La croix : Hebdomadaire Catholique de
Doctrine et d'Information
Et si on en débattait ?
Le projet de révision de la Constitution a pris
date avec l'installation d'une commission technique de relecture. Un groupe de
discussion composé de Mathias Hounpkè, Francis Lalèyè, Joël Atayi-Guèdègbé,
François Awoudo, Me Joseph Djogbénou et abbé André Quenum, propose une série
d'analyses sur ce projet. Le débat ainsi entamé par ce premier article est
ouvert à tous.
Avant l'élection présidentielle de 2006, la
question d'une révision de la
Constitution était généralement vue avec beaucoup de
suspicion, voire d'inquiétude. L'on sait que le contexte sociopolitique de
l'époque, aussi particulier que tumultueux, y a été pour beaucoup. Mais après
la présidentielle, et en dépit de la parenthèse qu'a constitué la très disputée
tentative de révision de l'article 80 de la Constitution qui a
suivi, toujours courant 2006, le projet apparaît aujourd'hui plus accepté et
des enquêtes ont été menées dans ce sens, qui semblent confirmer cette
tendance. C'est dans ce nouveau contexte que, le 20 février dernier, le
président de la République
installe officiellement une commission constitutionnelle chargée de la
relecture de la
Constitution, dans un délai de six mois.
Mais, pendant que cette commission
pluridisciplinaire est à l'œuvre et prépare ses propositions, les autres
citoyens devront-ils se croiser les bras et vaquer à d'autres affaires en
attendant tranquillement et passivement les conclusions de ses travaux ? Nous
pensons que, pour la jeune démocratie béninoise, la relecture et la révision de
la loi fondamentale sont tellement délicates et importantes pour que nous ayons
tous le devoir d'y
intervenir. Ceci est d'autant plus vrai que, à l'instar de toute démocratie, la Constitution engage
toute la Nation
et la vie de toute la Nation
pour de nombreuses années. En s'inspirant - sans aucune prétention de les
égaler - du formidable exemple des célèbres « fédéralistes » américains (James
Madison, Alexander Hamilton et John Jay) du XVIIIe siècle, pères et
commentateurs de la
Constitution de leur pays, un groupe de citoyens ordinaires,
simplement préoccupés au plus haut point de l'avenir de leur pays, le nôtre, se
propose de publier sous la signature de « Res publica » une série de réflexions
publiques sur la
Constitution du 11 décembre 1990.
La toute première réflexion développée dans cette
série permettra tout de suite d'aller au cœur du débat sur la relecture et la
révision de la
Constitution tout en levant le voile sur les motivations et
les objectifs de ce groupe de citoyens qui souhaitent vivement que d'autres se
joignent à eux pour animer des débats constructifs
sur le contenu de notre loi fondamentale. Cette toute première
réflexion concerne justement la place des arguments démocratiques dans les
débats sur la
Constitution béninoise.
Nous affirmons qu'en plus d'être la seule manière
démocratique pour le faire, la meilleure façon de réviser la Constitution
béninoise pour le mieux, c'est de donner le plus possible de place à
l'invention des arguments publics et à la persuasion démocratique, que ce soit
grâce aux débats contradictoires, au dialogue ou à la concertation, et toujours
en tenant compte du contexte propre de notre pays.
La preuve du bien-fondé d'une telle affirmation,
pour faire bref, tient à plusieurs indices très significatifs : au fur et à
mesure qu'avance le processus de démocratisation au Bénin, l'organisation des
élections devient curieusement de plus en plus conflictuelle. De plus, l'argent
joue un rôle de plus en plus inquiétant, surtout pendant la campagne
électorale, en lieu et place du débat démocratique basé sur l'invention
d'arguments démocratiques grâce auxquels, en démocratie, un candidat cherche à
persuader des électeurs. Or, envisager la relecture puis la révision de la Constitution doit
conduire les Béninois à répondre à la question suivante comme un préalable
décisif : sommes-nous, Béninoises et Béninois, capables d'organiser un
référendum de révision constitutionnelle de meilleure qualité comparée à la
présidentielle de 2006, aux législatives de 2007 et aux prochaines locales de
2008 sur lesquelles pèsent beaucoup de doutes actuellement ? En limitant la
réponse à cette question à la portée de cet article sur la place de la
persuasion démocratique, il faut pouvoir s'assurer que nous devons nous
convaincre, en tant que peuple béninois, de l'importance, de l'urgence et de la
délicatesse de l'entreprise de telle manière que, quelles que soient les
divergences, les positions, les fortunes, les régions et autres différences,
nous acceptions avec le minimum de consensus de traverser toutes les étapes qui
conduiraient vers une révision, y compris l'étape de la relecture confiée à une
commission constitutionnelle par le chef d'Etat.
Car, pour ne donner que cet exemple, en observant
se dégrader les rapports entre l'Exécutif et l'Assemblée nationale, d'une part,
et entre ces deux pouvoirs et la
Céna 2008, d'autre part, on peut se demander avec
appréhension s'il suffit pour cette commission ad hoc de faire la lecture «
technique » que lui demande le président de la République. Il faut
se rendre compte que l'heure de se pencher sérieusement sur la relecture de sa
Constitution correspond pour le peuple béninois à l'heure de s'interroger sur
la manière dont les idées circulent à travers la Nation, sur les types et
pseudo-types d'arguments inventés par notre démocratie, sur la nature des
moyens de persuasion générés, sur la qualité des valeurs, des attitudes et des
comportements. Il se fait qu'un dialogue ou un débat aussi complexe que la
relecture et la révision de la
Constitution ne peut se mener sans ce préalable. Est-ce trop
dire que d'affirmer qu'une réflexion publique de qualité sur l'art de
l'argumentation et de la persuasion démocratiques, fera autant de bien à notre
démocratie que la révision de sa Constitution ? Il est de notre avis, en tout
cas, que la révision projetée ne peut se réaliser pacifiquement si les Béninois
ne se parlent pas mieux au sujet des questions publiques.
Res publica
[A bbé André S. Quenum]