Qualification pour la CAN 2008
L'art, l'artiste et le politicien
L'évènement vaut bien une messe. Et la messe a été dite de fort belle manière, dans la faveur d'un peuple assoiffé d'exploits et de victoires. Quelques heures auparavant, le Onze national se qualifiait pour la phase finale de
Oui, l'évènement vaut bien une messe. Le Stade de l'Amitié en fut le temple vivant ce dimanche 14 octobre. Le chef de l'Etat soi-même était dans le rôle du grand officiant de service. Il a bénéficié de l'assistance de plusieurs de ses ministres. Les fidèles étaient sans nombre. Ils assuraient le spectacle en applaudissant à tout rompre ou en sifflant à tue-tête. Le chœur était assuré par une brochette d'artistes venus des quatre points cardinaux de notre pays. Dans la grande nef du temple, les héros du jour, les Ecureuils, auréolés de gloire. Ils buvaient du petit lait et se délectaient de l'hommage qui leur était rendu.
Ce qui était parti pour être un méga concert en l'honneur de la musique béninoise, un plateau de rêve pour montrer la palette étendue et chatoyante de notre patrimoine musical et pour étaler le savoir et le savoir faire de nos artistes créateurs a tourné en une symphonie inachevée. Comme si la majorité des artistes en vedette s'étaient subitement trouvés en mal ou en panne d'inspiration, et s'étaient métamorphosés en laudateurs du chef de l'Etat. On se serait cru plonger dans les chaudes ambiances politico artistiques de naguère, avec des groupes d'animation à
L'art était ainsi congédié, remisé loin de la scène. On pouvait ainsi plonger à loisir, comme dans une piscine, dans la louange facile. Des coups d'encensoir étaient donnés tous azimuts, face à un chef. Comme s'il avait besoin d'être chanté et porté aux nues pour avoir la preuve par neuf que les Béninois adhèrent à sa vision et regardent dans la même direction que lui. A trop applaudir un danseur, disent les Bamiléké du Cameroun, il se trompe de pas.
La grande messe du stade de l'Amitié du 14 octobre, par un énorme détournement d'objectif, au lieu de célébrer l'art, la musique, l'artiste créateur, à travers les mille et une facettes de notre patrimoine musical et artistique, a plutôt célébré le Chef, qui n'en demandait pas tant ; a plutôt loué sa politique, qui n'avait pas besoin d'être ainsi défendue et illustrée ; a plutôt enguirlandé le pouvoir en place, ainsi monté en épingle, comme au temps, aujourd'hui révolu, du parti unique, de la pensée unique et des pères de la nation.
Nous comprenons que nous appartenons à des aires culturelles où l'art, fondamentalement, était une élaboration collective. Il servait, au premier chef, les besoins d'une communauté, dont la cour du souverain, était l'épicentre. Il était alors impensable, dans un tel contexte, que l'art ignorât le souverain, le pouvoir qu'il incarnait et ce qu'il représentait pour la société. Les griots de nos sociétés traditionnelles n'ont pas appris autrement leur travail de maîtres de la parole et de gardiens attitrés de la mémoire. Idem pour les artistes et les créateurs.
Aujourd'hui, les choses changent. Dans nos sociétés démocratiques en construction, où l'on se retrouve seul dans l'isoloir pour exprimer son vote, l'art s'est affranchi de la communauté et a pris son autonomie. L'art se veut aujourd'hui une démarche individuelle marquée du génie créateur d'un individu, lequel signe son œuvre et affirme sur celle-ci ses droits de propriétaire au titre de la propriété intellectuelle.
Nos sociétés traditionnelles chantaient et célébraient les maîtres du jour, à travers l'inspiration d'un artiste ou d'un groupe d'artistes anonymes qui faisaient corps avec leur société. L'œuvre d'art n'était pas signée. Elle était la propriété de la communauté. Dans les conditions nouvelles de création et d'expression qui sont les siennes, l'artiste africain moderne est un être singulier qui a choisi de s'extraire de la foule anonyme.
Il a mission d'attacher son nom à des œuvres de beauté qui défient le temps et qui lui survivent plutôt que de plier son inspiration à la temporalité des choses, en se faisant propagandiste, activiste politique, plus préoccupé à tresser des lauriers et à caresser dans le sens du poil que d'user de l'immense pouvoir de création qui l'établit dans l'éminente position de co-créateur avec Dieu. L'art, de ce point de vue, parce qu'étant une transcendance, est l'une des plus éminentes responsabilités humaines.
Du méga concert du 14 octobre, au Stade de l'Amitié, nous voulons retenir, en ce qui nous concerne, que celui qui se veut l'homme du changement, ne doit, sous aucun prétexte, se laisser statufier, camper dans la posture figée de la statue du Commandeur. Il y a manifestement une contradiction entre le mouvement qu'induit le changement et la raideur d'une statue. Il y a eu, sur notre continent, tant d'exemples de demi dieux, du moins sacrés ou consacrés tels par un certain art du maniement de la brosse à reluire. Ces icônes préfabriquées ont brillé un temps du vernis artificiel des chants et des danses à leurs louanges, avant de sombrer, corps et biens, dans les abysses de l'oubli. Cela doit faire réfléchir. C'est le fabuliste qui a raison : « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ».
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 16 octobre 2007
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