"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

LA BRANCHE QUI VOUS PORTE EST POURRIE :

LA COUPER OU NE PAS LA COUPER ?
QUESTION CORNELIENNE !…

Cette chronique est de TLF. Elle a été lue  à  Radio Planète le 03 Sept 2007

Il y a deux semaines, faisant le tour de l'actualité nationale, j'essayais de souligner ce que j'y avais trouvé de drôle. En fait, dans l'exercice, je m'essayais à un humour au deuxième ou au troisième degré, puisque les sujets abordés n'avaient rien de particulièrement drôle. Ainsi, à propos de ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Lawal, j'avais dit à peu près ceci, permettez que je fasse une auto-citation : « Ce qui m'amuse, c'est que Boni Yayi se soit retrouvé, bien malgré lui, dans la peau d'un héros cornélien. Un héros cornélien et même plus encore !… Plus encore, parce que pour un héros cornélien embarqué dans une situation cornélienne, c'est de deux côtés que le mal est infini. Dans la situation cornélienne de Boni Rodrigue Yayi, c'est de trois côtés que le mal est pour lui préoccupant.
D'abord, que des opérations frauduleuses impliquant les sieurs Adékambi, Zannou et consorts puissent encore se produire dans le pays, cela signifie que toutes les imprécations anti-corruption du président n'ont été jusqu'à présent que du vent. Après un an et demie de changement, on doit reconnaître que c'est préoccupant.

Ensuite, que lesdites opérations éclaboussent de grands chefs douaniers si proches de lui, l'un étant même son porte-drapeau le plus exalté et le plus médiatique, cela pourrait signifier que certains proches du président croient pouvoir compter sur le parapluie présidentiel, pour couvrir leurs éventuelles turpitudes. Conclusion, même chez ses proches, les imprécations anti-corruption du président semblent avoir moins de portée que des miaulements de chatons. C'est préoccupant.
Enfin, que le limogeage des mis en cause lui ait donné l'occasion de montrer une fois encore son courage et sa détermination, c'est une excellente chose ; mais, de plus en plus, risque de se cristalliser chez lui le sentiment qu'il ne peut et ne doit plus avoir confiance en personne. Ce n'est sûrement pas avec un tel sentiment de défiance tous azimuts, qu'il peut gouverner avec clairvoyance et sérénité. C'est préoccupant.
Tout cela est préoccupant, sans aucun doute ; et sûrement pas amusant, comme je tente de le faire croire. C'est vrai, mais ma vieille et solide conviction à moi, est qu'un nettoyage en profondeur des écuries d'Augias, une bonne fois pour toutes, serait de loin plus efficace que la moralisation au coup par coup adoptée par le président. » Fin de citation.
La critique est aisée mais l'art difficile, enseigne le dicton. L'art d'être président de la République entre sans aucun doute dans le champ d'application de ce dicton. Entre moi – qui ne suis pas président, et qui affirme être convaincu que la seule thérapie de choc contre le fléau de la corruption au Bénin, c'est le nettoyage à fond, une bonne fois pour toutes, des écuries d'Augias – et Boni Yayi qui, lui, est déjà au charbon en tant que président, et qui semble avoir plutôt adopté la thérapie de la moralisation au coup par coup, entre nous deux, il n'est pas compliqué de désigner qui peut avoir la faveur des pronostics : je ne suis en effet confronté, moi, qu'à la facilité de la critique théorique, alors que c'est à la difficulté concrète de l'art d'être président que lui, il est confronté.
C'est ainsi que suite à des débats assez rudes avec des amis à moi, à propos de la rigidité de mes certitudes concernant le nettoyage des écuries d'Augias, je confesse que la rigidité de mes certitudes a pris un coup. Je dois quand même avouer que les derniers développements de l'actualité nationale y ont été aussi pour beaucoup. Les derniers développements de l'actualité nationale, qui concernent l'incroyable histoire d'une grosse quantité de cocaïne saisie dans une localité de Ouidah, et dont de hauts responsables de la Police ont, semble-t-il, soustrait une partie avant d'envoyer le reste à la consigne.
On me traitera de naïf incurable, mais j'avoue avoir été littéralement abasourdi par l'information. Abasourdi pour trois raisons : la première, je ne comprends pas comment, dans l'atmosphère dans laquelle baigne le pays en ce moment, atmosphère franchement délétère pour les affaires pas claires, de hauts gradés de la Police et de l'Office de répression des trafics de stupéfiants aient cru pouvoir opérer, en toute tranquillité et en toute impunité.
La deuxième raison : je ne comprends pas comment, alors que les feux de l'actualité internationale sont braqués sur les côtes africaines que baigne l'Atlantique, ces côtes qui sont devenues le champ d'opération privilégié des narcotrafiquants sud-américains, et alors que des organismes de lutte contre les trafics de stupéfiants d'autres pays de la sous-région engrangent des succès – avec des prises records à répétition – je ne comprends pas comment les organismes béninois de lutte anti-trafics de stupéfiants, n'aient pas cru devoir s'inscrire, eux-aussi, dans cette dynamique sous-régionale du succès. Il est vrai que dans notre pays, rien ne se passe comme ailleurs, mais quand même !…
La troisième raison : je ne comprends pas comment, les hauts gradés qui se sont compromis dans cette affaire, aient été à ce point obnubilés par la perspective de devenir millionnaires du jour au lendemain, qu'ils aient négligé la prudence la plus élémentaire ; qu'ils n'aient pas mesuré le risque pourtant évident qu'il y a à impliquer les habitants d'un village, dans une combine aussi sensible et aussi redoutable que le détournement d'une partie de drogue saisie. La preuve, c'est que le secret de ladite combine a tôt fait de devenir le secret de polichinelle le plus médiatique de ces dernières années au Bénin.
Je ne comprends pas tout cela. Et c'est bien pourquoi j'ai avoué tout à l'heure qu'elle a pris un coup, ma conviction de la nécessité d'un nettoyage à fond des écuries de Kérékou, que dis-je, des écuries d'Augias. Quand on a vu ce dont ont été capables de hauts gradés des forces de l'ordre dans cette affaire de drogue, on ne peut que se convaincre que la lutte pour la moralisation au Bénin est presque mission impossible. Ceci parce qu'il est évident que c'est dans le sang que les Béninois ont ce que l'autre a appelé l' « ahiziculture ». Or, quand c'est dans le sang qu'il y a cette « culture »-là, vouloir l'éradiquer, c'est évident que c'est presque mission impossible !
Je n'avais donc point tort d'affirmer, il y a deux semaines, que Boni Yayi se trouve dans une situation plus que cornélienne. Les différentes perspectives qui s'offrent à lui ne sont effectivement pas du gâteau. Si c'est en effet dans leur sang que ses compatriotes de l'Administration publique ont l' « ahiziculture », opérer un nettoyage en profondeur, c'est prendre le risque de ne plus avoir qu'un désert à la place de l'Administration, puisque ses fonctionnaires se retrouveraient presque tous en prison.
Or, il ne peut raisonnablement pas décimer l'Administration publique, autrement dit, scier la branche sur laquelle l'Etat – et lui-même – sont assis.
Cependant, l'autre perspective, celle de ne couper les branches pourries qu'au fur et à mesure qu'elles sont débusquées – ce que j'ai appelé la moralisation au coup par coup – cette perspective est-elle une meilleure solution ? Personnellement, j'en doute. J'en doute parce que pendant qu'il attend, pour les couper, que les branches pourries soient débusquées de temps à autre, la branche maîtresse, celle sur laquelle l'Etat et lui sont assis, continue d'être rongée de l'intérieur par les agents qui ont, justement, l' « ahiziculture » dans le sang. Il est par conséquent facile d'imaginer la suite. Il est facile d'imaginer la chute…
Décidément, il ne fait pas bon être dans la peau de Boni Rodrigue Yayi, par les temps qui courent : c'est de tous les côtés que le mal est pour lui infini.
Et pourtant, ce héros cornélien du Golfe de Guinée ne me donne pas l'impression d'avoir pris toute la mesure de la gravité de la situation. Ainsi, quand il court par monts et vaux pour aller, entre autres, caresser des feuilles de laitue, tâter des tubercules d'igname et retourner des beignets en train de cuire dans l'huile bouillante au marché, afin de constater par lui-même, l'utilisation qui est faite des micro-crédits octroyés aux femmes, il se taille incontestablement un franc succès populaire ; et c'est bien.
Le hic, c'est que l'opération micro-crédit commence à peine et, objectivement, il est trop tôt pour l'évaluer, encore moins pour pavoiser. Mais il y a, à mon avis, plus grave : l'organisation de ces grandes foires et kermesses, pendant lesquelles les bénéficiaires des crédits exposent leurs toutes nouvelles et toutes petites activités à l'appréciation présidentielle, cette organisation a forcément un coût. Un coût qu'on peut imaginer considérable, selon la tradition béninoise en la matière. Or, compte tenu de la modestie du crédit octroyé et de la petitesse des activités entreprises, on peut imaginer que 500 ou 1000 francs supplémentaires, seraient un complément considérable au capital des bénéficiaires. Question à plusieurs millions : pourquoi donc ne pas consacrer le coût considérable de l'organisation des foires et kermesses, à augmenter de 500 ou de 1000 francs le modeste capital des bénéficiaires ? C'est là, effectivement, une question à plusieurs millions…
De toute évidence, une option comme celle-là n'aurait pas permis à la ministre en charge des micro-crédits – l'organisatrice en chef des grandes foires et kermesses – d'augmenter sa cote auprès du président, en montrant avec beaucoup de tapage qu'elle est en train d'accomplir sa mission, de façon phénoménale. D'ailleurs, c'est d'une pierre qu'elle fait deux coups, madame la ministre : d'un, les foires et kermesses lui permettent d'en mettre plein la vue au docteur, au sujet de la réalité, la multitude et l'enthousiasme des bénéficiaires de ses micro-crédits. De deux, ces manifestations populeuses lui permettent de donner au docteur, des occasions de s'adonner à son sport favori à savoir, la plongée dans des bains de foule.
Je sais qu'on me dira que là, moi, je m'adonne à mon sport favori qui est la coupure du cheveu en quatre. Je le sais. Mais personne ne peut m'empêcher de penser que, pour chercher – et trouver ! – l'indispensable formule adéquate, capable d'extirper l' « ahiziculture » du sang du Béninois, le chef de l'Etat a sûrement mieux à faire que d'aller par monts et vaux, pour caresser des feuilles de laitue, tâter des tubercules d'igname, et retourner des beignets en train de cuire dans l'huile bouillante au marché.
De toutes les façons, parvenir à trouver une telle formule lui permettra, à coup sûr, d'empêcher des quantités de milliards de la nation, de continuer à se perdre dans certaines poches où ils n'ont rien à faire. Et avec ces milliards-là, il pourra parfaitement se permettre de porter le crédit actuel de 30 000 francs, à 300 000, en attendant de pouvoir le porter un jour à 3 000 000, pourquoi pas ?
On ne le dira jamais assez, être un héros cornélien – même sous les Tropiques – ce n'est pas du gâteau. C'est en effet de plusieurs côtés que viennent les préoccupations.
Il n'y a pourtant pas de mystère, ce n'est que de la hiérarchisation méthodique et rationnelle de ces préoccupations que peut venir, à terme, la victoire du héros. Victoire qui, en ce qui nous concerne au Bénin, est l'édification d'un pays effectivement émergent.
C'est ce que je crois.
T.L.F.

 



04/09/2007
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