La Haac et le gouvernement à l'épreuve des textes.
En décidant de s'engager dans un bras de fer à propos
de l'autorisation d'installation de nouvelles radios et télévisions privées au
Bénin le gouvernement et la
Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication
affichent les conséquences des imprécisions contenues dans les textes régissant
leurs relations….
Le conflit de compétence qui oppose la Haac au gouvernement a le
mérite de fournir de la matière pour une révision raisonnable de la Constitution
notamment à propos des dispositions qui réglementent les relations entre les
deux institutions. Tout ne pouvant être mis dans une loi fondamentale, des
amendements aux différentes lois organiques apporteront les précisions nécessaires
pour des relations plus apaisées entre institutions républicaines qui, en
réalité, se complètent.
Le bras de fer
La loi 97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de
l'espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en
matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin,
dispose en son article 3, alinéa 3 : «Les autorisations d'usage de fréquences
pour la radiodiffusion sonore, la télévision par voie hertzienne terrestre ou
par satellite, sont délivrées aux personnes privées par la Haute Autorité de
l'Audiovisuel et de la
Communication, conformément aux dispositions de la convention
prévue à cet effet, sur la base d'un rapport technique présenté par le ministre
chargé de la
Communication». Le membre de phrase «… sur la base d'un
rapport technique présenté par le ministre en charge de la Communication»,
apparemment clair est la source du bras de fer actuel entre le gouvernement et la Haac.
L'instance de régulation des médias décide d'autoriser
l'installation de nouvelles stations de radiodiffusion sonore et des chaînes de
télévision privées. Le gouvernement s'y oppose. Le ministère de la Communication qui,
par le passé n'a jamais respecté l'obligation d'adresser un rapport technique à
la Haac à chaque
processus de délivrance de nouvelles fréquences, dépose pour une fois ce
rapport. Mais avec une nuance. Il soutient ne pas disposer des éléments
nécessaires devant lui permettre d'apprécier la situation. Sa conclusion : le
ministère de la
Communication demande à la Haac de surseoir à ses attributions de fréquence.
La Haac passe
outre cette «interdiction» et attribue 16 nouvelles fréquences TV et 43
nouvelles fréquences radio.
Saisie, la
Cour constitutionnelle casse la décision de la Haac attribuant les nouvelles
fréquences. Rien de surprenant. Mais le comble : la Cour fait du contenu du
rapport du ministère de la communication un «avis conforme», et qui s'impose
donc à l'institution constitutionnelle chargée de la protection de la liberté
de la presse. La Cour
a vraisemblablement une vision extensive de la compétence et du champ d'action
du gouvernement en cette matière. Peut-on le lui reprocher dans la mesure où la
loi observe un silence qui fait de la
Cour le souverain juge sur ce point ?
La situation aurait été plus rassurante si la loi fixait le
délai dont dispose le ministère pour envoyer son rapport à la Haac. Sur ce délai, la
loi est plutôt muette.
Croyant avoir trouvé la parade, la Haac joue sur les mots: elle
ne veut plus donner l'impression de délivrer des permis d'installation aux
nouveaux organes de presse. Elle donne un «agrément provisoire aux promoteurs
des projets de nouvelles radios et télévisions. Saisie à nouveau, la Cour casse promptement cette
nouvelle décision, mettant la
Haac au pied du mur. Tout le monde attend maintenant.
Sauver les meubles
Au-delà des faux pas, arguties et autres expédients
juridiques servis de part et d'autre ainsi que la décision sans recours mais
discutable de la Cour,
l'heure n'est plus au gonflement des muscles. Le débat actuel est relatif à
l'élargissement de l'espace de liberté plus précisément de la liberté
d'expression dans notre pays. Le Bénin déjà mal en point en matière de respect
de la liberté de la presse, aura du mal à convaincre l'opinion internationale
que le débat actuel ne cache pas une certaine peur de voir cette liberté se
renforcer. A ce titre, le gouvernement ne peut échapper à la responsabilité, ne
serait-ce que morale, de cette regrettable situation. On a beau consulter les
différents classements de Reporters sans frontières en matière de liberté de la
presse, les rangs des pays mauvais élèves sont toujours illustrés par les
photos de leurs chefs d'Etat. C'est pourquoi, le gouvernement devrait avoir le
triomphe modeste face aux deux décisions de la Cour constitutionnelle qui lui donnent raison sur
la Haac.
Les anciens promoteurs qui opèrent déjà dans le secteur
audiovisuel au Bénin ne doivent pas non plus se montrer amnésiques. Car il a
fallu que la Haac
contourne la léthargie aux allures de blocage du ministère de la Communication en
1997 pour que l'audiovisuel privé «émerge» au Bénin. Si on devrait attendre
désespérément le fameux rapport ministériel, nul promoteur n'aurait eu
l'occasion d'occuper cet espace de liberté si vital à notre démocratie. Et
puis, pour être justes, les deux décisions de la Cour constitutionnelle
mettant la Haac
en demeure d'attendre le quitus du gouvernement avant de délivrer des permis
d'installation de radio et de télévision devraient avoir pour conséquence
logique de remettre le compteur à zéro : toutes les délivrances de fréquences
jusqu'alors opérées sont illégales. Tout devrait être balayé en attendant le
rapport du ministère pour tout reprendre. Cela ne peut arranger personne et nul
ne peut le souhaiter. Mais ne le perdons pas de vue.
Quant aux nouveaux promoteurs de radio et télévision qui
font antichambre à la Haac
actuellement, ils sont à plaindre. Il est souvent reproché aux investisseurs
béninois d'avoir une préférence maladive pour les filières rentières. Mais le
secteur économique se démarque de cette tendance. A la limite, c'est un risque
certain d'investir dans un secteur médiatique aussi dense que celui du Bénin.
Alors, l'Etat et le gouvernement au premier chef devraient les encourager…
Il est indéniable que la Haac a subi deux échecs successifs. Oscar Wilde
soutient que «l'expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs». Les
décisions de la Cour
étant sans recours, l'instance de régulation des médias devrait courageusement
considérer cette querelle comme une expérience afin d'en tirer les leçons qui
s'imposent. On ne gagne pas toutes les batailles. Il en est qu'on perd dans
l'honneur. La Haac
a perdu, non pas faute d'avoir combattu. Au regard des revers subis ces
dernières années, elle doit sauver les meubles: relancer rapidement le
processus de délivrance de nouveaux permis d'installation aux promoteurs de
radio et télévision. Il appartiendra à l'opinion publique nationale et
internationale de savoir qui bloque le processus.
La loi 97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de
l'espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en
matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin, est
en vigueur depuis 1997. L'article
11 de cette loi dispose : «Le président de la République définit par
décret, les bandes de fréquences ou les fréquences qui sont attribuées aux
administrations de l'Etat…». Onze années après, ce décret n'a pas vu le jour. A
l'occasion de la prise de ce texte réglementaire, le gouvernement aurait pu se
rendre compte qu'il était nécessaire de mettre de l'ordre dans la gestion des
fréquences, ressources limitées. Cette initiative prise à une période où il n'y
a aucune procédure d'attribution de fréquences en cours aurait garanti une
relative sérénité et des échanges sans arrière-pensée. Hélas, le décret n'a
jamais été pris. La faute incombe à la loi qui ne fixe pas le délai dans lequel
ce décret doit être pris après attribution de chaque nouvelle fréquence ou
bande de fréquences au Bénin par l'UIT.
La nébuleuse de la nomination des responsables des
médias du service public
Dans le processus de nomination des responsables des organes
de presse du service public, le gouvernement et la Haac ont des rôles
complémentaires. La Haac
a l'exclusivité de proposer les personnes à nommer tandis que le chef de l'Etat
est seul habilité à les nommer. Dans la pratique, cette collaboration est plus
compliquée. En 2002, c'est la personne sélectionnée en troisième position qui a
été nommée comme si les deux premiers sont indésirables ou incompétentes.
En 2007, c'est une personne dont le nom ne figure même pas
sur la liste des sélectionnées qui a été promue aux dépens du seul candidat
jugé compétent par la
Haac. C'est légitime que le président de la République estime que
lui proposer un nom unique revient à lui ravir sa prérogative de nomination.
Cependant, chacune des positions est discutable. Et c'est le lieu de
reconnaître qu'aucun texte ne peut prévoir toutes les prestidigitations
juridiques dont nous sommes capables sur un texte de loi. Mais ce serait un
regrettable raté si à l'occasion d'un prochain toilettage des textes, le
législateur ne réussit pas à corriger les multiples silences et insuffisances
des textes qui laissent la porte grande ouverte au dilatoire. Les vaines
polémiques sur la loi ne font que distraire les citoyens du recueillement
laborieux que requiert le débat démocratique.
François Awoudo