"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Les temps sont grave

Nous avons faim, mais ça peut changer

IN Journal Catholique la croix du Bénin

Mgr Pascal N'Koué

Evêque de Natitingou


Nous n'avons pas de système de développement à proposer à nos populations. Mais face à la démission de l'Etat concernant les politiques saines et efficaces de la reforme agraire, l'Eglise, dans la mesure du possible, est appelée à la suppléance par ses sages conseils et son enseignement social.

   

Les temps sont graves. Nos sols se dégradent; et le désert avance. Le pouvoir d'achat de nos populations a considérablement baissé. L'argent ne circule plus. L'insécurité alimentaire s'installe. Les prix des produits de base ont brusquement flambé. Notre avenir économique et social semble hypothéqué. Il n'y a aucune reforme énergique à court terme en perspective. C'est un défi pour l'évangélisation. Que peut faire l'Eglise ?

Avant tout, il faut une reconversion de nos mentalités. C'est vrai que nos moyens sont très limités. Mais cela ne nous empêche pas d'assumer nos responsabilités. Car compter toujours sur la solidarité internationale, qui d'ailleurs s'amenuise, c'est humiliant. Les activités sociales ne peuvent pas remplacer l'effort programmé et planifié de façon judicieuse. L'Atacora peut se développer et c'est avec les paysannes et les paysans d'abord que nous avons au plan humain, des chances de reconstruction de notre diocèse. Travaillons avec eux. Redonnons-leur la considération qu'ils méritent.

Je ne suis pas un ingénieur agronome. Vous non plus. Nous ne sommes que des disciples du Christ. Mais quel privilège et quelle responsabilité ! Notre premier rôle est d'amener les hommes à la foi en Jésus r essuscité. Et c'est justement lui qui donne à son Eglise une force insoupçonnée. N'est-ce pas l'Eglise qui a relevé l'Occident à la chute de l'empire romain ? Nous n'avons pas de système de développement à proposer à nos populations. Mais face à la démission de l'Etat concernant les politiques saines et efficaces de la reforme agraire, l'Eglise, dans la mesure du possible, est appelée à la suppléance par ses sages conseils et son enseignement social. Comme le confirme un proverbe africain, «l'enfant, qui n'a pas sa mère, peut téter sa grand-mère». Et nous entendons Jésus nous dire comme à ses apôtres : «donnez-leur vous-mêmes à manger». Notre Maître nous incite à prendre au sérieux les besoins des foules ; c'est lui qui, bien sûr, les rassasie. Mais sans notre effort, il ne fera rien. Il veut réveiller en nous le sentiment de compassion, d'entraide et de solidarité envers ces foules exploitées, qui sont parfois comme «des brebis sans berger» (Mt 9, 36).

Je sais que vous vous battez avec votre évêque pour que le visage de notre diocèse continue de changer positivement au plan spirituel et matériel. Et je vous en félicite. Convaincu que l'Eglise doit jouer le rôle de Bon Samaritain, surtout dans nos localités où manquent des leaders politiques désintéressés, rassembleurs et audacieux, je voudrais vous exhorter à vous intéresser au développement. Nous pouvons et devons sortir l'Atacora de l'engrenage de la précarité alimentaire.

Avant qu'il ne soit trop tard, il faut faire des choix courageux. Commençons par le commencement. Nous savons qu'après l'homme, la première richesse dans les biens de la création visible, c'est la terre. Sans tomber dans le piège du matérialisme, prenons au sérieux l'acquisition des terres, car nous sommes dans une zone rurale. Pas de négligence là-dessus. Demandez des parcelles pour votre paroisse ; prenez soin de celles qui nous déjà été attribuées. Délimitez-les. Faites les papiers. Posez des bornes visibles. Faites des haies ou des clôtures provisoires avec des pieds de tecks ou de mélina ou des épineux : c'est facile à trouver. Je vous en supplie, intéressez-vous à la terre que Dieu a donnée aux hommes pour la dominer, la transformer sans la détruire. L'Eglise qui ouvre ses bras à tous en a besoin. L'avenir de notre société en dépend. L'homme que nous sommes appelés à évangéliser n'est pas un être abstrait. Il est sujet aux questions sociales et économiques.

En un second temps, occupez ces domaines par la plantation des arbres comme l'acacia, le mélina, le neem ou des arbres fruitiers. Je vous conseille bien sûr les manguiers mais aussi et surtout le néré, le karité et le baobab (arbres du milieu). Cela peut faire sourire certaines personnes. Mais ces arbres nous sont précieux et très utiles. Ne délaissez pas l'anacardier, le moringa, l'oranger, le bananier, le papayer etc. Evidemment les arbres fruitiers ont besoin d'une vigilance accrue. Ils ne résistent pas au feu de brousse. Entre autres, les voleurs ne plantent pas, mais ils savent cueillir ce qui ne leur appartient pas.

Comme cultures vivrières, revenons au mil et au sorgho qui demandent moins d'eau et moins d'engrais ; ils sont plus nourrissants que le maïs. N'abandonnons pas le fonio, le riz des montagnes et le haricot sahélien. Et pourquoi ne pas promouvoir la culture attelée aux ânes. C'est moins coûteux et plus rentable.

Le maraîchage est un secteur à exploiter. Les légumes, c'est bon pour la santé de tous. Enfin, il y a l'élevage de la volaille (spécialement la pintade de l'Atacora) et du petit bétail à encourager. Quant au porc, point de commentaire ! Je sais que tout cela demande un effort continu. Mais, comme le dit le proverbe, «qui veut le miel affronte les abeilles».

Attention aux engrais ! Ils détruisent nos sols. Utilisez plutôt la fumure animale ou l'engrais végétal, le compost. Découragez le plus possible la culture du coton. C'est une catastrophe et nos agriculteurs n'y gagnent rien. L'Afrique produit en abondance ce qu'elle ne consomme pas, et ce qu'elle consomme, elle ne le produit pas assez. Quel paradoxe ! Le coton tue nos terres. Il tue aussi l'homme après avoir déstabilisé complètement l'économie familiale. Rapprochez-vous des Frères m issionnaires des Campagnes de Birni pour avoir plus de conseils.

Par ailleurs, vous savez ma détermination pour les écoles et d'abord pour l'école primaire. Il est indispensable de garder l'enfant dans son milieu de vie pour son enracinement culturel. Et que l'école l'aide à s'intégrer dans la société. Un peu de travail agricole ou un minimum de travail manuel dans nos écoles, ça fait du bien. Encouragez les enfants à aimer leur village, à protéger la création et à participer au développement de leur terroir. «Même sur le billon tordu fait par un enfant, la tige de mil pousse droit», dit un proverbe africain.

Sans cet amour pour nos villages et cette valorisation du travail de nos mains, nos écoles seront les meilleures pépinières de chômeurs et les principales fournisseuses de candidats à l'émigration. Or de nos jours, pour gagner les élections politiques en Europe, il faut agiter le spectre de la chasse sans pitié aux immigrés. Pas de chance pour ceux qui continuent de rêver d'un bonheur facile hors de l'Afrique. Tout cela, parce que notre système scolaire depuis la colonisation, du primaire au secondaire, produit des intellectuels dont les dix doigts sont paralysés. Il faut nécessairement bâtir un système qui offre un enseignement plus concret et ouvert sur l'agriculture, le commerce et le technique. Et si on multipliait les petits centres de formation professionnelle au détriment des ateliers de coiffure, de couture, des cabarets et des coopératives de vendeuses de tchoukoutou (bière locale). Travailler à soutenir les familles, mettre les hommes debout, former les jeunes à se prendre en charge par une bonne gestion économique et un meilleur rendement des terres, voilà ce qui me parait urgent. Le reste suivra.

Tout collège devrait avoir sa petite exploitation agricole. Notre indépendance alimentaire et économique ne nous viendra pas des campagnes électorales, ni des partis politiques, qu'ils soient de la mouvance présidentielle ou de l'opposition, mais du travail méthodique de nos mains, constant et persévérant. Il y a longtemps que les moines l'ont compris: ils prient et ils travaillent et ils ne connaissent pas de crise alimentaire. Imitons-les.

Dans un pays comme le nôtre où il n'y a ni guerre ni «sunamit» ou autres catastrophes naturelles de grande portée, nous ne devons pas mourir de faim. Les terres sont là. Les bras valides ne manquent pas. Ça peut changer. Ça doit changer. Un peu plus de volonté ! Vouloir, c'est pouvoir ! Mais est-ce que nous voulons vraiment ?

En conclusion, je demande à tous les fidèles chrétiens et au clergé de s'impliquer dans ce digne combat pour le développement de la région. Nous devons avoir un engagement politique et pas n'importe lequel. Loin de nous l'idée de conquérir un quelconque pouvoir temporel. Pie XI avait raison de définir la politique comme le «domaine de la plus vaste charité». La charité chrétienne vise l'homme intégral, corps et âme. Il s'agit, au nom de notre Seigneur, d'œuvrer pour le bien commun et la bonne marche de la cité, afin de mieux vivre ensemble dans la paix et l'unité. La rédemption a quelque chose à voir avec la création. Nous sommes bien outillés, de par la doctrine sociale de l'Eglise, pour promouvoir les valeurs comme le progrès social, la vérité, la justice, la défense des faibles, l'accueil, l'amour fraternel. N'est-ce pas cela être témoin de Jésus-Christ ?

 

Mgr Pascal N'Koué

Evêque de Natitingou

Lettre diocésaine n. 126

 



06/06/2008
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