"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

REGULATION ECONOMIQUE

Crise inachevée des GSM

Dans l'affaire des GSM, la crise médiatisée fait place maintenant à la crise en coulisse qui serait encore plus préjudiciable aussi bien aux opérateurs, aux citoyens qu' à l'Etat béninois.

Tout ou presque a été dit sur les raisons et les conséquences de la crise du GSM au Bénin au moment de la suspension des deux principaux réseaux que sont Areeba et Moov. Cependant, il nous semble le moment venu de relire les arguments des uns et des autres afin d'en apprécier la pertinence, de montrer que la phase d'arrière scène a commencé après la remise en fonction de ces outils importants de la communication pour le développement de toute nation aujourd'hui.

Arguments

Deux types de reproches sont adressés par l'Autorité Transitoire de Régulation des Postes et Télécommunications en accord avec le gouvernement béninois à Telecel Bénin SA et Spacetel Bénin SA. D'abord, les autorités béninoises ont observé l'anarchie dans le secteur des GSM due à une série d'irrégularités : l'absence manifeste des conditions de renouvellement de la licence, l'absence de réglementation de cession de la licence, l'inexistence de sanctions aux manquements du concessionnaire à ses obligations contractuelles, les modalités de paiement fantaisistes du droit unique de la licence et surtout la modicité du prix de la licence. Cet état des lieux a conduit donc l'Autorité Transitoire a proposé de nouveaux cahiers des charges pour offrir un encadrement juridique, technique et financier nouveau, profondément protecteur des intérêts des opérateurs, des usagers et de l'Etat. Précisons que la licence d'exploitation de réseau GSM au Bénin est attribué désormais à chaque opérateur contre paiement d'une somme de 30 milliards de francs CFA.

Irrégularités

Ensuite, de l'étude des dossiers transmis à l'Autorité Transitoire, celle-ci a relevé des irrégularités spécifiques à chacun des opérateurs incriminés. L'organe de régulation a relevé d'une part une modification frauduleuse d'initiales opérée par les responsables de sociétés de téléphonies mobiles concernées par sa décision, d'autre part une substitution d'opérateur sans l'approbation préalable de l'Autorité de régulation. De fait, suivant l'interprétation de l'autorité publique, les changements intervenus au sein de leur actionnariat constitue une violation de l'article 4 aliéna 4 et 6 du cahier des charges ainsi que des dispositions de l'article 6 aliéna 2 de la convention d'exploitation. En effet, « à l'étude des dossiers fournis par l'opérateur Telecel Bénin SA, l'Autorité de régulation s'est rendue compte qu'il s'agissait d'une substitution d'opérateur, substitution pourtant réglementée par les textes en vigueur que l'opérateur s'est permis de bafouer et de violer.

En effet, l'actionnaire majoritaire de Telecel Bénin Atlantique Telecoms a été racheté par la société ETISALAT devenue alors actionnaire majoritaire contrôlant de droit et de fait les activités de la société Telecel Bénin SA, toute chose contraire aux cahiers des charges. Cas de l'opérateur Spacetel Bénin SA… après étude du dossier transmis à l'Autorité de régulation et d'une lettre du Vice Président du groupe MTN, la société MTN a repris intégralement les intérêts du groupe Investcom, propriétaire à raison de 75% du capital de la société Spacetel Bénin SA.» (Désiré Adadja, ministre de la communication). Autrement dit, les dirigeants béninois considèrent ces opérations comme des fusions acquisitions ayant entraîné des cessions de licence sans avis préalable de l'autorité publique.

Toutefois, précisons que l'article 189 de l'Acte uniforme OHADA définit la fusion comme l'opération par laquelle deux sociétés se réunissent pour n'en former qu'une seule, soit par la création d'une société nouvelle soit par absorption de l'une par l'autre. De ce point de vue, il existe donc deux sortes de fusions : la fusion absorption – une société qui existe déjà reçoit l'apport d'une autre - ; la fusion combinaison – deux sociétés se dissolvent ensemble et font apport de leurs patrimoines à une nouvelle société constituée exprès pour les recevoir -. Il ne faut donc pas confondre la fusion et la cession d'actifs.

Il nous semble que cette confusion s'est faite dans le traitement du dossier. En effet, la position dominante de ETISALAT dans l'actionnariat de Atlantique Telecoms ne signifie pas qu'il soit actionnaire majoritaire de Telecel Bénin SA même si dans cette crise, il a joué un rôle de premier plan. Toute chose qui pose la question de fonds de l'existence de Atlantique Telecoms. Aussi, la modification de l'actionnariat de celui-ci n'entraîne pas automatiquement la modification de celui-là. Car les 75% de Atlantique Telecoms détenu par ETISALAT ne lui confèrent pas le même niveau de droit sur Telecel Bénin. En revanche, l'on peut relever que le rapprochement entre MTN et le groupe Investcom est une opération de fusion absorption qui lui confère le même niveau de droit dans la société Spacetel Bénin SA. Autrement dit la fusion en amont a été interprétée comme une fusion en aval et conduit à incriminer la société Spacetel Bénin. Il y a donc eu modification dans l'actionnariat de la seconde société et non dans celle de la première comme l'a affirmé tout au long de la crise nos autorités publiques.

Inquiétudes persistances

Ces modifications d'actionnariat supposées ou non conduisent à penser que la crise médiatisée fait place maintenant à la crise en coulisse qui serait tout aussi préjudiciable aussi bien aux opérateurs, aux citoyens qu'à l'Etat béninois. Trois raisons justifient notre inquiétude. Premièrement, nous observons que les deux opérateurs n'ont pu respecter leur principal engagement de payer la somme de 15 milliards de francs CFA un mois après le rétablissement de leur réseau. Un tel manquement nous révèle d'une part que les estimations faites du chiffre d'affaires des deux sociétés ne correspondent pas à la réalité de leurs activités et d'autre part que leur situation de trésorerie n'est pas aussi excédentaire qu'une certaine presse a voulu le faire croire pour susciter le soutien du citoyen au gouvernement pendant les deux mois de crise.

Deuxièmement, l'incapacité actuelle de Telecel Bénin SA et de Spacetel Bénin SA à effectuer le paiement de la première tranche du prix de la nouvelle licence sur fonds propres les oblige à une série d'opérations financières dont deux principales. D'une part, ils pourraient être obligés de procéder à une augmentation de capital par apport en numéraire – donc par appel à l'épargne publique et surtout internationale - qui impliquera forcément une modification de l'actionnariat actuel avec toutes les conséquences d'extraversion de ce secteur. D'autre part, ils choisiraient d'emprunter tout ou une partie de la somme due sur le marché financier à des conditions pas toujours sécurisantes ni pour les sociétés ni pour l'Etat béninois : « S'il y a négociation, cela signifie que les rationalités des acteurs se modifient et que leurs positions se déplacent du fait même des concessions réciproques auxquelles ils procèdent; du même coup, le pouvoir des acteurs change, ce qui modifie en même temps les termes de la régulation : un acteur qui améliore sa position à l'issue d'un compromis améliore du même coup sa capacité de renégocier les règles existantes ou de les maintenir si elles sont avantageuses pour lui » (De Tersac).

Troisièmement, l'absence d'encadrement de ce secteur a conduit aux dérives observées sous d'autres cieux depuis la libéralisation des marchés de télécommunications. Il s'agira d'ordonnancer de manière objective – en visant l'intérêt général en priorité – ce marché et de fixer les règles du jeu qui permettront aux différents acteurs de connaître le cadre légal de leur activité. N'oublions que le droit et la régulation peuvent jouer un rôle moteur dans la croissance économique.

Mondialisation financière

A l'évidence, le GSM a été une des portes par laquelle le Bénin est entré de plain-pied dans la tourmente de mondialisation financière. Celle-ci se caractérise surtout par la domination des spéculateurs qui se préoccupent davantage de plus values que d'économie réelle. Or la première motivation du gouvernement est précisément de garantir au plus grand nombre de béninois l'accès à un panier de services reconnus comme nécessaires pour contribuer à satisfaire les besoins essentiels des populations, dans des conditions équitables, d'une qualité acceptable et à un prix abordable. Pour ce faire, le gouvernement devra veiller à ce que les négociations actuelles ne nous livrent pas aux périls du capitalisme financier dans le souci de réaliser le programme prioritaire du gouvernement.

 

Jean Joachim Adjovi

Archevêché de Cotonou

Bimensuel Catholique de Doctrine et d'Information



24/01/2008
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