L'Editorial de l'Abé
Tohu-bohu
La parole est en crise. Pendant longtemps, la parole publique a été une parole à sens unique contrôlée par le seul son de cloche de la mouvance, aggravée par le silence coupable d'une opposition inexistante. Maintenant, une opposition qui se défend de l'être et une mouvance hétéroclite développent un jeu de parole parallèle aux accents nuisibles à tous. Dans le tohu-bohu qui en naît, chacun parle, chacun s'écoute et personne n'écoute l'autre. Chacun sert sa vérité. On attend encore de voir les acteurs politiques s'asseoir en adultes pour un débat public contradictoire, et on attend toujours. Pris dans une commune impasse, les deux camps en face font, à leur corps défendant, la preuve que la parole publique est en crise.
Si la parole est bruyamment en crise entre les deux camps, elle l'est imperceptiblement mais non moins gravement au sein de chaque camp. Au sein du camp qui est tout sauf une mouvance, le conglomérat d'intérêts particuliers, économiques et politiques, qui n'ont en commun que de se sentir menacés par le Docteur du changement, ne donne guère un sens commun à une même parole d'opposition. Au sein de la mouvance, l'hétéroclisme initial va s'effritant et les guerres intestines donnent à la même parole du changement des intentions et des sens différents. Le résultat auquel la vie publique béninoise arrive sans s'en douter pleinement encore, ce n'est pas seulement une absence de dialogue national. C'est bien plutôt un vaste marché de dupe dans lequel les concepts comme mouvance, opposition, changement, gouvernance concertée et démocratie varient selon un parfait mouvement de chaos.
La parole et le sens publics étant ainsi en crise, le Bénin travestit une démocratie née grâce à une gestion réaliste de la parole contradictoire lors de la Conférence nationale. Ni la gouvernance concertée, ni la communication politique, encore moins les insultes publiques ne serviront à résoudre cette crise. Au fond, les Béninois, aussi bien dans les plus petits villages qu'au sommet de l'Etat, ont besoin de réapprendre à se parler, à s'écouter et à se respecter, même dans le désaccord.
Abbé André S. Quenum
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