Florent
Couao-zotti
De
temps en temps, en citoyen immergé dans le train train de la vie quotidienne,
je donne l’oreille à la rue, discute à tout va avec les petites gens, voir si
entre les « réalités officielles » qu’on nous donne à souper et ce que ma vision
des choses me fait apprécier, il y a des épisodes essentiels de la vie
publique qui m’échappent.
Zémidjan,
sages du quartier, vulcanisateurs, vendeuses d’oranges au décolleté tombant,
mangeurs de « gabriel » dans les gargotes, tous, un jour ou l’autre ont subi
ma provocation, juste parce que j’ai voulu entendre la version qu’ils ont de
la gestion du pouvoir Yayi. Cela, loin des discussions d’officine ou des
débats enfiévrés des salonnards.
Certes, ce n’est pas un sondage, ni une enquête d’opinion, mais un instantané
d’appréciations, des échanges au brûlot sur la façon dont le pays est
conduit, avis qui risquent de perdurer et motiver leurs choix pendant les
échéances électorales de 2011.
Ce qui est remarquable dans leurs propos et presque unanime, c’est le rejet
qu’ils font de la gestion du pouvoir du Changement. Les réalisations du
gouvernement en matière d’infrastructures, routes, écoles, centres de santé
ne semblent pas trouver grâce à leurs yeux. Au surplus, les accueillent-ils
avec sourire et ironie, comme s’ils en avaient déjà vu d’autres. « On ne
mange pas ça, fulminent-ils à l’endroit du locataire actuel de la Marina, Soglo a fait
plus, mais nous l’avons chassé… »
Que reprochent-ils à Yayi ? Comment se fait-il que, célébré hier comme un
messie, le natif de Tchaourou soit aujourd’hui l’objet de rejet quasi
pathologique chez nombre de Béninois ?
Cinq raisons peuvent expliquer cette situation.
D’abord, des causes d’ordre sentimental : malgré les ans, il existe encore
dans notre pays des élans d’instinct grégaire, ces automatismes de repli
ethnique et communautaire qui s’observent à l’occasion de certains
événements. Lorsque, par exemple, le leader d’une région est l’objet d’une
sanction du pouvoir central. Un acte toujours interprété comme une décision
dirigée contre les natifs de la région et donc, forcément, contre leurs
intérêts. C’est le cas des gens issus du Plateau.
Le fait que Sefou Fagbohoun ait été emprisonné et maintenu pendant longtemps
dans les fers – en dépit du délibéré de la cour d’appel – a été vécu par tous
comme de l’acharnement gratuit. Surtout que cet acte, estiment-ils, serait à
l’antipode des promesses que le candidat Yayi aurait faites au leader du
MADEP entre les deux tours des présidentielles. « S’il veut nous rendre orphelins,
clament les natifs de la région, il nous trouvera sur son chemin ». Un élan
de solidarité, inexistant jusque là, s’est alors cristallisé autour de
Fagbohoun, faisant désormais de lui, la victime héroïque du système Yayi.
Le même sentiment, quoique plus nuancé, apparaît également dans l’attitude de
l’électorat fon, majoritaire au sud et centre du pays. On se rappelle, avant
les élections, les passes d’arme entre Soglo et le gouvernement Yayi. On se
rappelle surtout les menaces du sieur Alexandre Hountondji contre le leader
des Houézèhouè. Le porte-parole du gouvernement avait alors menacé de
représailles le maire si jamais il l’ouvrait encore aussi grande. De fait,
l’électorat fon a jugé intolérable cet affront et manifesté diversement son
hostilité. Et si on y ajoute ce pseudo vol de actes d’électeurs, la publicité
incroyable qui en avait été faite et l’attitude irresponsable de la FCBE, le repli identitaire
s’est aussitôt produit, les gens prenant faits et causes pour les leurs,
considérés alors comme des victimes du pouvoir.
La seconde raison du rejet du gouvernement Yayi relève de la gestion
calamiteuse des micro-crédits et du fonds national pour l’emploi de jeunes.
Sur le terrain, il existerait des intermédiaires troubles – des espèces de
kélébés qui disent avoir reçu mandat du ministre de tutelle – et qui
rançonneraient les bonnes femmes jusqu’à dix pour cent des sommes qui leur
sont allouées. Et cela, dans une ambiance de menace, de passe-droit et de
délation. Ceux ou celles qui seraient soupçonnés de sympathie avec d’autres
partis, seraient priés d’aller se faire pendre en enfer. A moins qu’ils
produisent la preuve de leur amour fou pour la FCBE. Bref, pagaille,
insolence et irresponsabilité seraient en train de prospérer sur ce
terrain-là sans que se profile à l’horizon le moindre signe de
correction…c’est ce qu’on appelle le « clientélisme barbare », a commenté un
amateur de viande de gabriel.
(Suite à la prochaine chronique)
Ecrit
par Florent Couao-Zotti
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