La société civile béninoise
Le débat sur la société civile se fait
souvent sur sa définition, sa mission, sa légitimité et ses composantes. On
parle très peu de ses relations avec les autres entités sociales ou politiques
(le pouvoir public et le secteur privé) dont elle se démarque, a priori, et par
rapport auxquelles elle se définit le plus souvent. Pourtant, l'indépendance de
la société civile vis-à-vis des ces entités fonde sa nature et est l'essence
même de son existence. Je me réjouis de la perspective de l'organisation d'un
forum sur la société civile au Bénin. Il était temps pour le débat même si, au
bout, il ne mène pas à l'unanimité qui pourrait permettre de cristalliser
certaines compréhensions. Notre réflexion voudrait avoir pour seule prétention
de participer au débat. Si elle peut apporter une certaine vision des questions
qui se posent et celles qui ne s'imposent pas encore, elle aurait atteint son
objectif.
Compromission
ou collaboration
La société civile est une réalité dont le dynamisme est récent sous nos cieux,
même si son existence peut être, historiquement, située très loin dans le
temps. La préoccupation de circonscrire son concept est donc nouvelle. Comme
tous les autres concepts importés, la société civile ne revêt pas d'autres
significations que celles qu'elle recouvre ailleurs. Benoît Frydman (dans La
société civile et ses droits, éd. Bruylant, Bruxelles, 2004) la définit comme
"un tissu d’associations qui échappe à la division bipolaire classique
entre secteur privé et secteur public pour former une sorte de « tiers-secteur
» qui tente de se tenir à égale distance du marché et de
l’administration". La définition que propose l'Institut Panos de l'Afrique
de l'Ouest fait référence à l'essence de l'entité sociale que constitue la
société civile. Il la définit comme étant "un contre-pouvoir animé par des
individus et/ou des organisations indépendantes des pouvoirs politique, local
ou central, mais dont l’ambition est d’exercer une influence sur celui-ci dans
le sens du bien-être social" (Stratégie de communication de la société
civile en Afrique de l’Ouest, Etude de bonnes pratiques). Ces deux définitions
montrent clairement que la société civile est l'un des trois pôles sur lesquels
repose la société, d'une part, et d'autre part, qu'elle constitue un
contrepoids à l'action des deux autres pôles pour garantir le bien-être social.
Or, l'un des
rôles régaliens, sinon l'ultime mission, des pouvoirs publics est d'assurer le
bien-être social aux populations. De ce point de vue, pouvoirs publics et
société civile ont une mission commune: l'intérêt collectif, le bien-être
social. Il revient à cette dernière de veiller à ce qu'il y ait une cohérence
entre sa vision sociale, sa définition du bien-être social (celle, en fait, de
l'ensemble des citoyens qui se sont regroupés dans des organisations) et les
politiques, programmes et démarches entreprises par les pouvoirs publics. Il y
a à partir de là une convergence d'intérêts (qui n'implique pas forcément une
convergence d'actions) qui oblige société civile et pouvoirs publics au
dialogue et supprime de ce fait toute étanchéité entre ces deux entités de la
société.
La société civile
ne peut garder la distance avec les pouvoirs publics (dans leur ensemble et pas
seulement le gouvernement) dans la mesure où pour atteindre ses objectifs, elle
ne peut que contraindre (par les voies les plus pacifiques et démocratiques)
les pouvoirs publics à rechercher l'intérêt public dans l'usage des ressources
publiques; elle-même n'en n'étant pas dépositaire.
En outre, rien n'exclut que les pouvoirs publics s'appuient sur les
organisations civiles pour mobiliser les populations ou susciter leur adhésion
autour de projets sociaux bénéfiques au plus grand nombre. Seulement, cela doit
se faire dans un cadre formel de collaboration ou d'intervention clairement
défini et dont le public est informé, et non sous cape avec l'utilisation des
petites entrées du palais de la présidence ou des institutions de
La collaboration s'impose donc, en principe, entre société civile et pouvoirs
publics et ne peut être assimilée à de la compromission. L'attitude de certains
responsables d'associations ou d'ONG ou des citoyens "leaders
d'opinion" qui affichent leur conviction ou relations personnelles ou
compromettantes avec des personnalités politiques ne saurait changer la nature
de l'entité sociale qu'est la société civile et encore moins ses objectifs.
Encore que militer dans une association ou une ONG n'exclut pas d'avoir des
convictions ou des amitiés politiques. Ce qui est condamnable, c'est la
bassesse qui fait prospérer des intérêts personnels au détriment de l'intérêt
collectif et du bien-être social.
Une construction
sociale assujettie
S'il est un risque de dépendance de la société civile d'autres entités
sociales, économiques ou politiques, nationales ou internationales, il ne peut
provenir que de la faiblesse de ses ressources financières face à ses
prétentions de combler les incuries des pouvoirs publics ou de contrecarrer
certaines de ses actions. Dans leur grande majorité, les organisations de la
société civile sont régies par la loi de 1901 sur les associations. En tant
qu'associations ou organisations à but non lucratif, ces organisations sont on
ne peut plus limitées dans la mobilisation des ressources financières pour
leurs activités. Elles ne peuvent disposer, d'une part, que des frais
d'adhésion et des cotisations de leurs membres, et d'autre part, des dons, legs
et d'autres ressources du genre. Ceux qui ont une petite expérience du militantisme
associatif savent que dans notre pays les gens ne se bousculent pas aux
portillons des associations qui se résument très souvent à quelques membres du
bureau directeur si ce n'est pas seulement le premier responsable. Par
conséquent, les cotisations et les frais d'adhésion sont des mythes. L'autre
alternative dont elles disposent pour avoir des ressources financières pour
leurs activités reste les dons. Il est incontestable qu'au Bénin, la presque
totalité des activités menées par les quelques organisations civiles qui sont
actives et dynamiques le sont grâce à des projets ou programmes financés par
ceux qu'on appelle pompeusement aujourd'hui les partenaires techniques et
financiers. Et si la société civile béninoise a été, ces dernières années, si
déterminante, si décisive, si combative, c'est grâce à des ressources allouées
par ces partenaires.
Malheureusement,
l'intervention des partenaires techniques et financiers prend de plus en plus
des formes qui réduisent (dans le meilleur des cas) ou suppriment les
financements directs aux ONG et associations. Pis, et c'est là que se pose la
question de la dépendance ou de l'indépendance, le problème des organisations
civiles qui bénéficient des subventions n'est plus seulement celui de la rareté
des ressources financières mais celui de la mise en œuvre de leur propre vision
sociale dont la définition et la quête constituent leur raison d'être.
Lorsqu'une association ou une ONG est créée, c'est que ses membres ou ses
initiateurs ont des objectifs, une projection donnée de la société, une
représentation idéelle, un idéal sociétal vers lequel ils voudraient mener
toute la communauté. Ces organisations sont a priori ou a fortiori (c'est selon
la compréhension que chacun a du rôle des associations) dépositaires d'une
vision sociale qui fait unanimité ou tout au moins est consensuelle. C'est en
cela que la société civile a une place et une mission dans une société.
Le constat
aujourd'hui est que les partenaires techniques et financiers n'accompagnent
plus la mise en œuvre des objectifs des organisations civile mais définissent
eux-mêmes des objectifs, élaborent des projets ou programmes et invitent les
associations et ONG à y souscrire en les faisant concourir. Ces organisations
sont ainsi assujetties à des objectifs et des démarches qui ne sont pas les
leurs ou ne correspondent pas à leur cadre et logique d'interventions. Mais
elles sont contraintes par nécessité de survie de s'inscrire dans ces
programmes presque imposés.
Ils sont légion, les programmes élaborés et exécutés par les partenaires
techniques et financiers soit directement, soit à travers des agences
d'exécution, soit par des structures spécialement mises en place. On peut
citer, le Programme Gouvernance et Droits de
On peut nous
opposer les tares et les dysfonctionnements des organisations civiles pour
justifier le contrôle de la gestion des ressources financières allouées par les
donateurs à travers des programmes pilotés par les partenaires eux-mêmes. Mais
cette quête de contrôle, de transparence et peut-être d'efficacité a créé un
revers préjudiciable à l'indépendance d'action des organisations de la société
civile. Elle n'est plus le maître d'œuvre de la construction de la vie sociale
dont elle rêve et dont elle est le maître d'ouvrage; elle est réduite à un
statut de prestataire qui n'a aucune prise sur les orientations et les options
qui doivent conduire à l'architecture sociale à édifier, dans la mesure où la
presque totalité du financement de la société civile provient de l'extérieur et
que désormais ces financements sont accompagnés d'objectifs opérationnels
formulés par des agences extérieures. Par là, la société civile devient
dépendante d'une volonté externe (quelles que soient les motivations de
celle-ci) à elle-même et perd ainsi son essence d'entité de la société devant
veiller au bien-être social en contrepoids à d'autres forces de la société.
C'est là et en cela qu'elle est dépendante ou limitée dans son indépendance.
Loin de nous l'idée de condamner l'aide extérieure et spécifiquement le
financement de la société civile. Il y a un problème structurel qui se pose et
qui est lié non seulement au fonctionnement des organisations de la société
civile mais aussi à l'existence de celle-ci et par-delà, à la cohésion de la
projection sociale que se donne (ou devrait) toute la communauté.
Par Modeste Koami
GOUTON, Journaliste, Spécialiste de Communication Publique et Gestionnaire de
projets.
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