: pourquoi chacune de nos institutions produira-t-elle les performances attendues d’elle? Et pourquoi les liens établis entre ces institutions contribueront-ils au bon fonctionnement partiel et/ou global du cadre institutionnel national ? Ceci se fera en passant en revue des facteurs dont la prise en compte dans l’établissement de nos institutions pourrait, à notre humble avis, aider à apporter des réponses pertinentes aux questions ci-dessus.

L’établissement de nos institutions
Qu’il soit nécessaire d’initier ce genre de réflexion devrait, à notre avis, aller de soi. En effet, presque deux décennies de pratique (de mise en œuvre) de la Constitution du 11 décembre 1990 nous fournissent plusieurs cas de difficultés vécues aussi bien par rapport aux performances de nos institutions prises isolément que vis-à-vis des rapports entre ces dernières. En ce qui concerne la performance des institutions prises isolément, il ne devrait pas être difficile de s’entendre sur le fait que des améliorations sont encore possibles. Par exemple, l’Assemblée nationale peut mieux faire par rapport à ses trois fonctions classiques (représentation, contrôle de l’action gouvernementale et législation); il en est de même pour le Conseil économique et social (Ces), la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), le pouvoir judiciaire et même le pouvoir exécutif.
Quant aux rapports entre les institutions, la situation est presque la même. En effet, il est relativement facile, en observant la vie politique nationale de 1990 à ce jour, de mettre en évidence plusieurs cas de difficultés, de conflits et parfois même d’inadéquations dans le cadre des rapports entre les institutions de la République. L’on peut citer, pêle-mêle :
1. les rapports entre l’Exécutif et le Judiciaire : en guise d’exemples l’on peut citer, affaire Hamani, affaire suspension provisoire de l’exécution de certaines décisions de justice, lutte contre la corruption, etc. ;
2. les rapports entre l’Exécutif et la Haac : par exemple, les crises répétées lors du choix des directeurs des organes de presse d’Etat, d’une part, et à propos de la gestion des fréquences de l’Etat, d’autre part ;
3. les rapports entre l’Exécutif et le Législatif : par exemple, la fonction de contrôle de l’action gouvernementale ne parvient pas à s’effectuer de façon satisfaisante, la collaboration attendue entre les deux institutions pour l’amélioration de la qualité des politiques publiques n’a souvent pas lieu, la coordination entre ces deux institutions et le Judiciaire pour une gestion pertinente des protections accordées aux animateurs de nos institutions (immunité parlementaire, et le recours à la Haute Cour de justice pour les membres du gouvernement et le chef de l’Etat) n’a souvent pas lieu, etc.
Cependant, nous devons reconnaître que la quasi-totalité des problèmes survenus dans le cadre des rapports entre les institutions, et dont une partie est évoquée ci-dessous, a trouvé, d’une manière ou d’une autre, des solutions souvent à la suite de décisions de la Cour constitutionnelle, l’institution constitutionnellement en charge de la régulation du fonctionnement des institutions de la République. Malgré l’efficacité de la Cour constitutionnelle à dénouer ces conflits interinstitutionnels, la présente analyse s’impose, à notre avis, parce que certaines de ces difficultés ont leurs sources dans le cadre légal et institutionnel en vigueur. De sorte que les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont, à notre humble avis, au mieux que le traitement de manifestations, de symptômes d’une maladie sans nécessairement constituer des remèdes à leurs véritables causes. La résurgence de certains de ces problèmes sous d’autres formes est là pour l’illustrer s’il en était encore besoin.

Facteurs de performance de nos institutions
Ainsi, nous abordons les deux questions ci-dessus – c’est-à-dire la performance des institutions et les rapports entre elles – ensemble  et seulement de façon générale. Nous passerons en revue des considérations, ou plutôt des règles qui nous paraissent importantes et dont nous croyons qu’il vaudrait mieux tenir compte pendant l’élaboration ou la révision des dispositions constitutionnelles (légales) qui définissent les institutions de la République et organisent les rapports entre elles. Nous laissons l’analyse et la suggestion d’approches de solutions pour les situations spécifiques (à propos d’institutions déterminées) pour plus tard, dans d’autres numéros de Res Publica à venir.
Commençons donc par les facteurs essentiels qui entrent en ligne de compte dans la performance d’une institution. Il s’agit en réalité d’éléments qui augmentent les chances que l’institution en question agisse, entreprenne effectivement les actions désirables, jugées nécessaires pour la démocratie et qui justifient que l’institution ait été prévue dans le cadre institutionnel national. Les facteurs en question, nécessaires pour doter une institution des capacités d’agir, sont, en général, de 3 ordres : les règles (de fonctionnement interne de l’institution), les capitaux (toutes les autres ressources sauf les hommes) et les hommes (les ressources humaines). De ces trois éléments, nous nous étendrons surtout sur les hommes, et de manière secondaire  sur les règles.
En effet, sans l’Homme, les deux autres facteurs sont de peu d’utilité  même si nous devons reconnaître que les règles peuvent aider à créer un environnement incitatif pour l’Homme. Par exemple, si ce que nous avons appelé les capitaux ne sont pas suffisants, l’Homme peut les gérer de manière efficace (c’est-à-dire de manière à en tirer le maximum possible) et parfois même aller chercher des compléments ailleurs. De la même manière, les capitaux peuvent exister en abondance sans être utilisés, ou alors être très mal utilisés, tellement mal utilisés que l’on ne ferait pas la différence avec leur rareté ou même leur inexistence. Il devrait en être de même pour les règles qui peuvent être changées par l’Homme s’il en avait vraiment envie, mais à la différence que les règles, contrairement et/ou mieux que les capitaux, peuvent aider à inciter l’Homme. D’où le caractère central de l’Homme dans le fonctionnement et la performance de toute institution. Montesquieu ne disait pas autre chose lorsqu’en cherchant ce qu’il a appelé, dans un contexte plus général, «le principe du gouvernement», c’est-à-dire, selon lui, ce qui fait agir le gouvernement, ce qui le met en action, il n’a trouvé, pour ainsi dire, que «les passions humaines».
Ce que nous venons de dire est loin d’être le fruit d’une spéculation purement intellectuelle. Le fonctionnement de nos institutions depuis l’avènement du Renouveau démocratie est là pour le démontrer. En effet, combien de fois n’avons-nous pas entendu des citoyens (parfois pas des moindres, même parmi les membres de la commission constitutionnelle) se demander pourquoi les députés n’utilisent-ils pas tous les moyens constitutionnels de contrôle à leur disposition ? Pourquoi certains textes (projets et/ou propositions de lois), dont l’importance et l’utilité ne sont pourtant plus à démontrer, restent-ils des années à l’Assemblée nationale sans être votés ? Pourquoi les animateurs du pouvoir judiciaire ne sont-ils pas aussi agressifs qu’on l’aurait voulu, par exemple, dans la gestion des dossiers de corruption? Pourquoi chaque nouveau chef de l’Etat met-il près d’un an et demi (sur cinq) pour proposer un «programme d’action», s’il y en a un ? Pourquoi, malgré les prescriptions légales (mêmes constitutionnelles), nos «partis politiques» ne se décident-ils pas à se doter de projets de société ou de programmes politiques ? Etc.
Voilà pourquoi l’on se doit d’accorder une importance particulière aux choix des hommes chargés d’animer les institutions de la République. De façon plus spécifique, l’on se doit, dans le choix des critères de sélection des animateurs de nos institutions (et dans celui des règles de leur fonctionnement), de prendre toutes les précautions que permettent nos moyens (au sens large) pour garantir les chances les plus grandes possibles que ceux qui seront élus (et/ou nommés) voudront jouer le rôle pour lequel ils ont été choisis. James Madison  est allé jusqu’à suggérer [qu’au pire, c’est-à-dire en l’absence de sentiments meilleurs (de dispositions spontanées à jouer son rôle)] il faut «donner à ceux qui administrent chaque institution les moyens constitutionnels (les règles) et un intérêt personnel» à s’acquitter convenablement de leurs tâches. Il poursuit en disant qu’il faut, dans ce cas, que «l’intérêt de l’homme [soit] lié aux droits constitutionnels de la place».
L’idéal serait donc de réussir à choisir des hommes qui, une fois en fonction, n’auront que l’envie de jouer leur rôle, d’utiliser pleinement tous les instruments attachés à leurs positions. Mais à défaut, ou tout simplement en cas de doute, il nous appartient à nous citoyens de ce pays de nous assurer que tout ce qui est possible a été mis en œuvre pour allier l’intérêt de l’Homme aux exigences de la place. L’intérêt en question doit être pris au sens le plus large possible pour désigner tout ce qui peut inciter un homme à agir dans le sens désiré, à avoir besoin d’entreprendre des actions voulues, souhaitées. Les moyens pour y parvenir doivent être eux aussi pris au sens le plus large possible et inclure tout, du mode de sélection (élection et/ou nomination) aux règles de fonctionnement interne en passant par le mode financement, etc. Nous promettons de revenir en détail sur chacune de ces questions lorsque nous discuterons des cas spécifiques.
Par conséquent, lorsqu’on a fini d’ériger une institution et de la mettre en place, d’établir les critères de sélection de ses animateurs et les règles de son fonctionnement interne, nous devons être en mesure de répondre à une question fondamentale. Pourquoi les éléments ci-dessus évoqués devraient-ils inciter les animateurs de ladite institution à se comporter comme nous le souhaitons ?  De façon plus concrète, pour prendre quelques exemples, pourquoi peut-on s’attendre à ce que les députés utilisent, à chaque fois que c’est nécessaire, les instruments prévus pour le contrôle de l’action gouvernementale? Pourquoi auront-ils envie d’initier et/ou d’adopter avec la célérité nécessaire les textes importants pour la société ? Pourquoi les membres de la Haac auront-ils à cœur, entre autres, «… la protection de la presse …» telle que prévue par la Constitution ? Pourquoi les membres du Ces seront-ils acharnés dans la recherche et la mise à disposition (du Législatif et de l’Exécutif) des informations utiles pour améliorer la qualité des politiques publiques entrant dans le domaine de compétence de l’institution ? Etc.
Si cette précaution n’est pas prise en compte, les rapports entres les institutions, le deuxième point de la présente analyse, peuvent occasionner des situations parfois dramatiques, voire même désastreuses. Pour l’illustrer, prenons le cas (peut-être extrême) où deux institutions sont érigées en contrepoids – c’est-à-dire l’une est supposée s’assurer que l’autre reste dans un cadre donné – et l’une est défaillante alors que l’autre est performante. Dans une telle situation, l’institution qui est performante fonctionnera dans les faits comme si celle qui est supposée lui servir de contrepoids n’existait pas ; l’institution performante paraîtra aux yeux de tous (et elle sera en réalité) superpuissante ; tout se passerait comme si l’équilibre souhaité entre les deux institutions était brutalement rompu.
La scène décrite ci-dessus est loin d’être purement théorique. Notre histoire politique récente (depuis l’avènement du renouveau démocratique) nous offre, en effet, plusieurs situations de ce genre. Même si le constituant de 1990 a voulu d’un déséquilibre en faveur de l’Exécutif dans ses rapports avec les autres institutions, notamment avec le Législatif, il n’est pas exagéré de considérer ce que nous observons dans les relations entre ces deux pouvoirs, lorsque nous avons à faire à un président de la République qui veut jouir de toutes les prérogatives que lui accorde la Constitution (Soglo et Yayi, par exemple), comme une illustration possible de la situation évoquée ci-dessus. Il en est de même lorsqu’on évoque, par exemple, les situations entre l’Exécutif et la Haac (la situation actuelle qui fait se poser à tout le monde la question de savoir si les compétences de cette dernière ne sont pas menacées de fait), entre l’Exécutif et le Judiciaire (dans certains cas), etc. Mais, les problèmes qui découlent de l’asymétrie de performance entre institutions en rapport ne s’arrêtent pas là.
En effet, la situation ci-dessus évoquée, où deux institutions qui devraient être en rapport ne sont pas au même niveau de performance, peut avoir d’autres conséquences tout aussi négatives sur le fonctionnement du cadre institutionnel global. Par exemple, si ces deux institutions étaient complémentaires l’une de l’autre, étaient des étapes d’un même processus, cette situation pourrait entraîner la démotivation des animateurs de l’institution performante si la plupart de ses actions débouchent sur l’échec à cause des insuffisances de l’autre. C’est, par exemple, le cas lorsque le chef de l’Exécutif se retrouve, à cause de la performance insuffisante d’autres institutions, bloqué dans sa volonté de lutte contre la corruption ; c’est également le cas lorsque le Législatif, à force de buter sur les limites légales à ses actions de contrôle, abandonne graduellement certains des instruments prévus à cet effet. L’on peut également évoquer, il est vrai dans une moindre mesure, le cas de la société civile et des médias, toujours en ce qui concerne la lutte contre la corruption où les animateurs de ces deux institutions s’échinent (parfois au risque de leurs vies) sans aucun relais de la part des autres institutions, etc.
A ce niveau également, c’est-à-dire celui des rapports entre les institutions et leurs impacts sur la performance du cadre institutionnel, la place de l’Homme est primordiale. Il est l’élément qui, bien choisi et placé dans les conditions idoines, peut accroître les chances de bon fonctionnement d’un arrangement institutionnel en suppléant si nécessaire aux insuffisances des autres facteurs. En effet, en nous référant une fois encore à James Madison  (dans  Le  fédéraliste, n° 51) qui conseille que, en l’absence (et  nous ajoutons «et dans le doute en ce qui concerne la présence») de sentiments patriotiques, meilleurs vis-à-vis du bien public, «il faut opposer l’ambition à l’ambition… [il faut] que les intérêts privés de chaque individu soient une sentinelle pour les droits publics».
Ici aussi, les règles peuvent aider à créer l’environnement approprié, suffisamment incitatif pour l’Homme dans sa contribution au bon fonctionnement des rapports entre les institutions. En effet,   ce   sont   les  règles  qui peuvent aider à l’opérationnalisation de ce système qui consiste à suppléer par l’opposition et la rivalité des intérêts à l’absence de sentiments patriotiques. Ce sont encore elles qui peuvent contribuer à l’établissement des protections nécessaires et adéquates – protection contre les influences possibles des membres d’autres institutions, aménagement de l’autonomie financière, etc. – aux animateurs des institutions mises en rapport. L’on peut aussi ajouter l’importance des règles dans la réalisation des différents arbitrages nécessaires dans les rapports entre certaines institutions, surtout entre l’Exécutif, qui est dans le feu de l’action au quotidien, et la plupart des autres institutions.
Il faut, par exemple, pour ce qui concerne le dernier aspect évoqué ci-dessus, aborder la question dans un cadre aussi général que possible, à savoir : comment permettre à l’Exécutif (et son chef)  de mettre en œuvre les initiatives qu’impliquent les actions des autres institutions clés de la République (Judiciaire, Législatif, Haac, Cour constitutionnelle, etc.) selon ses capacités - capacités prises ici au sens le plus large possible - sans pour autant réduire ou carrément détruire les pouvoirs des autres contre-pouvoirs ? En d’autres termes, comment peut-on, par exemple, permettre à l’Exécutif et à son chef de décider de manière conjoncturelle de ne pas poursuivre des actions initiées par d’autres institutions sans pour autant donner le sentiment de laisser aux premiers la discrétion de bafouer le pouvoir et l’autorité des deuxièmes ?
Comme on peut l’avoir compris dans les quelques lignes ci-dessus, l’importance de la question de la performance des institutions et des rapports entre elles n’est plus à démontrer. Ceci est tellement vrai que l’autre disait que « ce qui est important, c’est moins la concentration des pouvoirs, que leur bonne disposition », aussi bien pour eux-mêmes que les uns par rapport aux autres.
Nous sommes conscient de n’avoir pas épuisé la question, même dans son aspect général. Cependant, pour diverses raisons, nous nous arrêtons là à cette étape en promettant d’y revenir surtout dans l’analyse d’institutions spécifiques et des rapports établis entre elles dans notre Loi fondamentale.

Res Publica
[Mathias Hounkpè]

 



09/07/2008
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