"LE BLOG DU Pr JOËL AÏVO"

Réhabilitation de la capital du Bénin :

La patience de Porto-Novo et des Porto-Noviens

Diagnostic du professeur Tévoèdjrè : « Il faut une très grande patience pour gérer les Porto-Noviens. » C’était le 4 décembre 2007, à Porto-Novo, à l’ouverture du colloque international sur la médiation. Ceci en manière d’un plaidoyer à l’adresse du chef de l’Etat, présent sur les lieux, plaidoyer pour une meilleure approche du Porto-Novien. Si ce n’était pas un cours magistral d’anthropologie, cela y ressemble.

Le professeur Tévoèdjrè a l’avantage d’être Porto-Novien et de connaître la ville aux trois noms qu’est Porto-Novo. Il a vu le jour, grandi et travaillé à Adjatchè. Il entretient toujours son centre international de prospective à Hogbonou. Trois noms différents pour désigner la même ville, selon que l’on veut se référer à l’héritage portugais, goun ou yoruba.

Le professeur Tévoèdjrè a donc des lettres pour parler de Porto-Novo et des Porto-Noviens. Il a même gagné le droit d’instruire le chef de l’Etat. Le professeur était donc dans un rôle utile d’explication, d’explicitation et de clarification. Le Président Boni Yayi n’aurait pu trouver meilleur précepteur et pédagogue.

Quand on laisse entendre qu’il faut une très grande patience pour gérer les Porto-Noviens, c’est qu’on veut dire que pour entrer en coopération harmonieuse avec les Porto-Noviens, vivre en bonne intelligence avec eux, construire ensemble avec eux, il faut s’investir dans un travail de longue haleine, sans se décourager, en ayant donc pour allié le temps, en s’armant, par conséquent, d’un mental d’acier.

Concédons que quand on voit ainsi les choses on dit vrai, sans pour autant énoncer une grande vérité sur Porto-Novo et sur les Porto-Noviens. Tout au plus, énonce-t-on une demi vérité. La réalité nous parait un peu plus complexe et il eut fallu l’épouser totalement, en faire le tour complètement pour que la vérité se révèle entière, éclatante.

Car, s’il faut une grande patience pour gérer les Porto-Noviens, on doit dans le même temps souligner la grande patience dont font preuve les Porto-Noviens depuis qu’ils observent et pensent que l’on gère mal ou que l’on ne gère pas bien leur cité. Autrement dit, il faut beaucoup de patience pour gérer les Porto-Noviens, mais les Porto-Noviens en montrent autant pour gérer les oublis et les manquements des autres. Mobilisés au chevet de leur cité à réhabiliter, les Porto-Noviens assistent au ballet des gestionnaires qui passent, repassent, voire trépassent, sans qu’ils aient le sentiment que cela change.

Grande patience donc des Porto-Noviens face à une capitale progressivement décapitée, graduellement dégradée. Tous les attributs et tous les symboles, qui concourent à conférer à cette ville la qualité et le rang d’une capitale politique et administrative, sont partis les uns après les autres, laissant la cité nue, dépouillée de tout, équipée de rien.

Et les Porto-Noviens, dans leur grande patience, ont vu partir tous les ministères, en rang d’oignon, vers d’autres points de chute ; partir nombre de maisons de commerce étrangères vers d’autres cieux jugés plus cléments ; partir de nombreuses grandes écoles qui commençaient à esquisser, au profit de la cité, aussi bien une vocation qu’un profil de ville intellectuelle, universitaire ; partir l’espoir qui irriguait de dynamisme une cité brutalement frappée dans ses œuvres vives, condamnée depuis à ruminer le passé, avec nostalgie, au fil des photos jaunies du souvenir.

Grande patience donc des Porto-Noviens face à une réhabilitation de la ville qui marque le pas, traîne en longueur, fait du sur place, se réduisant parfois à un transfert, non des compétences et des ressources nécessaires à une capitale politique et administrative, mais plutôt à un transfert de bâtiments dont certains ont même perdu patience d’attendre d’être occupés ou à attendre ceux qui doivent les occuper.

Et les Porto-Noviens, dans leur grande patience, guettent le jour où la Constitution de notre pays cessera d’être une vague et lointaine référence, mais la loi fondamentale dont toutes les dispositions liront organiquement et effectivement tous les Béninois, et dans le cas d’espèce l’article premier, au titre premier, qui dit que « La capitale de la République du Bénin est Porto-Novo ».

Grande patience donc des Porto-Noviens face à un avenir plutôt en pointillé, partagés qu’ils sont entre espoir et désespoir, entre aspiration et frustration. Ils ne savent plus par où commencer, dans quelle direction aller, dans quelle vision engager l’avenir, de quels repères baliser le chemin, et sur quoi pourrait déboucher l’aventure.

Et les Porto-Noviens, dans leur grande patience, ne comprennent pas que la construction d’un stade, le Stade Charles De Gaulle en l’occurrence, n’en finit plus de finir, que les festivités du 1er août dernier, marquant le 47e anniversaire de l’accession à la souveraineté de notre pays, n’ont point échu à Porto-Novo comme la volonté d’ouvrir un nouveau cycle de réalisation, que la tenue d’un conseil des ministres à Porto-Novo n’en a point annoncé d’autres en vue d’établir une tradition qui restaure le droit. Les Bambara du Mali disent : « La patience est un arbre dont les racines sont amères mais dont les fruits sont doux ». Porto-Novo, qui ne connaît que trop le goût amer des racines, aura la patience d’attendre le beau temps des doux fruits.

Jérôme Carlos
La chronique du jour du 7 décembre 2007



12/12/2007
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