26-05-2 Claude Cossi Fréjus
DJANKAKI.
Consultant, Spécialiste
des questions de décentralisation, Diplômé IIIè Cycle en Administration,
Territoriale décentralisée en 1985 à la faculté de Droit et des Sciences
politiques de l’Université de Reims en France.
La CENA est-elle
coupable ?
Dès l’annonce des résultats des
élections communales, municipales et locales du 20 Avril et du 1er Mai 2008,
les marches de protestation, les grognes, les violences de toutes sortes
s’observent à l’intérieur du pays. On pourrait alors se poser déjà la
question de savoir si la décentralisation est menacée.a
Pourtant, courant 2007 lorsque
je publiais mon ouvrage « la décentralisation au Bénin : l’impasse, le cas
de la commune d’Abomey-calavi », je suggérais à nos autorités centrales
qu’avant d’aborder la seconde mandature des élus locaux, d’inviter nos
concitoyens à une étude qui portera sur un certain nombre de question clés
ainsi résumées :
-quelles approches semblent être plus ou moins efficaces quand il s’agit
d’élargir la participation pour y inclure des analphabètes dans la
gouvernance locale ?
- le profil du maire ou du chef d’arrondissement tel que défini pourrait –
il favoriser le développement local ?
- la démocratie au niveau national est- elle réellement suffisante pour
une sérieuse décentralisation administrative au niveau local de tous les
organes :
l’organe exécutif et l’organe délibérant ?
- La décentralisation actuelle peut-elle établir seulement un capital
social ?
- La présence des partis politiques au niveau local est-elle généralement
nuisible ou utile au processus de développement à la base ?
- Quel doit être le rôle de la société civile ?
- La décentralisation «démocratique» telle que pratiquée au Bénin
contribue-t-elle davantage à réduire la pauvreté, l’iniquité ou à les
augmenter ?
- Les institutions de contre-pouvoir (l’Assemblée Nationale, la Cour
Constitutionnelle….) connaissent-elles véritablement les enjeux de la
décentralisation ?
- Quelle pourrait être la teneur des dispositions pérennes à introduire
dans la constitution pour régler au mieux les jeux de ping-pong entre
l’Assemblée Nationale et la Cour Constitutionnelle s’agissant des textes
réglementaires sur le fonctionnement de nos communes qui doivent être
perçues comme un levier de développement ?
Pour n’avoir pas pris au sérieux ces préoccupations d’ordre technique en vue
d’entreprendre des études sur le terrain et envisager le cas échéant un
forum qui doit avoir un incident législatif, certaines de nos communes vont
encore végéter dans le laxisme, la navigation à vue et le gaspillage des
maigres ressources locales.
Revenant à la question des élections locales du 20 Avril et du 1er Mai 2008,
j’avais mis en cause dans mon récent ouvrage, l’héritage des élections
locales d’organisation nationale par la CENA.
En effet, il n’est d’aucune nécessité que les élections communales,
municipales et locales aient lieu le même jour dans toutes les communes. De
même il n’est d’aucune nécessité que le mode de scrutin soit le même dans
toutes les communes. Mieux, les membres de la CENA sont passés de 25 à 17
pour organiser les élections les plus complexes que le Bénin ait jamais
connu. Chaque état major des partis politiques a mis au moins 48 heures pour
affiner les résultats des élections locales au niveau d’une commune. La
répartition géographique de la population au découpage de 1978 actuellement
en vigueur était basée sur une population de 3.190.902 habitants pour 77
communes, 510 Arrondissements et 3.378 villages et quartiers de villes.
Aujourd’hui en 2008 certains villages ont la taille d’une commune. C’est le
cas de Godomey qui a la taille des communes de Covè – Zagnanado et Ouinhi
réunis.
Paradoxalement, aussitôt après les élections, cette fois-ci couplées, la
CENA sous la pression politique, s’est évertuée à un exercice difficile : la
proclamation des résultats en moins d’un mois.
Toutes les irrégularités relevées le jour du scrutin ont bénéficié de
très peu d’attention. Les agents recenseurs, les agents de bureaux de vote
n’ont été formés que pendant une heure au maximum. Dans ces conditions, on
comprend alors les désagréments auxquels on pourrait s’attendre. Pourtant la
loi électorale impose aux agents recenseurs le niveau minimum de BEPC.
Par ailleurs, s’agissant des agents du bureau de vote, certains parmi eux
n’étaient même pas en mesure de remplir correctement les feuilles de
dépouillement, un élément déterminant dans la sincérité des suffrages
exprimés sur chacun des candidats. Personnellement, grande fût ma
stupéfaction lorsque je découvrais sur une feuille de dépouillement
l’orthographe avec lequel il est écrit «Albaum Kalvie» au lieu de «Abomey-Calavi».
Certains n’étaient même pas capables d’écrire «Mono». Je comprends alors
aisément l’origine des tripatouillages au niveau des chiffres. Face à toute
cette médiocrité, peut-on s’attendre à une bonne organisation des élections
présidentielles et législative couplées de 2011 sans avoir mis l’accent sur
la formation des différents acteurs ?
Par ailleurs, l’autre pomme de discorde aujourd’hui est le mode de scrutin.
D’entrée, disons que les modes de scrutin sont si fort variés et n’emportent
aucune unanimité lorsqu’il s’agit d’opérer un choix. Le choix d’un mode de
scrutin n’est jamais innocent, neutre. Il est fonction du type de système
politique ou de société que l’on veut instaurer.
Naturellement, chaque mode de scrutin comporte ses avantages et ses
inconvénients et seuls les résultats politiques recherchés peuvent expliquer
le choix porté sur l’un ou l’autre des modes de scrutin. Malheureusement,
les résultats politiques recherchés varient aussi d’un parti politique à un
autre ; d’un électeur à un autre.
Si l’actualité politique béninoise est aujourd’hui marquée par de vives
polémiques, car les uns expliquent la faiblesse de leurs résultats
électoraux et les autres trouvent leur chance de réussite, l’Assemblée
nationale devrait s’en préoccuper par un forum avant d’opérer ce choix et
envisager par la même occasion les garde-fous afin d’aider objectivement
chaque député à se prononcer en connaissance de cause avant de voter les
dispositions de la loi N°2008-28 du 15 – 11 – 2007 fixant les règles
particulières applicables aux élections des membres des conseils communaux
ou municipaux et des membres des conseils de village ou de quartier de ville
en république du Bénin.
L’article 12 dispose :
12 – 1. : Dans les circonscriptions électorales comptant plus d’un siège,
les membres du Conseil communal ou municipal sont élus au suffrage universel
direct au scrutin de liste à un tour.
12 – 2. : Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de
présentation sur chaque liste. Il est attribué à la liste qui a obtenu la
majorité absolue ou à défaut 40% au moins des suffrages exprimés, un nombre
de sièges égal à la majorité absolue des sièges à pourvoir.
12 – 3. : Au cas où deux listes des candidats obtiendraient chacune au moins
40% des suffrages exprimés, il est attribué à la liste ayant obtenu le plus
fort suffrage, la majorité absolue des sièges à pourvoir.
12 – 4. : Une fois effectuée l’attribution visée à l’alinéa précédent, les
sièges restants sont répartis entre toutes les listes à la représentation
proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne à l’exclusion des
listes ayant obtenu moins de 10% des suffrages exprimés.
12 – 5. : Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du
dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre
de suffrages.
En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des
candidats susceptibles d’être proclamés élus.
12 – 6. : Si aucune liste n’a recueilli ni la majorité absolue ni les 40% au
moins des suffrages, les sièges sont répartis entre toutes les listes à la
représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne à
l’exclusion des listes ayant obtenu moins de 10% des suffrages exprimés.
12 – 7. : Dans les circonscriptions électorales comptant un siège, les
membres du Conseil communal ou municipal sont élus au suffrages universel
direct au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Dans ce cas, le candidat
qui a obtenu le plus de suffrages exprimés est proclamé élu.
En cas d’égalité de voix entre deux ou plusieurs candidats, le plus âgé est
désigné Conseiller communal ou municipal.
Ce qui est essentiel dans les dispositions de cette loi c’est le plafond de
40% et 10% fixé par le législateur. Lorsque c’est ainsi, le but recherché
par les partis politiques est de permettre à chaque formation politique de
mesurer son degré d’influence sur l’échiquier politique local. Dès lors
l’équilibre démocratique et national est faussé. Ceci se démontre dans la
publication des résultats des élections locales du 20 Avril et 1er Mai 2008.
Le comble est que le G13 dont je suis le candidat à Godomey malgré plus de
4.000 voix obtenus n’a obtenu aucun siège alors que la RB avec 18.000 voix a
obtenu 15 sièges sur les 18 contre 3 sièges pour la FCBE avec 10.000 voix. A
l’analyse des résultats le constat amère était que les suffrages exprimés
étaient artificiellement gonflés pour permettre d’atteindre plus rapidement
les 40% et d’empêcher la 3ème force politique d’émerger. Lorsqu’on fait le
rapprochement des voix il est aisé de comprendre qu’il n’y a pas pourtant 15
fois 4.000 dans 18.000 ni deux fois 10.000 dans 18.000 voix. Ce mode de
scrutin est très difficile à expliquer à nos populations surtout que le
candidat arrivé en tête s’arroge la quasi-totalité des sièges. De plus, le
contexte socio-administratif, sorte de nécessité de l’ordre politique
établi, engendre dans notre société une multitude d’irrégularités et de
déformations électorales. Face à cette nouvelle expérience électorale il
urge de prévenir les conditions sociologiques et les intérêts politiques qui
avaient suscité le mépris ou le refus du jeu démocratique en Octobre 1963 et
favorisé l’instabilité politique au Bénin jusqu’en 1972. Les réflexions
doivent se poursuivre pour le choix d’un mode de scrutin qui prenne
réellement en compte les intérêts majeurs de nos populations qu’on exploite
abusivement du fait de la détresse et la misère qui caractérisent leur vie
au quotidien. Le scrutin proportionnel appliqué aujourd’hui favorise
davantage le parti politique en tant qu’équipe engagée dans la compétition
au lieu des individualités marquantes aux compétences avérée.
Lorsqu’on analyse les innovations et les caractéristiques du scrutin
électoral au Bénin depuis 1945, on constate une évolution fulgurante,
parfois scandaleuse. C’est ainsi qu’à la faveur du découpage électoral du 23
Avril 1959 dans la circonscription du Sud-Ouest (Mono) le PRD avait obtenu
18 sièges avec 48.970 voix contre zéro siège à l’UDD avec 48.630 voix (soit
340 voix d’écart seulement pour gagner 18 sièges).
Au total au plan national le PRD (Apithy) avait obtenu 28 sièges avec
143.205 voix, le RDD (Maga) 22 sièges avec seulement 63.728 voix et le
comble l’UDD (Ahomadégbé) 20 sièges seulement et tenez-vous bien avec
163.084 voix.
Les mentalités n’ont pas véritablement changé au Bénin comme l’affirme le
Professeur Finagnon M. Oké « La très grande majorité des électeurs vote
comme si elle accomplissait un rite de passage dans l’univers de la
modernité ».
Devant de telles réalités sociologiques, quel crédit pouvons–nous accorder à
de telles élections démocratiques ? De nombreux truquages sont inévitables
du fait de l’absence d’identité judiciaire obligatoire et nécessaire pour
tous. Ainsi, l’on vote sur simple présentation d’une carte d’électeur, ce
qui permet parfois à toutes les substitutions d’identités possibles
-Un électeur du bureau de vote N°1 de Ylomahouto (Godomey) à voté au bureau
de vote N°1 de Salamey alors que l’intéressé n’a pas son nom sur cette liste
;
-Un autre inscrit au bureau de vote de Ylomahouto a voté au bureau de
Sohonto, sa carte d’électeur a été confisquée jusqu’au dépouillement pour
l’empêcher de voter ailleurs ;
-Le Président de bureau de vote de l’EPP de Xlacomey à Godomey BV2 surpris
en flagrant délit avec plusieurs bulletins de vote cachetés d’un parti
dominant a été arrêté et déféré à la prison civile de Cotonou ;
-Aussi, dame T. M. titulaire de la carte d’électeur N°00210 a-t-elle
accompli son devoir civique à la place du titulaire de la carte N°00216 ;
-etc
Somme toute, la démocratie représentative au Bénin draine tant de
déformations et d’irrégularités préjudiciables qu’un traitement méthodique
particulier devient nécessaire pour que la forme et l’apparence ne soient
pas seules prises en considérations et étudiées. Malheureusement dans notre
pays nous évoluons vers la culture de la facilité ou de la paresse
intellectuelle et l’on pourrait se poser la question de savoir si un ouvrage
plus détaillé dans le domaine pourrait amener les autorités centrales à
corriger les insuffisances de notre système électoral face aux contingences
politiques de plus en plus marquées et parfois en absence de toute
alternative crédible.
|