"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Lettre à Yayi Boni, Président de la République du Bénin

19 nov. 2007

Comprenez-nous !

 

Comprenez qu’en tant que pensionnaire du toit du Bénin, vous n’ayez pas la même lecture que nous des réalités du pays. Comprenez que nos compréhensions de la situation du Bénin s’écartent des vôtres. Telle est la pierre angulaire de la démocratie. Comprenez qu’en tant que Béninois ordinaire, nous soyons à même d’apporter une cinglante contradiction à toute vérité officielle sur la marche du pays. Vous êtes perché en haut, nous sommes en bas. Vous êtes plus ou moins jeune, nous sommes jeunes tout court. Vous êtes gouvernant, nous sommes gouvernés. Tant de différences propices à la concertation citoyenne fructueuse. J’aimerais que nous nous affrontions si besoin est, mais cet affrontement ne servirait à rien s’il ne débouche au final sur des solutions rapides à cet enfer que vivent les familles béninoises. Comprenez qu’il existe une quantité importante de jeunes forcés de passer douze heures par jour sous un soleil de plomb. Douze heures à ne rien faire qui puisse leur assurer une existence décente. Douze heures à souffrir le martyre dans les rues de Cotonou avec l’espoir de pouvoir se remplir la panse pour la journée. Pendant ce temps, nous ne comprenons pas vos dépenses inutiles par-ci par-là ainsi que le train de vie élevé de l’Etat. Comprenez la condescendance avec laquelle ces dignes fils du pays sont traités. Tels des lions affamés, ces jeunes attaquent, griffes et crocs dressés. Ces jeunes en quête d’espoir sont aujourd’hui ceux qui meublent les rues de nos grandes villes. Ils ne croient plus à rien et ils n’ont plus peur de rien. Par vos marchandages d’illusions, vous leur avez fait croire que votre élection à la tête du pays leur ferait changer de vie. Ces jeunes frustrés de votre «changement» qui s’essouffle au jour le jour, ont fait sauter les compteurs de l’insécurité depuis votre élection en avril 2006. Ils sont devenus des «agresseurs délinquants» qui sont prêts à tuer leurs semblables pour quelques billets de francs CFA. Quand comprendrez-vous, cher Docteur Yayi Boni, que sans aucun brin d’espoir, une jeunesse peut se montrer particulièrement violente ? Quel est votre plan pour la jeunesse béninoise ? Que faites-vous depuis près de deux ans ?
Comprenez que ces affamés ont des préoccupations très profondes, qu’ils n’ont la chance d’exprimer nulle part, même pas à vous, monsieur le Président. Leur sueur qui coule à flots, leurs guenilles déchiquetées, leur grise mine en portent les marques indélébiles. Comprenez-les. Ils n’ont pas le cœur à l’ouvrage concernant une quelconque solidarité nationale. Ils ont tout donné et n’ont rien reçu. Comprenez que nous souffrons. Comprenez nos déboires. Comprenez nos déceptions successives. Nous pensons comprendre votre politique faite de séduction, de mirage, d’effets d’annonces ronflantes, de spectacles et d’intimidations. Nous essayons de vous comprendre et de voir clair dans vos différents choix. Tentez de comprendre notre désespérance chronique. Entendez notre cri de détresse si assourdissant qu’il n’est plus pris en compte. Sinon, bouchez vos oreilles quelques secondes et vous comprendrez qu’il y a une voix en vous qui crie nos malheurs. Oubliez un instant la pure politique politicienne et descendez sur la terre des fauchés. Vous qui parlez tant de Dieu dans vos discours, allez-vous nous faire croire que vous méconnaissez les valeurs divines que sont la générosité, l’assistance, la bienfaisance et le partage ? Quittez une minute la sphère décisionnelle si fraîche, si douillette, vous comprendrez alors que vos orientations politiques sont parfois très assassines à l’endroit du bas peuple. Bandez une seconde vos yeux, le Bénin impatient vous insufflera ses doléances les plus urgentes.
Nous ne comprenons pas ce Bénin dual où les véhicules climatisés côtoient les mendiants à quatre pattes sur le macadam brûlant de nos grandes villes. Ce Bénin où même les vendeurs à la sauvette adoptent la posture de mendiants pour s’attirer un regard de compassion. Ce Bénin coupé en deux qui, sous peu, risque d’être plié en quatre à cause de vos choix politiques teintés de contradictions. Et ce Bénin des profondeurs, le comprenez-vous quand il qualifie la politique d’ignoble ? Nous le comprenons, nous autres, car les ignominies de la politique politicienne, nous n’avons pas manqué de les subir tel un poignard dans le cœur. Que devons-nous comprendre de la stagnation des salaires et du prix des denrées qui ne cessent de flamber ? Devons-nous comprendre que vous êtes à court d’idées et de solutions ? Nous ne pouvons le penser d’un banquier de votre trempe, décrit partout en Afrique comme un exemple. Nous ne comprenons pas que sous l’ère soi-disant de «changement», la politique béninoise ait encore cessé d’être une question de convictions et de valeurs humanistes pour se muer en un métier dans lequel tous les moyens sont bons pour remplir son compte en banque. C’est tristounet. Nous ne comprenons pas que vous ayez, vous aussi, cette basse vision de la politique. Vous qui avez parlé de transparence, de probité morale et de lutte contre la corruption au cours de votre prestation de serment face à la Nation.
Quel
espoir y a-t-il aujourd’hui au Bénin ? Quelle assurance en avons-nous de notre futur ? Les rouages du quotidien et son cortège de souffrances nous interdisent toute projection dans le futur. Un futur qui reste ténébreux et sûrement parsemé de mauvaises surprises. Mais ce futur quand même, c’est notre destin. Cher Docteur, ce destin vous a-t-il appris quelque chose sur ce qu’il nous réserve ? Le visionnaire que vous vous dites être doit nous édifier à ce propos. Si vous comprenez que le Béninois n’a que la notion d’argent en tête, vous devez être heureux d’avoir abusé de la confiance les milliers de Béninois qui ont cru en vous lors des campagnes présidentielles 2006. Vous comprendrez aussi pourquoi vous êtes obligé d’utiliser la clé de l’argent dans toutes les négociations y compris celles syndicales. Le bas peuple entend parler de milliards qu’il ne voit pas influer sur son quotidien. Doit-il comprendre que ces milliards ne serviront qu’à construire des échangeurs, des hôtels et des villas des grands corrompus qui vous entourent ? La grogne silencieuse actuelle, et sûrement prochaine du peuple, prend corps dans cette injustice généralisée. A cause de la politique de monétarisation des consciences que vous adoptez, les valeurs humaines indispensables à la marche d’une Nation se sont effilochées pour laisser libre cours à une absence de scrupules sans commune mesure. Par la même occasion, comprenez que le tissu administratif de ce pays demeure toujours un marché où tout se vend et tout s’achète. La corruption est devenue le trait de caractère majeur de nos administrations.
Cher Docteur Yayi Boni, il vous incombe, plus que jamais d’apporter des solutions urgentes à ce cancer multiforme qui gangrène le corps national.



regardsurlebenin@gmail.com -
http://www.regard-benin.blogspot.com

 

 



20/11/2007
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