Hebdomadaire Catholique de Doctrine et d'Information
Avant 2011 ou
après 2026 par Mathias Hounkpè
Le groupe de discussion «Res Publica» propose une série
d'analyses sur le projet de la révision constitutionnelle. Cet article montre
qu'il revient à chaque peuple de résoudre la question de l'opportunité dans le
processus d'une révision.
S'il est difficile de parler d'urgence en matière de
révision constitutionnelle, il faut tout de même reconnaître que certains
moments sont plus propices, plus appropriés que d'autres pour la mise en œuvre
du processus d'amendement ou de révision d'une constitution. Autrement dit, il
y a un moment où la mise en oeuvre d'un tel processus présente, par exemple,
moins de risques d'instabilité et parfois même d'implosion du pays.
L'histoire politique récente de notre continent est là
comme un témoignage vivant des risques que pourrait entraîner l'initiative
d'une révision constitutionnelle qui ne tienne aucun compte de l'opportunité de
l'exercice. L'actualité confirme éloquemment ces propos comme l'illustrent les
cas récents de la Côte
d'Ivoire, du Niger (au début du processus démocratique), du Cameroun
actuellement, etc. Chacun de ces cas montre à souhait les conséquences possibles
et variées des révisions constitutionnelles inopportunes, opportunistes et
subjectives. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, une disposition
constitutionnelle donnée, simple ou problématique, selon le contexte et le
moment où elle est introduite, peut n'avoir d'autres conséquences que le
maintien d'un calme plat, sans aucun signe ni risque d'instabilité, et / ou,
tout au contraire, peut entraîner au même moment ou à un autre, dans le même
pays ou ailleurs, une crise qui débouche souvent sur la guerre civile, ouvrant
la voie à une ère d'instabilité parfois chronique. En voici quelques
illustrations.
L'adoption d'une mesure relative aux conditions
d'éligibilité à la présidence de la République en Côte d'Ivoire a contribué à mettre
le feu aux poudres, alors que la plupart des constitutions des pays tels que le
Togo, l'Algérie, le Gabon, etc., contiennent des dispositions relatives aux
conditions d'éligibilité beaucoup plus restrictives que celles introduites par
les Ivoiriens. Le Niger, de son côté, au début de son processus de
démocratisation, a adopté un régime de type parlementaire dont il n'a point
tardé à subir les désastreuses conséquences dans le sang avec, à la clé, une
interruption temporaire de tout le processus, alors que, dans le même temps,
d'autres pays africains (le Mali dans une moindre mesure) ont pu le gérer avec
beaucoup moins de difficultés. On peut multiplier les exemples.
À notre humble avis, malheureusement ou heureu-sement, il
n'y a pas d'éléments, d'indicateurs systématiques et irréfutables qui
permettent de décider du moment opportun de la révision de la Constitution d'un
pays. Tout est affaire de contexte car c'est le contexte qui fournit les
éléments d'appréciation susceptibles de contribuer à (se) former une opinion
objective, de mieux appréhender la situation. Il est donc raisonnable
d'indiquer qu'en ce qui concerne l'opportunité de la révision de la Constitution, il
appartient à chaque peuple d'être attentif et de repérer des signes qui
rassurent quant aux conséquences (surtout néfastes) qui pourraient découler
d'une initiative de révision constitutionnelle. C'est ce que nous essayons de
faire ici à travers la présentation d'un certain nombre d'éléments qui, à notre
avis, militent en faveur de l'opportunité du processus de révision
constitutionnelle enclenché par l'installation, le 20 février dernier, par le
chef de l'Etat, de la commission ad hoc chargé de la relecture de la Constitution du 11
décembre 1990.
Avant 2011
Un premier élément qui plaide en faveur de l'opportunité
de l'initiative de révision constitutionnelle actuelle vient de ce qu'elle a
lieu durant le premier mandat du président de la République ; non pas
que nous ayons le moindre doute sur les intentions du chef de l'Etat actuel, le
Dr Boni Yayi, quant au respect des dispositions constitutionnelles en matière
de limitation du nombre de mandats. Il l'a d'ailleurs réaffirmé sans équivoque
lors de son allocution d'installation de la commission constitutionnelle, et
nous n'avons aucune raison de ne pas le croire.
Cependant, l'expérience d'ici et d'ailleurs a montré que
le deuxième mandat présidentiel est la période de toutes les tentations. Tantôt
c'est le chef de l'Etat concerné lui-même qui semble se rendre compte
subitement qu'il lui faudrait plus de temps que ne lui en laisse son deuxième
mandat pour accomplir des prouesses de développement que de longues années de
pouvoir sans partage, parfois des décennies, ne lui avaient pourtant pas permis
de réaliser ; tantôt ces présidents découvrent le souci urgent de moderniser
les institutions de leur pays (en changeant la durée du mandat, par exemple) ;
ou alors, ce sont les thuriféraires du pouvoir qui se découvrent brutalement
une vocation de visionnaires capables de reconnaître les messies indispensables
sans lesquels leurs pays plongeraient dans le chaos, parfois même contre la
volonté du messie désigné.
Pour en revenir au cas de départ, ici ou ailleurs, les
exemples abondent pour démontrer que c'est pendant le deuxième mandat des
présidents que le risque de manipulations de la Constitution est le
plus élevé. Passons sur le cas trop bien connu du pouvoir de Mathieu Kérékou
que l'on a tenté de nous vendre, vers la fin de son deuxième mandat, comme le
meilleur produit possible, irremplaçable et quasi éternel pour le Bénin du
moment et du futur, bref, « l'élu de Dieu » !
Jetons plutôt un coup d'œil rapide autour de nous, en
Afrique et ailleurs. En décembre 1999, Sam Nujoma, le président namibien, a
modifié, la Constitution
de la Namibie,
ce qui lui a permis d'être réélu pour un troisième mandat présidentiel en mars
2000. Son homologue burkinabè, Blaise Compaoré, orfèvre comme toujours, a fait
réviser la Constitution
de son pays avec beaucoup d'anticipation, d'élégance et de raffinement, quand
on le compare à ses autres homologues africains. De fait, élu pour sept ans sur
la base de la
Constitution de juin 1991, il a attendu d'être réélu en 1998
pour se rendre compte que le septennat n'était plus de mode et ne convenait plus
à une République moderne comme le Burkina Faso. Il fait réviser la Constitution de son
pays en 2000 (pendant son deuxième septennat) pour ramener le mandat
présidentiel à 5 ans renouvelables une seule fois. Faites le calcul: Blaise
Compaoré est tranquille, s'il le souhaite, jusqu'en 2015. On peut ajouter,
pêle-mêle, Lansana Conté, en Guinée Conakry (en 2001), Ben Ali en Tunisie (pour
sauter les verrous qui limitaient pourtant déjà à trois le nombre de mandats
présidentiels 1 ), Eyadéma père au Togo (en 2002, notamment après avoir juré à
qui voulait l'entendre qu'il n'en voulait plus et ne ferait point de révision),
et d'autres pays tels que le Gabon, le Tchad, le Nigeria (tentative
heureusement rapidement avortée), le Cameroun et le Burkina Faso (une fois
encore en fin de son deuxième mandat) actuellement en cours. . .
Il est intéressant de noter que l'Afrique ne détient pas
l'exclusivité du phénomène des manipulations constitutionnelles pour se
maintenir au pouvoir, notamment vers la fin du mandat. En Amérique Latine, où
la plupart des pays ont opté pour le système de mandat unique ou de mandat non
renouvelable successivement, c'est la modification avant la fin du premier
mandat qui a été largement observée. Alberto Fujimori l'a fait au Pérou (pour
sa réélection en 1995 2 ), Carlos Menem a fait de même en Argentine (en 1995),
tout comme Fernando Henrique Cardoso au Brésil (en 1998) et Alvaro Uribe en
Colombie (en 2002). Mais, cas parmi les plus récents, c'est la Russie qui vient d'enrichir
la panoplie de ces tours de passe-passe politico-juridiques destinés à se
maintenir au pouvoir en procédant à un changement de rôles au sommet
(bicéphale) de l'Exécutif avec un président de la République qui quitte
officiellement le pouvoir mais revient aussitôt comme Premier ministre, sans
limitation du nombre de mandats cette fois-ci. On ne peut encore dire combien
de temps durera l'entente entre les deux acteurs de cet étrange attelage au
sommet de l'Etat, mais l'on peut se risquer à imaginer que ce nouveau stratagème
des accros du pouvoir pourrait vite faire école ailleurs, notamment en Afrique,
avec quelques adaptations.
Tout ce qui précède met bien en exergue l'intérêt et les
avantages de lancer le processus de révision constitutionnelle pendant le
premier mandat du président de la République.
La période relativement longue avant les
prochaines élections nationales
Une autre raison mérite d'être considérée dans l'analyse
de l'opportunité du lancement du processus de révision de la Constitution : c'est
le temps relativement long, quasiment trois (03) ans, qui nous sépare des
prochaines élections nationales. C'est là, certainement, un argument de poids
en faveur de l'initiative pour au moins deux raisons.
La première raison est que nous sommes à environ deux ans
et demi des tumultes caractéristiques des périodes électorales. Même s'il est
vrai que le Bénin disposera encore d'environ trois (03) ans entre les locales
de 2012 et les législatives de 2015, le fait que le président actuel, s'il
était réélu en 2011, serait dans son deuxième mandat, pourra, comme on l'a
montré ci-dessus, poser quelques problèmes. Pour se retrouver dans la même
situation qu'aujourd'hui – c'est-à-dire disposer d'un temps relativement long
«d'accalmie politique» 3 – il faudrait attendre la présidentielle de 2026, en
envisageant l'hypothèse 4 que chacun des présidents élus entre temps finisse
leurs deux mandats constitutionnels.
Toujours dans le même ordre d'idées, il faudrait garder
présentes à l'esprit certaines dispositions des traités régionaux et
internationaux qui recommandent d'éviter la modification substantielle de
textes fondamentaux à l'approche des élections 5 .
La deuxième raison qui plaide pour un délai long dans le
processus de révision de la
Constitution est que ce processus «risque», cette fois-ci,
d'être beaucoup plus long que celui qui a conduit à l'adoption de la Constitution
actuelle. En effet, en 1990, tous les acteurs politiques étaient unanimes sur
la nécessité d'adopter une nouvelle constitution pour tourner définitivement la
page du régime militaro-marxiste. Tous, ou presque, étaient conscients de ce
que le temps ne jouait pas nécessairement en leur faveur et qu'il fallait,
aussi vite que possible, adopter et mettre en œuvre un nouveau cadre
institutionnel, un nouveau système politique. Enfin, les forces politiques
capables, sur la base de calculs de moyen ou long terme, d'adopter des postures
stratégiques et consommatrices de temps, n'existaient presque pas en ce
moment-là. Le consensus politique était de rigueur.
Aujourd'hui, le consensus politique a vécu. La situation
politique nationale est presque tout le contraire de ce qu'elle était en 1990.
Il n'est pas évident que tout le monde, y compris au sein de la commission ad
hoc elle-même, soit convaincu de l'opportunité et de la nécessité de réviser
notre loi fondamentale, et de la nécessité de ne pas perdre trop de temps à le
faire. Les forces politiques sont présentes, même si elles sont toutes
ébranlées et en déclin, et disposent encore de moyens crédibles d'intervention
dans le processus de révision de la Constitution. L'extrême
atomisation du paysage politique national devrait être, à notre humble avis,
perçue comme un élément à effet multiplicateur sur les centres d'intérêt qui
entreront en ligne de compte dans la détermination des choix définitifs en ce
qui concerne la révision de la
Constitution, sans parler de toutes les autres forces
sociales.
En réalité, à la grande complexité du paysage politique
national, il faut ajouter celle du paysage associatif. Il y a, en effet, plus
d'organisations de la société civile aujourd'hui qu'en 1990 et il y en a
davantage capables d'apporter des contributions de choix à la relecture de la Constitution. Les
prises de positions et les multiples initiatives 6 des animateurs de la société
civile sont là pour en témoigner. Il ne paraît pas imaginable aujourd'hui de
conduire ce processus à son terme sans compter avec la société civile ou en la
considérant comme un simple faire-valoir.
Bref, il y a une multitude de facteurs qui, à notre avis,
contribueront à rallonger, très probablement, la durée du processus de révision
de la Constitution
et il faut nécessairement en tenir compte au regard de l'opportunité dudit
processus.
RES PUBLICA
[Mathias Hounkp è]
Notes
1 Le nombre de mandate accordé ne semble pas être une
solution au problème, à moins que cela coïncide avec la longévité du locataire
du palais présidentiel.
2 Mais lorsque, en 1997, Fujimori a voulu user de la non
rétroactivité de la loi pour s'offrir deux autres mandats après le premier, le
Conseil constitutionnel péruvien jugé cette interprétation contraire à l'esprit
de la Constitution.
3 ou d'accalmie politicienne pour être plus précis
4 Il est vrai qu'on peut discuter du caractère réaliste
de cette hypothèse, mais passons.
5 Le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et
la bonne gouvernance du 21 décembre 2001 relatif au mécanisme de prévention, de
gestion, de résolution des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité,
en est un exemple. Ce protocole additionnel qui illégitime toute révision
consti-tutionnelle dans les six mois qui précèdent les échéances électorales
sauf consensus général est largement invoqué dans plusieurs pays de la CEDEAO et l'a d'ailleurs
déjà été au moins une fois au Bénin.
6 ateliers et tournées sur toute l'étendue du territoire
pour recueillir les avis des populations sur la question, entre autres.