Presse :
les mots de nos maux
« Le lion est
mort ce soir ». C’est le titre d’une chanson à succès qui a traversé les
époques. Nous empruntons ce titre sans joie pour dire le malheur qui nous
frappe. Le Bénin qui caracolait à la toute première place au hit-parade de la
presse africaine, au titre de la liberté de la presse, a baissé pavillon cette
année aux termes du rapport annuel de « Reporters sans frontières ». Le roi
lion est ainsi mort et toute la forêt de s’en émouvoir.
Nous venons ainsi
de perdre notre couronne. Une couronne dont nous n’étions pas peu satisfaits et
que nous portions avec une légitime fierté sur toutes les tribunes d’ici et
d’ailleurs. La presse africaine et mondiale, encore sous le choc, s’interroge
sur les raisons de l’humiliante dégringolade du roi. Neuvième aujourd’hui sur
le plan africain, au lieu de la première place à laquelle il nous a habitué.
56ème place au plan mondial, loin donc de la 25ème place qu’il tenait. Pauvre
lion !
Ainsi, sur toute
la ligne, nous sommes échec et mat. Si nous avons raison, les autres années, de
bomber le torse et de tirer vanité de notre honorable position, car on n’est
jamais le meilleur par hasard, ayons, à présent, la sagesse de nous regarder
dans notre miroir et de nous saisir, tels qu’en nous-mêmes, en conscience et en
vérité. Et c’est ce que nous devons nous appliquer à faire, dès aujourd’hui
même, sans délai. Mais non sans avoir fait l’effort de savoir en quoi
avons-nous péché, pourquoi avons-nous péché, comment avons-nous péché.
Tout d’abord,
nous devons établir le constat que c’est au moment même où nous parlons et
rêvons d’un pays émergent que nous plongeons dans un classement qui nous situe
soudain comme des éclopés sur un terrain aussi important que celui du respect
de la liberté de la presse. Comme si, en même temps que nous manifestons le
désir ardent de voler haut dans le ciel, nous nous évertuions à nous comporter,
au sol, comme un éléphant qui piétinerait et briserait tout sur son passage. De
deux choses, l’une : ou nous sommes oiseau volant ou nous restons pachyderme
dévastateur. Nous devons choisir.
Ensuite, la
presse est le baromètre de la démocratie dans un pays. Il y a bien
naturellement une relation de cause à effet entre notre dégringolade sur le
front du respect de la liberté de la presse et l’état de la démocratie dans
notre pays. Au moment où nous tenions le haut du pavé, en brillant sous le
soleil radieux des libertés, nous avons fait du Bénin un pays démocratiquement
désirable, une destination politiquement enviable. La presse, notre presse,
était ainsi notre atout maître auprès et aux yeux des autres, dans le droit fil
d’une tradition qui s’est mise en place depuis la conférence des forces vives
de la nation, faisant du Bénin, sur le continent, un laboratoire démocratique.
Si les choses
changent quelque peu aujourd’hui, c’est parce que la démocratie est en
souffrance, c’est parce que la démocratie est en difficulté. Il y a là une
alerte, un avertissement, même s’il n’y pas encore danger en la demeure. Mais
n’attendons pas d’être d’abord à terre avant de nous prémunir contre le mal qui
menace. Quatre directions d’intérêt pour espérer établir un assez bon
diagnostic.
D’abord,
l’environnement socio politique dans lequel évolue la presse, étant entendu que
la couleur du ciel d’un pays n’est presque jamais sans rapport avec l’humeur et
l’état d’esprit de sa presse. Ensuite, les acteurs professionnels que sont les
hommes et les femmes de presse. Ils sont sommés d’interroger leurs pratiques au
regard des normes et des règles qui régissent leur profession. Egalement, les
acteurs politiques, en tant qu’ils tiennent en leurs mains aussi bien la table
des lois de l’intérêt général que le bâton de la répression, la carotte de la
séduction ainsi que les clés des cellules des prisons. Enfin, le public dont la
satisfaction ou l’insatisfaction par rapport à son droit de s’informer et
d’être informé constitue un précieux indicateur de performance pour la presse.
De manière plus
précise, nous retiendrons la précarité comme étant le mal majeur qui gangrène
l’entreprise de presse qui est encore à naître. En attendant, on se débrouille
comme l’on peut en ouvrant toutes grandes les portes de la corporation à
l’incompétence des gens qui ne savent pas, à la gourmandise de ceux qui
bouffent tout, à l’argent de ceux qui achètent tout, aux magouilles de ceux qui
se mêlent de tout, au pouvoir de ceux qui enchaînent tout à leur seule volonté.
C’est en cela que
nous avons trouvé, en ce qui nous concerne, quelque peu hasardeux et risqué,
pas dans le principe, mais en terme d’opportunité, l’appel à candidature lancé
récemment par
Dans ce
méli-mélo, la précarité fragilise les hommes, tempère les ardeurs
professionnelles, détourne l’outil de travail ainsi mis au service des causes
contestables et des querelles qui ne sont pas celles de la presse. On comprend
alors que celle-ci s’oriente désormais à faire plus de communication que
d’information, plus de sous-traitance que de manutention de première main. La
propagande a envahi la place, congédiant du coup le débat démocratique, riche,
pluriel, contradictoire et à plusieurs voix. Quand on appelle la presse, elle
fait plus que de répondre. Parce que la faim est une calamité. Nous ne le
savons peut-être pas. Reporters sans frontières vient de nous le notifier. Noir
sur blanc.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 19 octobre 2007
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