REVISION CONSTITUTIONNELLE:
Hebdomadaire Catholique: Justice - Vérité - Miséricorde
Ce
numéro de Res Publica traite essentiellement de la question de l’alternance au
sommet de l’Etat dans notre jeune démocratie. Bien que ce soit normalement une
question de fond, nous la traitons dans le cadre des préalables parce que pour
nous, c’est vraiment ce qu’elle est.
En effet, beaucoup de citoyens, et parfois des personnalités insoupçonnées, à
commencer par le Chef de l’Etat lui-même dans son allocution d’installation de
la commission constitutionnelle en février 2008, continuent de juger nécessaire
de rappeler le caractère sacré de ses dispositions. Tout comme si l’on avait
encore besoin de s’en convaincre ; tout comme si la pertinence des dispositions
prévues à cet effet dépendait des circonstances que ces disposi-tions pouvaient
changer avec le temps et selon les hommes qui sont au pouvoir ; finalement tout
comme si, toute la campagne passée pour la protection desdites dispositions
n’était dirigée que contre des personnes dont on serait sûr de s’être
débarrassées aujourd’hui, annulant de fait la nécessité de leurs maintiens dans
notre loi fondamentale.
Notre avis sur la question, à Res Publica, est tout le contraire. Nous
sommes convaincus que l’alternance est nécessaire, voire indispensable, utile,
salutaire pour notre jeune démocratie. Voilà pourquoi nous écrivons le présent
papier qui a pour objectif essentiel (principal) de partager avec nos chers
lecteurs les arguments qui fondent et justifient notre conviction. Les
arguments en question seront avancés pour justifier la pertinence des deux
dispositions constitutionnelles clés qui imposent l’alternance au sommet de
l’Etat béninois, à savoir : surtout l’article 42, qui limite le nombre de
mandats présidentiels à deux au plus, mais aussi l’article 44, alinéa 5 qui
fixe les limites d’âge entre 40 et 70 ans pour les présidentiables au
Bénin.
La
limitation du nombre de mandats présidentiels (art. 42)
Il s’agit dans cette section, pour faire simple, de passer en revue une série
de raisons qui, à notre avis, peuvent justifier que dans un pays comme le
Bénin, l’on impose – si nécessaire à travers des dispositions
constitutionnelles – la limitation du nombre de mandats présidentiels,
c’est-à-dire l’alternance au sommet de l’Etat.
La toute première raison tient simplement au fait que dans une
démocratie digne de ce nom (ce que nous nous efforçons de construire au Bénin),
l’alternance au sommet de l’Etat, c’est-à-dire la gestion à tour de rôle des
affaires de la cité, est la seule alternative acceptable. Ceci est d’autant
plus vrai que, selon Aristote, la seule raison qui peut faire que certains
restent indéfiniment gouvernants et les autres gouvernés est qu’on se trouve
dans la situation où « [les premiers] diffèrent des hommes autant que nous
pensons que les dieux et les héros diffèrent des hommes, en possédant une
grande supériorité, perceptible d’abord dans leur corps et ensuite dans leur
âme, de sorte que la supériorité des gouvernants sur les gouvernés soit
incontestable et manifeste…» et c’est seulement dans ce cas qu’il pense qu’il «
serait alors meilleur que ce soit les mêmes qui, une fois pour toutes,
gouvernent et soient gouvernés». Puis il ajoute : « mais puisqu’il n’est pas
facile de rencontrer une telle situation, il est nécessaire que tous partagent
de la même manière, à tour de rôle, les statuts de gouvernants et de
gouvernés».
Mais l’on peut objecter à la raison ci-dessus et à juste titre que dans une
démocratie représentative (c’est-à-dire dans un système politique où les
gouvernants sont choisis par le peuple), la limitation du nombre de mandat est
antidémocratique. Et ceci pour la simple raison que l’imposition de
l’alternance empêcherait le peuple de garder au pouvoir aussi longtemps qu’il
le souhaite un gouvernant dont il serait pleinement satisfait. En effet, il
suffirait simplement de laisser à chaque fois le soin aux électeurs de décider
de qui mérite de rester au pouvoir et quelle est la part du pouvoir qui revient
à chacun des groupes qui sollicitent leurs suffrages1. A moins que, et ceci en
guise de la deuxième raison qui milite en faveur de l’imposition de
l’alternance, l’on soit dans une démocratie représentative où des doutes
existent sur la fiabilité du système électoral. C’est-à-dire que l’on soit dans
une démocratie où le processus électoral permet de gagner à l’aide d’artifices
qui n’ont rien à voir avec les capacités réelles à gouverner des candidats (par
exemple, argent, liens ethniques, origines régionales, démagogie, manipulation
des documents électoraux, fraude électorale, etc.).
A moins que, et ceci en guise de troisième raison, en faveur de la
limitation du nombre de mandat, l’on soit dans un pays où manque cruellement le
complément fondamental au système électoral pour donner un sens aux résultats
des élections : c’est-à-dire la capacité des électeurs à jouer pleinement leurs
partitions. En effet, même si le système électoral fonctionnait correctement,
que les candidats s’affrontaient à travers des débats sur les principes de
gouvernement, des projets de société et des arguments idéologiques, tout ceci
serait vain si le peuple (le souverain) n’y comprend rien ou pas grand-chose.
Le mérite de celui qui gagne les élections est limité si le souverain (le
peuple) ne comprend pas bien les raisons qui sous tendent son mérite, si le
peuple peut être manipulé par rapport à son mérite, etc. Il est alors, dans ce
cas (la 3e raison) comme dans celui qui précède (la 2e raison), préférable et
raisonnable d’accepter que l’alternance constitutionnellement prescrite fasse
partie des mécanismes qui assurent au peuple un minimum de garantie contre le
pouvoir illégitime, contre l’usurpation, etc.
Mais l’on peut aller au-delà, et se demander ce qui resterait des deux
dernières raisons (2e et 3e raisons) ci-dessus si l’on admettait que les élections
soient garanties, fiables, sincères, crédibles, bref, irréprochables avec des
électeurs suffisamment capables. Même dans ce cas de figure résolument
optimiste, le problème ne serait pas, à notre humble avis, pour autant réglé.
En effet, et en guise de quatrième raison, il y a le fait simple que le
pouvoir lui-même porte les germes de sa propre dégénérescence, surtout
lorsqu’il est conservé pendant trop longtemps. D’abord, le pouvoir a tendance à
ne pas diminuer avec le temps ; John Adams2 dirait même que « le pouvoir a une
tendance naturelle à s’accroître car les passions humaines sont insatiables ».
Ensuite, il est généralement admis que le pouvoir tend à corrompre ; comme l’a
si bien dit l’autre, « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument
». Enfin, en partant des deux propositions ci-dessus, l’on peut dire, avec
suffisamment d’assurance, que le degré de corruption d’un groupe de gouvernants
devrait être proportionnel à la durée de son règne. En d’autres termes, on
devrait s’attendre à ce que plus un groupe de politiciens dure au pouvoir, plus
ce groupe a de pouvoir et plus il est porté à en abuser, plus grands deviennent
alors les risques que ce groupe devienne corrompu. Ce qui n’est pas un objectif
désirable, qu’il faut rechercher dans une démocratie qui se respecte.
En guise de cinquième raison en faveur de l’alternance
constitutionnellement prescrite, l’on peut citer son effet bénéfique sur la
vertu des gouvernants et la qualité des gouvernements. L’alternance en
démocratie est supposée générer, à la fois, de bons voire d’excellents
gouvernants et de bons gouvernements. En effet, et pour ce qui concerne «
l’émergence de bons gouvernants », il est évident que l’on n’est pas dans le
même état d’esprit selon qu’on se sache au pouvoir seulement pour quelques
années, pour un ou deux mandats dans le meilleur des cas, ou non. La certitude,
pour un président de
En effet, et pour ce qui concerne le second aspect, le fait d’avoir été
gouverné, d’être en train de gouverner et de devoir être à nouveau gouverné
(dans un avenir proche) devrait pouvoir permettre de mieux apprécier les
actions menées, d’en apprécier l’impact sur les gouvernés et d’être capable de
tenir compte du point de vue des gouvernés : «Celui qui commandait un jour
était dissuadé de tyranniser ses subordonnés, parce qu’il savait qu’il devrait,
un autre jour obéir». En fait, de par sa simple existence, cette façon de
procéder engendrait un effet de justice, car elle créait une situation où il
était à la fois possible et nettement plus prudent, préférable pour les
gouvernants d’envisager le point de vue des gouvernés lorsqu’ils prenaient une
décision, bref, de se mettre à leur place.
Au-delà des arguments avancés ci-dessus, et en guise de sixième et dernière
raison (pour nous en arrêter là), l’alternance obligatoire
(constitutionnellement prescrite) joue également le rôle d’antidote contre la
tendance du système présidentiel à la personnalisation du pouvoir et à
l’autoritarisme. Cet état de choses augmente le risque que d’aucuns considèrent
que pour changer les hommes (les présidents de
La
limite d’âge entre 40 et 70 ans (art. 44, alinéa 5)
Si l’on peut comprendre et défendre l’idée d’une limitation inférieure de l’âge
des présidentiables, la limite supérieure est beaucoup moins défendable
objectivement. Il est vrai que le contexte historique et socio-politique de
notre pays a pu la rendre compréhensible et justifiable au moment de son
adoption. En effet, il était apparu préférable, au regard de l’intérêt général,
d’écarter les anciens chefs de l’Etat béninois de la course au maroquin
présidentiel, de crainte de fragiliser le processus démocratique naissant, en
raison de leur rôle dans l’histoire socio-politique récente du pays. L’on
pourrait donc penser que au fur et à mesure que notre jeune démocratie prend de
l’assurance, les risques évoqués ci-dessus s’amoindriraient et que la limite
supérieure pour l’âge des présidentiables pourrait être sautée sans problème.
Mais ce n’est pas notre avis à Res Publica et ceci pour au moins
trois raisons.
Premièrement, à la pratique nous devons reconnaître que cette limitation
supérieure de l’âge des présidentiables renforce, de façon harmonieuse, le
critère de limitation du nombre de mandat. En effet, elle contribue à forcer le
renouvellement de la classe des citoyens (acteurs politiques) autorisés à
prendre part aux compétitions électorales à ce niveau-là, et par ricochet au
renouvellement de la classe politique nationale de façon générale. On ne change
pas seulement que ceux qui ont exercé déjà la fonction de président de
Deuxièmement, la limitation supérieure de l’âge des prési-dentiables
joue, dans un pays comme le nôtre, un peu comme un rôle de soupape de
sûreté. En effet, au Bénin, la politique est hautement personnalisée ; les
débats politiques sont aisément transformées en débats de personnes ; les
compétitions électorales, au lieu de se faire entre des groupes qui
se distinguent par des visions politiques, opposent des indi-vidus
et leurs associés du moment (qui peuvent inclure des groupes ethniques ou
régionaux). Il est possible que cet état de choses rende sa situation
difficilement acceptable à un président en fin de son deuxième mandat et
qui n’est plus autorisé à se présenter aux élections futures alors que
son «adversaire personnel» lui, le peut encore. Ceci peut pousser à des tentatives
pour s’accrocher au pouvoir, de confiscation du pouvoir. Qui peut dire si le
président Kérékou aurait accepté partir si le président Soglo pouvait encore se
présenter aux élections en 2006 ?
Troisièmement, cette mesure constitue une garantie solide du dynamisme des
présidents de
Si malgré toutes les raisons avancées ci-dessus, l’on n’est pas convaincu de la
nécessité de prescrire l’alternance dans la constitution, nous suggérons de
nous tourner vers ce « guide qu’il faudrait toujours suivre à chaque fois qu’on
en a l’occasion », selon James Madison3 : c’est-à-dire, l’expérience. Il
s’agit, en fait, de jeter un regard sur des exemples d’ordre purement empirique
et liés aux expériences vécues dans les démocraties établies d’une part, et à
celles vécues dans nos pays africains dans un passé récent de l’autre.
L’une des leçons que nous enseignent les exemples des pays de la première
catégorie, c’est-à-dire les démocraties établies, est simple : l’imposition de
l’alternance, dans une démocratie représentative moderne qui ressemble à celle
du Bénin, est la règle. En effet, quand nous considérons, parmi les démocraties
établies, celles qui ont adopté un système présidentiel comparable à celui mis
en œuvre au Bénin, la règle générale est plutôt à une forme ou une autre de
limitation du nombre de mandats. Dans la quasi totalité de ces pays
(c’est-à-dire au-delà de 90% d’entre eux), la pratique est à une forme ou une
autre de limitation du nombre de mandats4. Le cas de
Quant aux pays de la deuxième catégorie, c’est-à-dire les pays d’Afrique
subsaharienne, les expériences qu’ils ont accumulées depuis les indépendances,
surtout avec les partis uniques et les dictatures, nous enseignent, dans le
meilleur des cas, la prudence lorsqu’il est question du maintien au pouvoir,
pour une longue durée, de la même personne ou du même groupe de personnes. En
effet, l’on peut dire, sans risque de se tromper, que des pays d’Afrique
subsaharienne qui ont vécu de telles expériences, aucun n’a débouché sur rien:
pas de développement, pas de construction de nation, pas de bien-être social
et/ou individuel, etc. Même si l’on ne peut considérer de façon manichéenne que
tout, absolument tout fut négatif au cours de cette période des années de
braise du parti unique, force est de reconnaître pourtant qu’aucun des
résultats qui étaient les objectifs majeurs et les justifications
de l’imposition des partis uniques ne fut atteint. Bien au contraire, nos
pays n’ont, après des décennies de cette forme de gouvernance, connu que
l’accroissement de la pauvreté, la présence plus que jamais affirmée de la
division ethnique, surtout en politique, la corruption galopante ; bref rien
qui puisse inciter à vouloir retourner dans ce genre de situation.
Voilà quelques raisons qui fondent notre conviction qu’il faut absolument
maintenir la prescription constitutionnelle de l’alternance au sommet de l’Etat.
Res publica
[Mathias Hounkpè]
Notes
1 James Madison disait même qu’un homme méritait de rester au pouvoir tant et
aussi longtemps qu’il avait la sagesse de reconnaître les préoccupations des
citoyens et de se donner les moyens de les satisfaire. Mais les citoyens
américains se sont très vite rendus compte de la nécessité de la limitation du
nombre de mandats présidentiels.
2 Ancien président des Etats-Unis d’Amérique.
3 The Federalist Papers No. 52, Hamilton, Madison & Jay, Nal Penguin
Inc. 1961.
4 Cette affirmation, que nous ne soutenons pas par des preuves dans ce papier,
peut se vérifier en consultant les constitutions de la plupart des pays
considérés comme démocraties établies. On peut avoir accès à toutes ces
constitutions par exemple en allant sur le site http://confinder.richmond.edu.
5 Les systèmes politiques dans ces deux pays ne sont d’ailleurs pas des
systèmes présidentiels. Malgré cela, en France il semble inimaginable qu’un
président de
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