Pour en Finir avec le Mythe du Bénin Émergent
07 avril 2008
MADE in Bénin/In babilown
I/5 . L'Émergence du Docteur-Président
L'émergence qui fait rage au Bénin actuellement est sujette à caution. Le premier regard se tourne vers son promoteur. Monsieur Yayi Boni. L'homme est apparu dans l'espace politique auréolé du titre de docteur. L'une des raisons de cette présentation est d'ordre dynamique. Dans le cadre de l'élection présidentielle, il était urgent de faire contrepoids aux Professeurs et autres Maîtres déjà très nombreux dans le marigot politique.
Et, une fois qu'on s'est présenté comme Docteur, il faut soutenir le titre, apporter la preuve de sa doctrine et au besoin l'illustrer. Pour Yayi Boni il s'agit de mettre en scène une notion savante, issue du domaine économique. Car l'image que campe le candi-dat puis le Président est celle d'un homme riche : riche comme un banquier ; mais aussi riche de savoir comme un docteur. Or l'émergence est une notion savante ; sa mise en jeu opportune est le fait d'un soi-disant docteur et ce n'est pas innocent.
Les docteurs, il y en a de deux sortes. Il y a les docteurs effectifs, qui sont plus souvent soit des médecins ou des chercheurs impliqués dans la recherche théorique de haut niveau (Universités, Centre de Recherches, Laboratoires, etc.) Et puis il y a la deuxième catégorie de docteurs constitués par ceux qu'on peut appeler des docteurs affectifs, dans la mesure où ce sont des gens qui affectionnent et sont affectés d'un titre qu'ils arborent sur le mode de l'affectation. Ce titre correspond formellement à la validation d'une thèse de doctorat du troisième cycle, qu'il s'agisse de « La cueillette du coton dans le bassin de l'Alibori », ou de « La théorie asymptotique des filtrations des idéaux en algèbre commutative... » pour ne citer que quelques exemples classiques...
Les docteurs de la première catégorie sont mus par le contenu pratique de leur doctrine, dont les effets sont agissants et tangibles ; les docteurs de la deuxième catégorie s'enferment dans le registre affectif de la bonne volonté sociologique ; ivres d'eux-mêmes et de ce qu'ils tiennent pour leur réussite, ils passent leur temps à se mirer dans le miroir de l'étiquette académique ; ils remplissent leur être du bruit assourdissant de leur exploit scolaire converti en titre que toutes les occasions sont bonnes à amplifier par la médiation des codes sociaux. Mais le contenu de la doctrine de cette catégorie de docteurs, au-delà des généralités, ne brille pas par son originalité encore moins par son principe agissant ; sa consistance est inversement proportionnelle au bruit qu'ils entretiennent autour d'eux.
C'est ainsi que se comprend la posture de Monsieur Yayi Boni, un homme qui, à la faveur d'un doctorat obtenu sur le tard, n'hésite pas à s'affubler du titre de Docteur. Cet affublement était un geste de prévention dynamique. Il s'agissait de faire contrepoids aux poids lourds de la politique qui se faisaient passer déjà qui comme Professeurs, qui comme Maîtres, et dont les talents étaient peu ou prou reconnus. Mais une fois cette étape franchie, le docteur devenu Président se doit, dans la dynamique enclenchée, de passer du registre de l'affectif à celui de l'effectif. On passe de la bonne volonté sociologique à la bonne volonté politique. D'où le dévolu jeté par Yayi Boni et ses acolytes sur la notion d'émergence. Notion économique savante s'il en est et qui est dans l'air du temps (temps de la mondialisation, du marché, du libéralisme roi, renouvellement des vieux concepts inopérants de développement) etc. Mais il s'agit avant tout de jeter en pâture à la conscience citoyenne une idée neuve, un concept, voire même un mot-programme susceptible de nourrir les attentes politiques, de créer, d'identifier et de distinguer une ère politique décrétée nouvelle.
D'un point de vue logique, cette bonne volonté peut s'apprécier de deux façons.
1. On peut considérer qu'elle se met en œuvre en toute conscience, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une volonté délibérée de manipuler les esprits en donnant le sentiment d'être sur une voie nouvelle en prise sur l'idée du Changement en vogue ; une voie originale, assurée et devant par sa qualité conduire au bonheur. Et là nous sommes dans le registre banal de la démagogie.
2. Mais cette bonne volonté politique peut être mise en œuvre en toute inconscience. Dans le sens que le Docteur-Président essaie de donner du contenu à un statut formel par laïcisation d'une notion intellectuelle, ou en mettant en pratique une théorie dont il a une certaine notion.
A première vue, de ces deux façons d'apprécier la bonne volonté politique de Monsieur Yayi Boni, on pourrait penser que la première est immorale et la seconde morale. La première est immorale parce que motivée par la démagogie, et la deuxième morale parce qu'elle semble partir d'un bon sentiment. Et par jugement de valeur, on pourrait en venir à la conclusion que l'une est mauvaise et l'autre bonne. Or à y voir de près, à bien considérer la notion et l'histoire de l'émergence, et dans la mesure où cette notion est proposée par un Président qui se dit Docteur, on se rend compte que les bons sentiments administrés dans l'inconscience sont plus dangereux et néfastes que les mauvais sentiments administrés en toute conscience. En clair, à tout prendre, pour ce qui est de la destinée d'une collectivité humaine, d'une société, le manipulateur est préférable à l'apprenti sorcier.
En effet, dans la mesure où au-delà de l'usage tactique du titre de docteur, le Président joue effectivement les docteurs à ciel ouvert, l'inconsistance, le vice d'acuité, la superficialité du regard, la légèreté effarante avec laquelle est mise en jeu la problématique de l'émergence, s'ils étaient établis, montreraient le danger du passage en force du registre de l'affectif à celui de l'effectif. Le cas échéant, ils signifieraient que toute une société, tout un peuple sont mobilisés dans le rôle de cobaye d'une expérimentation hasardeuse.
A suivre...
Binason Avèkes...
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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